VIDEO – Rapture de Dominic Sangma : secrets du peuple Garo

Posté le 19 septembre 2024 par

Pour son deuxième long-métrage, le réalisateur indien Dominic Sangma s’intéresse de nouveau à sa région natale du Meghalaya, située à l’extrémité nord-est du pays. Inspiré de son enfance chrétienne dans un petit village perdu dans les collines et où le secret est roi, Rapture dresse le portrait d’une communauté méconnue à la spiritualité trouble. Le film, sorti en salles en mai 2024, est maintenant disponible en DVD grâce à Capricci Films.

Un plan séquence ouvre pendant de longues minutes le long-métrage à l’atmosphère déjà énigmatique. Dans la nuit noire, des bougies portées par des corps indistincts parcourent et effleurent le sol à la recherche de précieux insectes. La caméra de Dominic Sangma s’arrête quelques instants sur certains visages que l’on devine importants pour la suite des événements. En véritable scène d’exposition, la déambulation nous mène de personnage en personnage, dans un silence seulement émaillé par le bruit des pas sur la végétation et par les éclats de voix, ici et là, des chanceux chasseurs. Se révèlent alors à nous les traits fins d’un petit garçon nommé Kasan (Torikhu A. Sangma), au regard concentré et innocent.

Le calme de ce petit village est soudain brisé par la disparition mystérieuse d’un de ses habitants lors de la traque. Du jeune oncle de Kasan, seul un t-shirt bleu est retrouvé sur la branche d’un grand arbre et la police est bien insignifiante face à la forêt millénaire qui  semble absorber un à un les êtres qui la peuplent. Petit à petit, l’angoisse monte au sein de cette communauté et les disparitions se multiplient. Les villageois se barricadent par peur de rôdeurs étrangers et se tournent vers l’Eglise en quête de réponses. Au même moment, une statue de la Vierge Marie, annonciatrice de quarante jours et quarante nuits de complète obscurité, arrive dans les collines au terme de son tour du monde. De nouveau, un plan séquence à l’aura mystique et irréelle suit la lente procession qui mène l’icône jusqu’à sa demeure sacrée à la lumière vacillante des bougies et au rythme dévot des chants des paroissiens.

Dans ce climat de peur, de superstition apocalyptique et de repli sur soi, le jeune Kasan tente de continuer à mener une existence de jeux et de brimades propre aux enfants de son âge, tout en faisant face à ses angoisses et à la violence grimpante des membres de sa communauté.  Jusqu’à ce qu’un événement insoutenable vienne à jamais heurter l’innocence du petit garçon…

Pour ce récit, Dominic Sangma puise directement dans ses souvenirs d’enfance et s’inspire de membres de sa propre famille, très religieuse. Le portrait qu’il en fait est toutefois peu élogieux : pasteur voleur et immoral et paroissiens crédules et défiants envers toute différence composent le village, qui vit un quotidien de secrets et d’omerta.

A travers les yeux de Kasan, c’est sa propre peur d’enfant que Dominic Sangma décrypte dans le long-métrage. Face au poids du mystère et de la mort, le garçon perd progressivement ses repères. Se mêlant aux convictions chrétiennes, les croyances indigènes en voie de disparition dans la région se frayent alors un chemin dans l’esprit du garçon, qui va jusqu’à voir dans son vieil oncle adoré Sobel – un fabricant de cercueils mutique –  un ange de la mort causant la perte des êtres qui l’entourent.

Pour peindre cette délicate atmosphère, Dominic Sangma adopte une grande profondeur de champs et un temps long afin d’immerger le spectateur dans une ruralité aussi imperturbable que profondément complexe. Sublimés par une nature luxuriante et des couleurs froides propres aux hautes collines, les plans permettent au regard de se promener entre chaque personnage, d’une réalité à une autre pour chercher des réponses que le réalisateur se refuse à nous offrir.

Occultes ou criminelles, les disparitions inexpliquées mènent ainsi chaque âme à la folie, les poussant à justifier le pire. Etude presque anthropologique de la vie des peuples des collines du Meghalaya mêlée à des fragments de souvenirs et secrets inquiétants de l’enfance du réalisateur, Rapture se construit comme un miroir de ce que la peur peut faire aux hommes, de tout ce que les croyances et l’isolement peuvent créer de plus monstrueux.

BONUS

Court-métrage Echoes (2014, 30min) : pour cette première réalisation, Dominic Sangma pose les bases de son cinéma. Longs tableaux silencieux et comme suspendus dans le temps, protagoniste tourmenté et hanté par ses origines, dialogues concis et réflexions sur la transmission et la spiritualité… Les éléments qui habitent ses longs-métrages suivants sont là. Le court-métrage débute, comme dans Rapture, par une scène de nuit, dans une forêt que n’éclaire que le feu. Un groupe est réuni autour d’un vieil homme, qui chante l’histoire du peuple Garo. Il s’écroule soudain. Le décor change alors du tout au tout. Dans une petite salle de conférence, un poète nommé Ianche lit, sans entrain, un de ses derniers poèmes. Dans le recueil qu’il publie, une traduction anglaise fait face aux mots d’un dialecte sans alphabet propre. Assailli de souvenirs et de regrets, l’homme hésite : peut-il vraiment donner une voix à son peuple en usant de signes étrangers ? Comment écrire sa vérité ?

Interview de Dominic Sangma (9min) : le réalisateur explique d’où il vient et comment l’idée du film lui est venu. Il précise que tous les acteurs sont amateurs, et qu’il a dû travailler deux mois avec eux pour les former avant le début du tournage. Agréablement surpris par le bon accueil qu’a reçu le long-métrage en Inde, il annonce que l’œuvre fait partie d’une trilogie basée sur ses souvenirs, et qui a débuté avec son premier film Moan (2018). Après les thèmes du désir et de la peur, c’est la beauté qu’il abordera dans son prochain projet. « Pour faire un bon film, il faut être émerveillé par la vie », souligne-t-il. Retrouvera-t-on pour autant l’ambiance si particulière de Rapture dans son ultime récit mémoriel ? Dominic Sangma laisse planer le doute :  » j’estime que je n’ai pas encore complètement trouvé ma patte ».

Pour approfondir cette interview, lire aussi notre entretien avec le réalisateur.

Making-of (11min) : ces quelques minutes behind the scenes nous donnent à voir la façon de travailler du réalisateur au milieu d’un environnement de tournage entièrement naturel. Face aux intempéries, à l’humidité et l’obscurité des grottes et à l’imprévisibilité de la forêt, Dominic Sangma et ses équipes mènent tant bien que mal les prises de vues, sans jamais se démonter. Sur place, on mange, on se taquine, on répète et on peaufine à la dernière minute les décors à la main ou à la scie. Village dans le village, la petite troupe travaille sans relâche pour construire Rapture.

Audrey Dugast

Rapture de Dominic Sangma. Inde. 2023. Disponible en DVD chez Capricci Films le 17/09/24.

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