Ha Ha Ha de Hong Sangsoo (Cinéma)

Posté le 16 mars 2011 par

Quelques mois à peine après le réjouissant Les Femmes de mes amis, Hong Sangsoo revient avec Ha Ha Ha, son nouveau conte de cinéma, d’une drôlerie et d’une maturité remarquable. Fascinant jeux de miroirs sur les apparences, le film interroge, avec bonheur et grâce, les rapports humains et touche par son ampleur, sa justesse et sa complexité… par Victor Lopez.


Le cinéma de Hong Sangsoo semble ces derniers temps plus apaisé. Sa terrible cruauté, parfois doublé d’un caractère cru assez choquant, a laissé place à une empathie dépressive. Cette tonalité n’empêche pas un recul rendant sa narration exquise à suivre et ses histoires d’une drôlerie communicative. Bien au contraire ! Longtemps comparé à Rohmer, le cinéma de Hong Sangsoo évoque maintenant plutôt un croisement entre l’humour de Woody Allen et la sophistication d’un Resnais. On trinque d’abord à la brillante trouvaille scénaristique du film. Deux amis d’enfance passent un long moment à boire (image fixe et en noir et blanc composée de photos ponctuées de moult «Tchin-tchin, santé ! ») et se racontent à tour de rôle des bouts d’histoires de leur vie, sans se rendre compte qu’ils ont des connaissances communes et parlent des mêmes gens. La femme dont tombe amoureux l’un est par exemple la copine d’un ami de l’autre, et certains de ses actes trouvent leurs explications dans le discours d’en face

Cette construction d’un double espace temps qui se répondent en miroir permet alors d’interroger de manière subtile les apparences, avec une problématique qui revient comme un leitmotiv toute l’œuvre durant. D’un côté, le spectateur fabrique en croisant les deux histoires un troisième récit, et complète les blancs laissés par les deux protagonistes pour arriver à une approximation plus juste de la réalité. Mais de plus, les personnages eux-même ne cessent d’interroger leurs rapports au réel, voire à leur propres existences par le regard des autres. Dans une scène centrale, un SDF est pointé du doigt : comment le voir en dehors de ce que les signes extérieurs indiquent de lui ? Dans un autre, c’est une fleur qui provoque une brouille au sein d’un couple, quand l’un demande à l’autre ce qu’il voit au delà du nom commun de “fleur”.

Cette mise à nu des apparences par le regard des autres touchent aussi nos narrateurs, qui n’échappent pas à cette catégorisation via leur fonction, mais essaient de s’en défaire pour progresser un peu le long de leur histoire. Le premier est ainsi présenté comme un cinéaste de Séoul et professeur. Il avoue bien vite lors d’une pathétique scène de drague qu’il s’est fait viré de son poste, et qu’il n’a jamais vraiment réalisé de film. Le second doit sans cesse répéter qu’il est dépressif, mais son air hilare et bon vivant empêche son entourage de le croire. Cela culmine lors d’une géniale scène, où on le voit affirmer sa tristesse, tout en contaminant par ses rires ses amis. Que reste-t-il alors des choses, des gens, des souvenirs, privés du préjugé que les gens qui les regardent y collent naturellement ? Voilà une belle question de cinéma que pose mine de rien et sans en avoir l’air le film…

Dans Ha Ha Ha comme dans cette scène de repas, les tonitruants éclats de rires qui donnent son titre à l’œuvre camouflent bien souvent une profonde tristesse, et un palpable désarroi. Le tour de force de Hong Sangsoo est d’évoquer cela sans aucune lourdeur, et avec une émouvante justesse dans sa description des rapports humains. Mais loin d’être théorique et désespéré comme pourrait le laisser entendre notre approche critique, Ha Ha Ha est en effet avant tout une comédie revigorante, où la profondeur rime avec légèreté.

Victor Lopez.

Verdict :

Ha Ha Ha de Hong Sangsoo, en salle le 16/03/2011.