Analyse : Hong Sang-soo, de la ruelle à la plage

Posté le 16 novembre 2012 par

D’un film à l’autre, de The Say He Arrives à In another country, ballade en solitaire chez Hong Sang-soo.

Un talentueux réalisateur coréen, Seungjun (Yu Junsang), arrive dans une ville pour se mettre au vert, revoir un ami et pleurer devant une ex. Une belle française, Anne (Isabelle Huppert), s’installe pour quelques jours dans une station balnéaire déserte pour se reposer, attendre son amant et oublier son mari qui l’a quittée. Dans les deux films de Hong Sang-soo sortis dans les salles cette année, The day he arrives et In another country, les raisons qui amènent les deux personnages jusqu’à leur film pourraient être plus nombreuses encore et toutes autres. Peu importent les événements qui les voient arriver jusqu’ici, ce qui compte pour eux est de prendre possession des lieux pour s’y perdre et non pas d’attendre qu’on les y installe. Ainsi, pour se faire une place,  il va falloir prendre les devants et commencer par rencontrer les gens autour : dans les rues de The day he arrives se baladent des étudiants en cinéma, des critiques, des fans, de jeunes femmes trentenaires attendant de tomber amoureuse. Autour de la plage de In another country, un homme tient compagnie à sa femme enceinte, un moine donne des réponses évasives aux questions qu’on lui pose, une jeune fille part faire ses courses, un maître-nageur trouve la température de l’eau à son goût. Ils sont bien nombreux autour de Seungjun et d’Anne mais ni l’un ni l’autre ne semble vraiment les voir. Quand le premier retrouvera soir après soir la propriétaire d’un bar sans jamais vraiment la reconnaître, la seconde, endormie sur la plage, s’enfuira en courant quand un inconnu la réveillera. Aussi bavards et sociaux qu’ils soient lorsqu’ils sont imbibés d’alcool, comme tous les personnages que filme le cinéaste depuis plus de dix ans, Seungjun et Anne arrivent toujours à se retrouver seuls.

Autour d’un verre, on se rencontre et on se parle beaucoup chez Hong Sang-sooThe day he arrives tout comme In another country ne dérogent pas à la règle. Pourtant, aussi bruyants et arrosés que soient les moments festifs chez le cinéaste coréen, ils restent inlassablement contrariés par ce qui avait été promis au départ et qui ne se concrétise jamais pleinement : de l’amour, du sexe, une vie un peu plus simple. Entre deux moments « ensemble » déçus, entre deux heureuses scènes alcoolisées, le monde que filme Hong Sang-soo se chargera alors d’accompagner les promesses irréalisées faites à ses personnages. Si l’on se souvient tant des ruelles de The day he arrives, c’est qu’en les traversant durant une nuit en direction d’un bar, Seungjun espérait trop. On se souvient d’une route un matin où il attendait un taxi car avec elle vivait toutes les déceptions de la veille. Hong Sang-soo filme d’interminables allers-retours comme s’ils étaient le cœur même de ses films ; comme s’ils étaient les plus beaux moments que pouvaient vivre ses personnages. Les décors alors, les lieux de tournage que choisit le cinéaste – souvent avant même l’écriture du scénario – amorcent une véritable conversation avec ces hommes et ces femmes en perpétuel transit.

Seungjun perd le souvenir du visage de la femme qu’il rencontre une nuit autour d’un verre mais il n’oubliera pas la neige qui allait se mettre à tomber autour d’eux dans un étroit passage entre deux maisons. Il oubliera tout sauf le voyage aller plein de promesses et celui du retour, mélancolique, qu’il effectuera le cœur gros. Dans les souvenirs d’Anne, les rencontres se mélangeront, les soirées au restaurant se ressembleront tellement qu’elles disparaîtront peut-être. Ce qui restera alors aura l’allure des promenades qu’elle faisait dans la petite ville qu’elle ne connaissait pas près de la plage. Les marécages  en bord de route, la fourche d’un chemin qui à gauche comme à droite ne conduit nulle part sont là les plus beaux moments qu’elle aura vécu. La terre étrangère qu’elle traverse, elle l’européenne, est la même où errent les protagonistes de Woman on the beach (2006), la même que celle de (…)la province de Kangwon (1998) ou du Paris de Night and Day (2008). On parle chez Hong Sang-soo  sans véritablement s’écouter comme pour remplir l’espace ; comme pour combler tous les vides. Mais avant d’aller boire un verre, avant d’aller rire et après cela, le cinéaste n’arrive pas à se défaire de ces instants de solitude dont sont remplis tous ses films. Le pincement au cœur qui nous attrape après The day he arrives et In another country est lié à l’impression que ces scènes-là, quand ceux qu’il filme se retrouvent seuls, sont peut-être les véritables moments de joie des personnages. Après avoir traversé en solitaire maintes et maintes fois les rues de Séoul, Seungjun croisera l’une de ses fans qui lui demandera si elle peut le prendre en photo. Le cinéaste s’exécutera et contre un des murs de la ville où il s’était promené plus tôt, la jeune fille le shootera une dizaine de fois. La caméra se rapproche et Seungjun attend qu’on cesse de lui parler, qu’on cesse de le regarder et qu’on le laisse enfin partir. Il attend d’être à nouveau seul.

Fabien Alloin.

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