DC MINI, LA CHRONIQUE DE STEPHEN SARRAZIN – CHAPITRE 36 : Minus One / Less Than Zero

Posté le 20 janvier 2024 par

Stephen Sarrazin présente dans DC Mini, nom emprunté à Kon Satoshi, une chronique pour aborder « ce dont le Japon rêve encore, et peut-être plus encore ce dont il ne rêve plus ». Il nous livre aujourd’hui ses réflexions sur Godzilla: Minus One de Yamazaki Takashi.

Virtuose du numérique et de l’animation, réalisateur de la trilogie Always, des inénarrables Parasyte 1 & 2, et du Fighter Pilot, qui a aussi pour titre The Eternal Zero, adapté du roman de l’auteur – très à droite – Hyakuta Naoki, qui compte parmi ses admirateurs/trices l’actrice de droite Kishii Keiko, ainsi que l’ancien Premier ministre Shinzo Abe, Yamazaki Takashi poursuit son œuvre en passant du zéro au minus.

Ce dernier volet Toho affiche une volonté de dialoguer avec le premier film, réalisé par Honda Ishiro, en rappelant le thème d’un Japon que rien n’épargne. Cette version minus procède à partir d’un enjeu narratif désormais établi dans la science-fiction, s’appuyant sur les conventions dystopiques du genre, et les dernières générations d’effets, pratiques et numériques, afin de représenter un univers abimé, fatigué, usé. Cependant, ce cinéaste ne se tourne pas vers Alien (Scott) ou Brazil (Gilliam), ni vers Steampunk (Otomo) ; il n’invente pas un autre Japon, mais revient précisément sur celui de l’ère Showa, qu’il cherche à raconter autrement, le passage d’un état qui n’aurait plus rien à perdre à un autre qui ne cesse de perdre.

Le film commence par l’atterrissage… d’un kamikaze sur une île de ravitaillements et de mécaniciens, prétextant une panne de son appareil, et se termine par son rachat, manœuvrant un avion militaire pour aller affronter Godzilla. Mais le destin de ce pilote est scellé ; son arrivée sur l’île ‘réveille’ un monstre (réveil également du côté d’Apple TV et de l’effarante série Legacy avec le tandem père et fils Kurt & Wyatt Russell) ; toute l’équipe, sauf lui et le chef-mécanicien qui a deviné la lâcheté du pilote, est effacée de l’histoire. Peu après son retour dans son quartier décimé de Tokyo, Godzilla surgit des eaux et détruit la ville, y compris le quartier symbolique de Ginza. Tokyo porte encore les traces et le traumatisme de la guerre, dont le monstre n’a que faire. Il arrive tel un châtiment.

Le kamikaze qui ne devait pas revenir, Shikishima Koichi, joué par Kamiki Ryunosuke, a condamné la ville. La honte écrase le pilote, auquel le scénario offre pourtant trois incarnations de salut : une jeune femme (Hamabe Minami dans le rôle de Oishi Noriko) qui a sauvé un nouveau-né, avec laquelle il fonde une famille chaste ; un capitaine de remorqueur et un savant avec lesquels se dessine un plan pour vaincre, cette fois, l’envahisseur ; enfin, les retrouvailles avec ce mécanicien qui s’exerce au ‘pimping my zero’, à la fois la voix du pardon et la main de la réincarnation.

Kamiki et Hamabe excellent en tant qu’acteurs de voix, ayant collaboré avec Miyazaki Hayao et Shinkai Makoto. Ils sont néanmoins de bois, rigides, des pantins qui ne comprennent ni ne mesurent l’espace d’un plan, la dynamique d’un cadre. Toho demeure l’un des seuls studios japonais à pouvoir offrir à ses réalisateurs d’importants moyens de tournage. Yamazaki sait négocier l’ampleur des ruines, la quantité de figurants, la qualité des effets numériques ; il sait même tourner des plans larges. Il ne peut pourtant s’empêcher d’y glisser les mêmes roucoulements nationalistes qui caractérisent une part considérable de son travail. Le gouvernement n’existe pas dans ce film, hormis des informations transmises par le savant du récit, expliquant que l’Amérique ne viendra pas en aide au Japon, qu’elle ne larguera pas de bombe atomique sur Godzilla, car nous sommes en plein guerre froide, et que l’Union Soviétique répondrait à cet essai nucléaire. Si l’Amérique ne fait rien, le Japon en fera autant. C’est au peuple, c’est-à-dire aux hommes, aux anciens militaires, de sauver la nation.

Kamiki Ryunosuke se voit ainsi entouré de vieilles figures sorties d’innombrables films, feuilletons et publicités pour tenir ces rôles de savant, de remorqueur, de commandant de navire de guerre, tels Yoshioka Hidetake, Sasaki Kuranosuke et Tanaka Miou. Qui croiront tous à la victoire, acquise en mer et dans les airs. Qui auront repoussé, et coulé l’ennemi, hors de ses frontières maritimes.

Minus One a connu une sortie internationale, en Europe et Amérique, récoltant des avis critiques favorables, façon FantAsia. Film portrait de l’époque.

Stephen Sarrazin.

Godzilla: Minus One de Yamazaki Takashi. 2023. Japon. En salles le 17/01/2024.

Imprimer


Laissez un commentaire


*