Le Film de la semaine – The Lunchbox de Ritesh Batra : trains et cheese naans

Posté le 6 décembre 2013 par

Un film de Ritesh Batra, en salles le 11/12/2013.

Ces derniers mois, les occasions de voir The Lunchbox en France ne manquaient pas : Semaine de la Critique à Cannes, ouverture d’Independant India, présentation lors de « Un état du monde… et du Cinéma » au Forum des Images. The Lunchbox a tout d’une bête de festival censée représenter « la nouvelle vague indienne ». Alors que le film sort enfin en salles le 11 décembre, il est temps de se demander s’il ne s’agit pas avant tout d’une bonne petite comédie romantique…

Bollywood, mon frère

The Lunchbox, Irrfan Khan, affiche

On pourrait parler de The Lunchbox sous l’angle de l’événementiel, en évoquant le parcours atypique de ce premier film sélectionné à Cannes, faisant le tour du monde, et connaissant un succès record pour un film indépendant dans son pays en cumulant l’équivalent de 4 millions de dollars au box-office indien, projeté sur près de 300 écrans 5 semaines après sa sortie. On pourrait insister sur le film « symptomatique » de la nouvelle vague indienne, sur son producteur Anurag Kashyap (Gangs of Wasseypur), qui semble avoir trouvé la formule magique pour faire un cinéma indien populaire et exportable, repéré en Europe (le film est coproduit par Arte), mais s’accordant au goût du public de Bombay. Un peu comme s’il était l’image d’un Bollywood « présentable », accessible à tous et pouvant enfin sortir des frontières asiatiques sans peur du ridicule… On pourrait dire tout cela, mais on n’aurait rien dit de The Lunchbox, tant il serait injuste de faire porter cette lecture sur les épaules bien frêles du film, et rajouter de la lourdeur, alors qu’il arrive si bien à manier profondeur et légèreté. Loin de ces symptômes extérieurs, penchons-nous uniquement sur ce qui l’anime en propre : un regard tendre et humain sur les mouvements du cœur, porté par des métaphores culinaires et ferroviaires.

Une histoire de séduction

C’est d’abord la nourriture qui semble occuper la place centrale de The Lunchbox. En cuisinant pour son mari, Illa tente chaque midi de rallumer la flamme éteinte de son mariage. Peine perdue : c’est un certain Saajan, solitaire comptable proche de la retraite comme de la misanthropie, qui reçoit par erreur les déjeuners préparés avec amour. Un lien d’abord basé sur l’échange de nourriture puis de lettres va alors se tisser entre ces êtres qui voient leurs vies s’effacer peu à peu. C’est tout d’abord la nourriture comme élément de séduction sur lequel va insister la caméra de Ritesh Batra : de la tentative de faire renaître un amour perdu par les saveurs gustatives naît une nouvelle relation, mais aussi une nouvelle forme de communication. Pour punir une remarque mordante (« trop de sel »), Illa va par exemple épicer de manière excessive son plat suivant. Avant les échanges épistolaires, qu’une voix-off des personnages nous fait découvrir, c’est donc d’abord la nourriture qui reflète les sentiments des personnages.

TheLUNCHBOX-Photo2

C’est le côté « Le petit chef » du film. Vous savez, cet anime années 80 montrant des réactions outrées face à des découvertes gustatives. The Lunchbox insiste ainsi autant sur la préparation d’Illa, filmée de près dans sa cuisine, avec gros plans sur ses mains préparant le repas, et malaxant sensuellement les ingrédients, que sur la réaction de Saajan lors de la découverte du contenu de la lunchbox. La première dégustation voit ainsi le personnage face caméra, au centre de l’écran en plan rapproché, permettant de ne rien perdre de son rituel de découverte, avant d’insérer des gros plans sur la nourriture, puis sur la réaction du personnage. Une grammaire cinématographique simple et précise, à l’image du métrage. Toute la première partie du film est ainsi ancrée dans la narration d’un amour naissant par un intermédiaire extérieur, figure classique de la comédie romantique. L’enjeu du film est alors de rapprocher et d’éloigner des personnages qui ne se croisent jamais, et de raconter ainsi leur histoire commune.

Train in vain

L’autre figure du film qui lie les personnages est celle du train, et pas seulement à cause du dicton métaphorique, maintes fois répété dans le film, disant que l’on « peut prendre le mauvais train et arriver à la bonne gare ». Dès le générique, des trains occupent l’écran. C’est Saajan qui habite cet espace dès la scène d’introduction du film, même si on ne le distingue pas encore dans la masse. Le film quitte pourtant rapidement ces plans d’ensemble sur la gare afin, durant le générique, de suivre un vélo. Il porte les lunchboxes reliant Illa et Saaja, que l’on découvre seule dans sa cuisine, parlant à une auntie toujours hors champs. De la masse indistincte du début du film à la focalisation sur cette femme seule dans sa cuisine, deux choses émergent : l’impression de la banalité universelle de l’histoire contée, qui concerne deux personnes extraites de la foule au hasard, comme s’il pouvait s’agir de n’importe qui, et de l’inextricable position du film, dont tout l’enjeu va être de les en faire sortir. Lui est toujours en mouvement, dans des transports interminables, elle, est constamment immobile, prisonnière de sa cuisine et de son appartement.

C’est le côté « Pour le pire et pour le meilleur » du film. Vous savez, cette comédie romantique avec Jack Nicholson. Comment le vieil homme aigri va-t-il reprendre goût à la vie ? Comment la jeune femme va-t-elle se libérer de sa condition et s’ouvrir à la vie ? Ritesh Batra superpose malicieusement ces deux destins avec un montage parallèle rapprochant ses deux protagonistes : ils chassent une mouche en même temps, contemplent un ventilateur au même moment… mais c’est in fine un parcours inversé qu’ils vont devoir effectuer. Pour envisager sereinement un avenir, elle doit reconquérir un présent qui lui échappe depuis que son mari l’a délaissé, lui, doit surmonter un passé obsédant lié au décès de sa femme dont il n’a pas fait le deuil.

Le happy end n’est donc pas hollywoodien : c’est uniquement un bout de chemin que font les personnages ensemble, avant de poursuivre seuls, mais libres. C’est encore dans un train que Saaja se rend compte de l’impasse que provoquerait une véritable relation avec cette femme encore jeune, par la prise de conscience de son âge quand on lui propose une place assise. Heureusement, Illa est déjà partie à sa rencontre, elle est déjà sortie de sa cuisine, amorçant un mouvement qu’elle aura alors la force de continuer : en vélo, en voiture, et même en train… Elle aussi a le droit au mouvement et à se libérer de l’aliénation de sa cuisine. Sajaan, lui au contraire, descend du train et rentre chez lui. Il se pose alors à son balcon et peut enfin regarder avec calme autour de lui le monde comme la jeunesse qui l’entourent.

The Lunchbox, de Ritesh Batra, Inde, 2013. En salles le 11/12/2013.

Victor Lopez

À voir également, la vidéo de notre entretien avec Ritesh batra et Nimrat Kaur ci-dessous :

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