Love and Bruises de Lou Ye (Cinéma)

Posté le 1 novembre 2011 par

Après Nuits d’ivresse printanière, Lou Ye nous revient avec Love And Bruises, l’histoire d’une passion amoureuse douloureuse. Le cinéaste chinois, de par sa réputation sulfureuse et ses problèmes avec la censure, jouit d’une grosse côte auprès des critiques. Son opus parisien sera-t-il à la hauteur ? Par Jérémy Coifman.

Lou Ye est un réalisateur aimant filmer les corps, leur sensualité, tout l’érotisme qu’il s’en dégage.  Avec Nuits d’ivresse printanière, il avait fait de son « Jules et Jim chinois », une réussite. Hélas avec Love And Bruises, Aka Chienne, le constat est disons le tout de suite, plus que mitigé.

Hua (Corinne Yam) est une étudiante chinoise de 28 ans exilée à Paris le temps de ses études. Le début du métrage la place dans une situation loin d’être rassurante.  Elle semble complètement déboussolée, errant dans les rues froides et ternes de Paris. Elle prend un café, semblant chercher quelque chose. Hua vient de rompre avec son petit-ami.  Brutalement, elle fait la rencontre de Mathieu (Tahar Rahim), ouvrier sur les marchés. Littéralement, leur premier contact est violent. Il heurte sans le vouloir Hua avec un échafaudage.  Les premiers effleurements sont maladroits. Mathieu semble tomber instantanément sous le charme de la jeune femme. S’en suit un maladroit dialogue. Cet échange symbolise leur relation. Hua subit les événements.  Elle ne semble pas vouloir discuter avec lui, pourtant elle continuera. Elle finira par diner avec le jeune homme. Les scènes sont touchantes, surtout grâce à un Tahar Rahim parfait.

Pendant tout le film, Hua endurera le comportement violent de Mathieu. Pourtant, cela ne s’explique pas, elle tombera peu à peu amoureuse. Lou Ye ne cherche en aucun cas à expliquer pourquoi. La passion, l’amour, ça ne s’explique pas… Cependant, nous, spectateurs, sommes dans une situation des plus inconfortables. Dans l’impossibilité de comprendre ce qui unit les personnages, l’empathie n’est pas une option.  Même si on comprend l’idée, c’est ici très maladroit. La relation manque de cohérence, de substance et finit de ce fait par être complètement inintéressante.  On se demande ce que peut bien unir ces deux personnages, si différents.

Au vu du matériau d’origine (le roman sulfureux de Jie Liu-Falin) et des différents trailers, on pouvait s’attendre à une sorte d’Empire des sens, une passion dévorante violente et incontrôlable. Ici, il n’y a pas de crescendo. Hua est juste une femme qui ne sait pas ce qu’elle veut. Elle donne son corps, son âme, sans se battre. Puis elle étudie le féminisme. C’est tout le contraste d’une femme perdue. Face à elle, Mathieu semble de plus en plus obnubilé par sa jalousie. Phase typique d’un film sur la passion, ces scènes ne fonctionnent pas. A trop vouloir faire ressembler Mathieu et Hua à des personnes ordinaires, Lou Ye oublie d’en faire de vrais personnages de cinéma. En voulant filmer la banalité d’un quotidien, il oublie de faire de vrais dialogues. Surtout, les scènes de sexe sont totalement ratées. Filmées avec trop de distance, elles manquent de sensualité et de violence.

L’idée d’établir plusieurs barrières entre les personnages était intéressante. D’abord culturelles, on s’aperçoit rapidement qu’elles sont avant tout sociales. Hua est une intellectuelle, ayant des amis assez aisés. Mathieu, de son côté, est né dans le nord de la France, vit dans le milieu ouvrier et a des amis un peu truands, manquant d’éducation. Les scènes affichant ces différences fonctionnent à merveille, notamment un repas au restaurant des plus gênants. Le couple est conscient de cette situation, mais est dans l’incapacité de se séparer. C’est une malédiction.

Le récit est construit de manière somme toute classique dans le schéma d’un film sur la passion.  La rencontre, les jours heureux, le couple qui s’étiole, puis la séparation. Cependant Lou Ye dilue inutilement le scénario en insérant des intrigues et des personnages. On citera Giovanni, l’ami de Mathieu interprété par un Jalil Lespert qui comme souvent joue la bonne caricature banlieusarde.

Si l’on peut être déçu par l’histoire d’amour, on ne peut qu’être admiratif du travail de Lou Ye sur la façon de filmer Paris. Considérée comme un personnage à part entière, la ville est dépeinte loin de la carte postale. Ce n’est pas Minuit à Paris de Woody Allen. Lou Ye filme le Paris populaire, les kébabs, les marchés, les coins sombres et froids, les allées peu recommandables. C’est gris, morne, presque cauchemardesque. On sent Hua prisonnière. Les intérieurs sont insalubres, désincarnés. Il faudra attendre l’incursion en Chine pour avoir de la vie, des oiseaux dans une cage, des livres sur une étagère. Lou Ye est beaucoup plus inspiré lors de ses travellings montrant la ville, que lors des ébats entre les deux personnages. C’est cette mélancolie, ce désenchantement, qu’on aurait aimé voir pendant tout le film.

Pourtant,  Corinne Yam est superbe, Tahar Rahim crève l’écran, la musique est magnifique, on sent tout le talent de Lou Ye, toute sa sensibilité. Mais la sauce ne prend jamais, on ne s’implique pas, on ne vibre pas, on est complètement indifférent à ce qui se joue. La faute à une écriture incohérente et beaucoup de maladresses.

Jérémy Coifman.

Love and Bruises de Lou Ye, en salles le 02/11/2011.

 

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