DVD – Mundane History de Anocha Suwichakornpong : L’Histoire sans fin

Posté le 13 décembre 2013 par

Sorti le 16 janvier 2013 dans les salles françaises et disponible en DVD depuis le 3 décembre 2013, Mundane History, le film étonnant d’Anocha Suwichakornpong, mérite d’être découvert ou redécouvert. Sa sensualité extrême, sa persistante aura de mystère concourent à en faire une expérience de cinéma singulière et précieuse.

Qu’on le découvre pour la première fois ou qu’on le revoie à l’occasion de sa sortie en DVD, l’OVNI thaïlandais de la jeune Anocha Suwichakornpong ne cesse d’opposer à son spectateur la même beauté opaque, têtue, impénétrable, filée en longs plans-séquences aussi limpides qu’énigmatiques. Un peu maladroitement – mais peut-être l’effet de contraste ainsi obtenu est-il intentionnel – Mundane History se complaît dans un premier temps à recycler des poncifs auteurisants où son originalité a un peu de mal à percer : lenteur poseuse, statisme de la caméra, répétitivité de l’action, épure narrative – annoncée dès le titre : « histoire banale ». Or, il serait injuste d’en rester à cette impression initiale, autant que de se contenter de voir dans ce premier long métrage de la réalisatrice thaïlandaise une simple variante de l’œuvre de son compatriote Apichatpong Weerasethakul (Tropical Malady, Oncle Boonmee…). Un tel rapprochement, s’il peut de prime abord s’imposer auprès des habitués de l’auteur de la Palme d’or 2010, ne suffit pas à rendre compte de ce film certes un peu bancal, mais fiévreux et sensuel, rugueux et hanté, pareil à nul autre.

A priori l’intrigue paraît simple : à la suite d’un grave accident, le jeune Ake reste des journées entières au lit, à ressasser son amertume. Son père et des domestiques rôdent comme des ombres autour de lui, mais aucune communication ne s’instaure. Puis arrive un infirmier du nom de Pun, sur qui Ake déverse sa bile. Peu à peu, cependant, une métamorphose s’opère dans sa perception du monde ; une sorte de communion mystérieuse finit par relier les deux hommes, et nous suivons les rêveries d’Ake au fil d’élans poétiques et cosmiques que le film exacerbe dans son dernier tiers. Par conséquent, s’il débute de manière ouatée, Mundane History, ne cesse ensuite d’étonner, voire d’émerveiller son spectateur.

Le cheminement du récit s’avère intuitif et sensoriel bien plus que cérébral – tout le contraire du cliché d’intellectualisme creux qui a été apposé à ce film comme il l’a parfois été aussi à ceux de Weerasethakul. Ce dernier, notamment dans Syndromes and a Century, parvenait à créer un climat mystique par de simples effets de montage, des raccords pareils à des dissonances ou consonances musicales, faisant songer à des commutations par lesquelles le film basculait, de manière étrangement naturelle, d’une dimension mentale à une autre. Ce à quoi excelle Suwichakornpong dès les premières minutes de Mundane History : d’emblée, une musique pop psychédélique fait des irruptions inattendues, tandis qu’entre deux miroitements de lumière, deux visages jeunes et énigmatiques, le film semble chercher sa voie. Finalement, après de longues séquences illustrant un quotidien confiné, l’image semble contaminée par l’esprit d’Ake, mêle l’intime et le cosmique, le fictif et le documentaire, tout en irriguant cette mosaïque d’effets chromatiques à la limite de l’abstraction. La matière filmique elle-même semble alors se consumer dans des déflagrations visuelles et musicales par lesquelles Mundane History se distingue radicalement de la simplicité formelle et des enchaînements tranquilles (certes tout aussi vertigineux à leur manière) de Weerasethakul.

Cette hétérogénéité ne va pas sans contreparties. L’architecture filmique de l’ensemble du film paraît souvent déséquilibrée. Une base trop fragile, des excroissances trop imposantes. On dirait que Suwichakornpong est partie d’un court métrage, centré sur le personnage d’Ake, pour ensuite lui donner par tous les moyens, des plus ingénieux aux plus artificiels, l’ampleur d’un long métrage. Les moments narratifs et les digressions plastiques du film ne se marient pas toujours idéalement, l’idée d’une greffe forcée s’impose parfois. Mais si son rythme en souffre et s’il trébuche fréquemment, le film tient toujours debout, et ses pouvoirs de suggestion plastiques, voire philosophiques n’en sont qu’accrus. Mundane History s’impose ainsi comme un film oblatif, généreux, ouvert à toutes les interprétations – y compris celles qui y verront, pourquoi pas, une poignante métaphore de l’histoire récente de la Thaïlande.

Mundane History, DVD

Bref, à la revision, Mundane History confirme que son premier mérite est de déjouer les attentes. Il ne feint le narratif que pour mieux s’engouffrer ensuite dans de fascinantes digressions poétiques. Et il ne s’inscrit dans le sillage de Weerasethakul que pour mieux s’en détourner lors des séquences charnières. D’où un film captivant et mémorable jusque dans ses maladresses.

Le travail éditorial réalisé sur le DVD par Survivance est digne d’éloges. A un menu principal joliment conçu s’ajoute une qualité d’image et de son tout à fait conforme à ce qu’on était en droit d’attendre. On regrette que le film ne soit divisé qu’en cinq chapitres, mais on se consolera amplement avec les bonus. D’abord, un instructif livret de 24 pages, construit autour d’un entretien avec la réalisatrice et d’une analyse du film par Guillaume Morel. Puis une affiche du film, ténébreuse et bleutée. Et enfin et surtout, deux très beaux cadeaux : Graceland et Lunch, des courts métrages de Suwichakornpong, tous deux présentés dans des festivals internationaux, respectivement en 2006 et 2011. Ces deux films, mettant en scène des jeunes couples improbables, confirment le tempérament singulier de la réalisatrice, son extrême sensibilité, nous invitant à épouser la pulsation de plans parfois très longs, mais traversés d’élans invisibles, de désirs ou d’angoisses informulés, tels ceux qu’on imagine aisément fuser dans la tête des personnages esseulés que scrute, avec une curiosité attentive et presque douloureuse, la caméra de la réalisatrice. Laquelle s’affirme décidément comme un auteur à suivre.

Antoine Benderitter.

Mundane History de Anocha Suwichakornpong, disponible depuis le 03 Décembre en DVD chez Survivance.

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