Sauna On Moon de Zou Peng (en salles le 26/09/2012)

Posté le 21 septembre 2012 par

Découvert à Cannes à la Semaine de la Critique 2011, où il nous avait laissé une impression vaporeuse, Sauna On Moon de Zou Peng revient dans les salles françaises. L’occasion d’une seconde visite, où les charmes envoûtants de la maison close de M. Wu apparaissent finalement de manière plus évidente. Par Victor Lopez.

Lorsqu’ils sont vus à la chaîne lors de festivals de cinéma, les films laissent souvent une première impression aussi flottante qu’apparemment définitive. Définitive par l’empressement que l’on a à devoir juger les films vus, à les comparer les uns aux autres, et à devoir étayer cette impression par des arguments sur lesquels il est impossible de revenir, faute de temps pour revoir le film immédiatement. Flottante par cet empressement même, qui pousse parfois à un jugement hâtif, se focalisant sur les défauts ou qualités les plus apparentes du métrage, oubliant parfois sa singularité même. Ainsi, vu à la Semaine de la Critique à Cannes en 2011 (lire ici), Sauna On Moon laissait l’impression d’être écrasé sous le poids de ses influences. L’évocation de la vie d’une maison close par touches impressionnistes avec une caméra effleurant ses personnages en leur tournant autour faisait penser au Hou Hsiao Hsien des Fleurs de Shanghai. Quelques plans au ralenti sur des jeunes femmes déambulant dans les rues ou montant des escaliers suffisaient à invoquer Wong Kar-wai, alors que la description d’un microcosme clos comme métaphore de la Chine contemporaine, comme dans The World, couplé à la lumière millimétrée de Yu Lik-wai, faisait indubitablement penser à l’univers de Jia Zhang-ke. On gardait alors le sentiment d’un copiste doué, qu’une seconde vision du film vient rapidement balayer. C’est en effet être aveugle à la singularité de l’univers décrit, et aux qualités propres du métrage, qui affirment une personnalité de cinéaste derrière la caméra : Zou Peng.

Les fleurs de Macao

Le sauna du titre est un euphémisme cachant une vraie maison close, tenue par le nonchalant M. Wu. En choisissant de décrire son quotidien, ainsi que celui de ses habitants, et cela sur plusieurs mois, Zou Peng se risque alors à une certaine forme de trivialité, attaquant frontalement la thématique des travailleurs du sexe en Chine. Il opte pour la forme de la chronique impressionniste, avec une narration éclatée, présentant le parcours heurté de plusieurs personnages qui gravitent autour du lieu. Du tenancier M. Wu à plusieurs prostituées, en passant par ses employés plus ou moins proches, dont un collaborateur trempant dans quelques affaires louches, une mosaïque de personnages est tissée. Certains ont le droit à un vrai suivi, d’autre apparaissent et disparaissent au gré des hasards de leurs vies. À cette approche réaliste, où l’observation la plus méticuleuse d’un milieu dicte ses chemins à la narration, Zou Peng va pourtant rattacher une aura mythologique, qui s’affirme dès les premiers plans du film.

C’est en effet sur une fresque historique que s’inscrit le générique. Et lorsque celui-ci se termine, alors que l’on est ancré dans le réel le plus prosaïque (un lapin et un poulet entrent dans la chambre de M. Wu, et celui-ci les pourchasse nu), ce sont des images du Roi des singes, le classique de l’animation chinoise de Wan Laming, qui illustrent cette séquence. En créant un parallèle entre les animaux échappés du réel et ceux de la fiction du film qui passe à la télévision, c’est comme si Zou Peng affirmait que ce quotidien aussi avait aussi le droit à la représentation artistique. Et cette affirmation fait d’autant plus figure de manifeste dans les premières minutes du film, alors que le cinéma chinois se recentre depuis quelques années sur la représentation de son passé historique à travers des Wu Xia Pian onéreux, et que les cinéastes explorant son présent se font de plus en plus rares (même Wong Kar-wai et Jia Zhang-ke se réfugient dans le passé). Tout du long, les références mythologiques et triviales vont se succéder (alors que M. Wu fait appel à une sage spécialiste du Feng Shui, un des plans suivants se focalisent sur une barbie qui orne la voiture d’un personnage) et inscrivent ainsi la chronique dans la fresque, le réalisme dans le symbolique, le quotidien dans le poétique.

De manière plus terre à terre, les événements de la région du Guangdong, proche de Hong Kong et Macao (visité dans le film), son actualité, ses secousses économiques et politiques, travaillent le film en profondeur. La maison close de Wu reflète l’évolution de la région : de la crise à son éventuelle sortie, des rapports entre puissants et pouvoir. Si ces sujets sont directement évoqués par des informations diffusées à la radio, le parcours du film et des personnages suffisent à l’illustrer, comme si ces tranches de vie s’inscrivaient dans un récit plus ample, celui de la Chine actuelle, fruit du passé que relatent les récits mythologiques et historiques que convoque par ailleurs Zou Peng.

All Tomorrow’s Party

La représentation de la sexualité, enjeu central du film, se situe encore dans cet alliance d’extrêmes en apparence opposés et contradictoires : entre frontalité et suggestion, trivialité et érotisation. Mais ce point de vue est finalement cohérent avec la volonté de raconter le réel d’une industrie qui vend du fantasme. Ainsi donc, Sauna On Moon refuse d’abord toute « glamourisation »  – la première nudité représentée et celle de M. Wu chassant un poulet de sa chambre – et érotisation  – de loin, la première scène de sexe voit une prostituée « s’occuper », presque cliniquement, d’un client. Il s’agit d’ailleurs de la scène la plus osée du film, Sauna On Moon rechignera, pour le reste, à montrer directement la nudité des corps féminins. En effet, plus tard, c’est le quotidien du travail qui sera détaillé : de l’entraînement à gémir, lors d’une remarquable scène frôlant le surréalisme, à l’utilisation de gadgets censés doubler le salaire des femmes. Lors de ces scènes, c’est le point de vue féminin qui est adopté : le métier de prostituée est un métier, fait partie d’une industrie et n’a rien d’excitant.

Pourtant, lors de quelques scènes, les corps féminins vont effectivement être fétichisés, érotisés, rappelant la part de fantasme qu’ils provoquent, à la fois chez les passants les contemplant marcher (ce sont des scènes de déambulation filmées au ralenti), et pour eux-mêmes, lorsque des accessoires qu’elles portent provoquent une forme d’euphorie chez les jeunes femmes. On le voit encore ici, la singularité de Zou Peng se situe donc dans une mise en scène qui s’épanouit dans l’apaisement de tensions, dans une dialectique qui concilie les extrêmes dans ses modalités de récit. Et si le film souffre encore de quelques défauts, dus notamment au morcèlement de sa narration qui provoque quelques longueurs, les qualités de filmeur de Zou Peng et la beauté de son geste de cinéma font de Sauna on Moon une expérience immersive à vivre en salles, et l’on attendra avec curiosité ses prochaines œuvres.

Verdict :

Victor Lopez.

Sauna On Moon de Zou Peng, en salles le 26/09/2012.

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