Ninomiya Ryutaro

KINOTAYO 2023 – Entretien avec Ninomiya Ryutaro

Posté le 26 décembre 2023 par

Ninomiya Ryutaro était présent au Festival Kinotayo pour présenter son quatrième long métrage : Dreaming in Between, l’histoire fantomatique de Shuhei, directeur adjoint d’un lycée, souffrant de sénilité. L’occasion de s’entretenir avec le réalisateur sur son œuvre et sa vision du cinéma.

On ne peut que conseiller les films de Ninomiya Ryutaro : une certaine matérialisation des méandres psychiques et mentaux de personnages indécis, déboussolés ou velléitaires. Des films sur le fil, équilibristes, qui manquent de se casser la figure à tout moment. Le funambulisme fait parfois des miracles. Dans la filmographie encore mince de Ninomiya, on trouve donc The Charm of Others (2012), difficilement visible, Sweating the Small Stuff (2017), ou les tribulations d’un ouvrier confronté à la mort d’une personne proche, Minori, on the Brink (2019), ou une certaine vision d’une jeunesse à la fois douce, paumée et inquiétante, le temps d’un été, et Dreaming in Between (2023), le portrait d’un sexagénaire qui remet en cause, du jour au lendemain, toute son existence. C’est donc ce film qui était projeté au Festival Kinotayo. Shuhei, interprété par Mitsuishi Ken, apprend qu’il souffre de la  maladie d’Alzheimer. À 60 ans passés et proche de la retraite, sa maladie naissante le pousse à réfléchir sur sa vie familiale et professionnelle. Qu’a-t-il accompli ? A-t-il vraiment vécu ? Sait-il qui il est ?

Votre film aborde deux thématiques récurrentes du cinéma japonais : la famille et l’isolement, ou plutôt la solitude. Ce sont deux thèmes qui vous animent ?

J’ai voulu surtout créer une histoire importante et universelle. Je n’ai vraiment pas pensé à une particularité japonaise mais à une histoire qui serait comprise par tout le monde.

Votre film aborde aussi une figure importante du cinéma japonais : le fantôme. Le personnage principal, qui perd la mémoire, devient progressivement un fantôme pour lui-même. Il erre aussi comme un fantôme au sein de sa famille et sur son lieu de travail. Dreaming in Between est-il une variation délibérée du film de fantôme ?

Je voulais créer un personnage non défini, montrer un homme pas facile à comprendre. Il n’est ni bon ni mauvais. Je voulais aussi qu’on ne comprenne pas vraiment quelles sont ses envies et ses motivations. Mais la vie continue malgré tout pour lui. Cette existence non définie vous a donné une impression fantomatique. 

Dreaming in Between - Ninomiya Ryutaro

Votre film ne respecte pas la structure narrative classique (avec une situation initiale, un élément perturbateur, des péripétie et une conclusion) mais montre plutôt une tranche de vie, sans évolution claire. 

J’ai voulu faire un film qui n’en est pas un. Une tranche de vie, en effet, pour créer un drame. Et je ne voulais surtout pas de fin heureuse. Je laisse toujours le public imaginer ce qu’il veut et tirer ses propres conclusions.

Mitsuishi Ken est impressionnant dans le film. Comment s’est passé le tournage avec lui ?

Mitsuishi Ken est présent dans toutes les scènes du film. J’ai beaucoup appris de lui. 

Comment le film a-t-il été reçu au Japon ?

Comme rien n’est vraiment défini dans Dreaming in Between et que je laisse au spectateur une grande part de compréhension et d’imagination, le film n’est pas forcément facile d’accès. Ce n’est pas non plus un film cathartique. Des spectateurs japonais l’ont beaucoup aimé mais d’autres n’ont pas compris. Lors de la projection du film au Festival de Cannes pour la programmation ACID, j’ai eu l’impression que les spectateurs l’avaient mieux compris.

Pouvez-vous revenir sur votre premier film, The Charm of Others, sorti en 2012 et primé au Pia Film Festival ? Il est particulièrement difficile à trouver. De quoi parle-t-il ?

Il s’agit d’un ouvrier d’usine qui déteste qu’on ait pitié de lui et qu’on le regarde de haut. C’est le sentiment que j’ai ressenti quand j’ai perdu ma mère. Je nourris mes films de mes propres expériences. La question posée dans ce film est : la gentillesse envers autrui est-elle vraiment juste ? 

Le scénario de Minori, on the Brink, film estival sur la jeunesse, est-il inspiré de vos souvenirs d’adolescence ?

Les pensées du personnage principal, Minori, sont en fait mes propres pensées.

Quels sont vos projets ?

J’ai déjà tourné mon prochain film, dans lequel je mets en scène la jeunesse. Il décrira plus spécifiquement la folie chez les jeunes. J’espère que vous pourrez le découvrir l’année prochaine.

Quel est votre moment de cinéma, un film ou une séquence qui vous a particulièrement marqué comme spectateur ?

[Après un temps de réflexion] C’est une scène de My Name is Joe de Ken Loach. Au début du film, le personnage principal, un ancien alcoolique, entraîneur de l’équipe de foot amateur locale, vient chercher les adolescents désœuvrés qui composent l’équipe. Il débarque à l’improviste dans un appartement et frappe à la porte en criant « Police ! » pour plaisanter. Tous les ados fuient apeurés par la fenêtre avant de se rendre compte que c’était une blague.

Propos recueillis le 14/12/2023 par Marc L’Helgoualc’h lors du Festival Kinotayo 2023.

Traduction : Kobayashi Megumi

Photo : Marc L’Helgoualc’h

Remerciements : Pascal Le Duff et Kobayashi Megumi

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