FCCF : Entretien Michelle Yeoh (Tigre et Dragon 2)

Posté le 16 juillet 2016 par

Venue présenter la suite du classique de Tigre et Dragon en ouverture du Festival du Cinéma Chinois en France (FCCF), nous avons eu l’immense privilège de rencontrer une icône féminine et féministe du cinéma d’action made in HK : Michelle Yeoh. L’occasion pour nous de nous rappeler l’importance de son rôle dans un genre cinématographique très masculin et de la relation qu’elle entretient avec ses maîtres de cinéma.

Vous avez commencé votre carrière sous l’aile de Sammo Hung. Pouvez nous parler de vos débuts, et de ses enseignements ?

Le premier film dans lequel j’ai tourné était en effet un film de Sammo Hung. Il s’agit d’un film d’arts martiaux du nom de The Owl and Dumbo (1984) dans lequel il jouait et s’occupait de la mise en scène. A cette époque, les femmes jouaient des nunuches, des filles en détresse qui ne demandaient qu’à être protégées par les héros masculins. Et quand je me rappelle de mon premier tournage, je me souviens combien j’étais intimidée, Sammo étant une personnalité très imposante. Mais en revoyant de près les scènes d’action et les chorégraphies, c’est comme regarder un ballet, un spectacle de danse. C’est une discipline que j’ai pratiquée toute ma vie. Donc au moment de jouer dans le film suivant, j’ai fait une requête particulière auprès de mes producteurs. Ils venaient tout juste de lancer une nouvelle société de production, D&B Films. A cette époque à Hong Kong, les genres les plus populaires étaient les comédies et les films d’action. En arrivant dans l’ex-colonie britannique, je ne parlais pas bien le chinois, et je ne savais pas lire les idéogrammes. Je me suis dit que je pouvais camoufler mes défauts derrière mes mouvements. J’ai donc demandé de pratiquer les arts martiaux dans mon prochain film. Mes producteurs m’ont regardé, interloqués, et m’ont demandé si j’étais bien sûre que c’était ce que je voulais faire. J’ai argumenté en mettant en avant mon expérience en tant que danseuse, et je les ai convaincus de tenter le coup. J’ai eu beaucoup de chance, mon boss était confiant, et après tout, les arts martiaux étaient très à la mode. Ils ont fait appel à Corey Yuen, qui s’était à l’époque installé au Canada. Ils l’ont convaincu de réaliser un film d’action, pas un film d’époque mais de l’action contemporaine, avec des flics et de voleurs. Il est donc rentré à Hong Kong, et il fut surpris d’apprendre que c’était un film d’action avec une femme dans le premier rôle. Pourtant, quand on regarde dans les classiques du cinéma de kung-fu et dans les Shaw Brothers il y avait de beaux personnages de femmes combattantes. Et puis de la fin des années 70 jusqu’au milieu des années 80, ce sont essentiellement les hommes qui ont tenu les têtes d’affiche dans les films d’action. Je pense notamment aux films de Jackie Chan, Yuen Biao, Sammo Hung. Ils étaient les super héros du moment et aucune femme ne pouvait rivaliser avec eux. Il était décrété que ce genre et les cascades étaient trop dangereux pour les femmes.

Jackie Chan et Michelle Yeoh dans Police story 3 de Stanley Tong (1992)

Jackie Chan et Michelle Yeoh dans Police Story 3 de Stanley Tong (1992)

Je me souviens à cette époque qu’une actrice comme Moon Lee était cantonnée aux rôles de petite amie dans les films de Jackie Chan avant de devenir la star du cinéma de kung-fu que l’on connaît.

Oui, exactement ! Pareil pour Maggie Cheung, qui est pourtant une femme forte et indépendante, elle était cantonnée au rôle de la jeune femme sans défense qui criait sans cesse : « Sauvez-moi » (rires) ! Donc ce premier film était un vrai défi. Il s’agissait de prouver aux hommes de la profession que nous, les femmes, étions aussi folles et capables qu’eux pour exécuter ces cascades. J’ai eu la chance aussi de m’inscrire dans cette salle de gym dans laquelle de nombreux cascadeurs s’entraînaient quotidiennement ainsi que de vrais artistes martiaux, Donnie Yen était d’ailleurs un habitué. Ils étaient quelque peu fascinés par cette femme qui voulait jouer sur leurs plates-bandes. En raison de mon expérience dans la danse et de ma forme athlétique – à l’école, j’étais une championne de squash et de natation, et j’avais les gestes biens coordonnées – je pouvais imiter facilement les mouvements. Pour les chorégraphies d’arts martiaux, tu étudies, et tu apprends en répétant les mouvements de base. Mes collègues se sont rendus compte que je savais me battre. Outre le fait que j’ai pratiqué le ballet, j’ai aussi un frère qui avait de nombreux amis. J’étais un peu garçon manqué. C’était très excitant pour moi d’intégrer ce monde. Le premier film de cette vague fut Yes Madam! (1985). Et je pense que je fus l’élément de surprise qui brisa les barrières. Si une femme combat, elle doit se battre. Pas comme une femme mais comme si sa vie en dépendait. On ne voulait surtout pas féminiser les chorégraphies. On fonçait dans le tas en ouvrant le feu. Le public était ébahi.

Michelle Yeoh dans Yes madam! de Corey Yuen (1985)

Michelle Yeoh dans Yes madam! de Corey Yuen (1985)

Oui, il s’agissait de l’avènement d’un nouveau genre populaire : Girls with guns.

Grâce à cela, ma carrière ne s’est pas arrêtée aussitôt (rires). Cela a fait bouger les choses et les spectateurs sont devenus très friands de ce type de films. Sans compter l’enthousiasme du public féminin, content de voire à l’écran des consœurs se battre aussi bien que les hommes. C’était fort ! Et cela m’a ouvert de nombreuses portes.

Vous êtes en effet devenue une icône féminine du cinéma d’action made in Hong-Kong. Comment aujourd’hui voyez-vous rétrospectivement votre carrière dans le genre ?

J’adore ce que je fais. Je ne le fais pas parce que c’est un travail, mais par passion. Je dois avouer que je fus très chanceuse d’avoir eu l’opportunité de travailler avec certains des meilleurs réalisateurs du genre au niveau international, que ce soit en Asie, en Europe et à Hollywood. Et j’ai pu par la suite diversifier mes talents. J’ai fait en effet une majorité de films d’action, mais j’ai pu convaincre au fil du temps les réalisateurs et producteurs de l’étendue de mes talents. Je me souviens de mon audition pour le rôle de James Bond Girl dans Demain ne meurt jamais. Les producteurs et le réalisateur Roger Spottiswoode m’ont dit que si je ne pouvais pas faire les scènes d’action, ce n’était pas un problème pour eux car ils pouvaient engager un cascadeur pour me doubler. Par contre, si j’avais de problèmes pour les scènes de comédies, ils n’avaient en revanche personne pour me remplacer. Ils m’ont bien fait comprendre que je n’étais pas là uniquement pour mes prouesses martiales, bien que ce soit un bonus non négligeable. Mais ils m’avaient engagée pour mes talents d’actrice.

Michelle Yeoh dans Demain ne meurt jamais de Roger Spottiswoode (1997)

Michelle Yeoh dans Demain ne meurt jamais de Roger Spottiswoode (1997)

Vous avez été blessé sur des tournages, il me semble ?

Sur Tigre et Dragon et aussi sur le film d’Ann Hui, The Stunt Woman (1996). C’est un film sur lequel je pus témoigner mon admiration et mon respect envers les cascadeurs. Ce sont les héros dans les coulisses. On ne connaît pas leurs visages, mais c’est grâce à eux que les acteurs, et tout spécialement dans les films d’action, ont l’air tellement fort. Ce n’est pas uniquement dû au travail de la caméra et des chorégraphies, ils sont essentiels au bon déroulement de ces scènes. Dans ce film je devais effectuer une cascade simple, et ce sont les pires. J’ai cru m’être brisée le dos et par la même occasion que c’était la fin de ma carrière dans le cinéma d’action. Fort heureusement, ce ne fut qu’un petit obstacle.

J’ai entendu dire que Sammo Hung pouvait être quelque peu rentre-dedans…

Oui, je dirais plutôt que c’est un perfectionniste. Il a un niveau très élevé. Il ne faut pas oublier, il ne demanderait pas à l’un de ses acteurs d’exécuter quelque chose qu’il ne pourrait faire lui-même. Je dirais juste qu’il un peu plus attentionné avec les femmes (rires).

tai-chi-master-1993-01-g

Michelle Yeoh dans Tai-chi Master de Yuen Woo-ping (1993)

Yuen Woo-pin a fait la même école d’Opéra de Pékin que Sammo Hung. Il vous a dirigée dans 5 films : Tai Chi Master,Wing Chun, Tigre et Dragon 1 et 2 et True legend. Quelles sont les différences sur un plateau entre ces deux maîtres ?

Ils sont deux très brillants sur le plan créatif, chacun à sa manière. Ils ont beau être très différents physiquement, leurs styles peuvent paraître à la fois très similaires et uniques comme leurs caractères et leurs personnalités. Sammo en raison de sa corpulence paraît à la fois direct et gracieux dans ses mouvements, alors que maître Woo-ping est très précis dans ses figures. Sammo fait de grands mouvements amples, Yuen Woo-ping est dans son approche plus intime, on combat de plus près. Dans Wing Chun et Tai Chi Master il joue beaucoup de cet effet. Les deux sont de grands maîtres. C’est un peu comme comparer une émeraude et un saphir.

Propos recueillis le 30 juin 2016 par Martin Debat à l’hôtel Le Meurice dans le cadre du Festival du Cinéma Chinois en France.

Plus d’informations sur le festival ici.

Lire notre entretien avec Donnie Yen ici

Lire notre critique de Tigre et Dragon 2, présenté au FCCF 2016 ici.

Photo et traduction : Martin Debat

Remerciement à Anne Pourbaix et l’équipe du festival.

 

Imprimer


Laissez un commentaire


*