ALLERS-RETOURS 2024 – Snow Leopard de Pema Tseden

Posté le 27 février 2024 par

Afin de clôturer comme il se doit l’édition 2024 du Festival Allers-Retours : le dernier film du regretté Pema Tseden, Snow Leopard, sorti à titre posthume, couronné du Grand Prix au Festival International du Film de Tokyo et présenté à la Mostra de Venise. Un ultime voyage dans les contrées désertiques du plateau tibétain.

En 2012, l’irruption d’une panthère des neiges dans l’enclos d’un éleveur, causant la mort de neuf de ses bêtes, provoque une querelle familiale et attire une équipe de télévision dans le village. Une question divise : faut-il tuer la panthère ou est-il possible de cohabiter avec elle ?

Le cinéma de Pema Tseden s’est toujours construit autour d’un registre très particulier que peu de metteurs en scène parviennent à contenir. Un registre protéiforme qui emprunte au réalisme magique, où le drame social côtoie l’absurde et les élans de tonalités mystiques. Le bac à sable des steppes tibétaines offre à Pema le terrain idéal pour ses expérimentations romanesques couchées sur grand écran, à mi-lieu du conte fantastique et des introspections qui ont à cœur de révéler la nature irrationnelle de l’existence humaine. Bien que Snow Leopard ne devait pas être le chant du cygne du cinéaste, qui nous a quittés brutalement, il en concentre pourtant toute la substantielle démarche esthétique.

Le film débute alors qu’une petite équipe de télévision locale se rend dans les campagnes reculées du Tibet pour tourner un reportage sur une panthère des neiges qui se serait introduite dans l’enclos de moutons d’un éleveur et y aurait dévoré ni plus ni moins que neuf bêtes pendant la nuit. Sur le chemin, dans un 4×4 brinquebalant, les journalistes croisent un jeune moine bouddhiste en formation qui vient à leur rencontre et les dirige sur les derniers kilomètres qui les séparent du lieu du crime. Sur place, non loin de l’enclos de tous les problèmes, ils y retrouvent une communauté de nomades furieux compte tenu des circonstances, et avec eux l’animal majestueux pris au piège au beau milieu du pâturage. Une fois les témoignages recueillis, le postulat est le suivant : faut-il libérer la panthère des neiges ? Dans les cris et les réclamations tonitruantes en langue tibétaine, tous décident du sort du félin avec une étude rigoureuse du discernement de chacun des partis qui confinerait presque Snow Leopard dans les répertoires du film de procès. Quand Jinpa (acteur fétiche de Pema Tseden) exige de garder l’animal enfermé en attente d’un dédommagement des autorités pour son bétail dévoré, le jeune moine en devenir, photographe à ses heures perdues, confesse son désir de le libérer en vertu des lois de la nature, et de son respect sensiblement panthéique envers celle-ci.

Dans ce contexte profitable à la querelle, Snow Leopard se mue en discours sur la relation complexe entre l’Homme et la nature, l’origine de la zizanie étant la part de culpabilité d’un animal sur les activités humaines, et les limites de la justice quand celle-ci concerne des agissements qui échappent à son contrôle terrien, d’un point de vue plus spirituel sur les évènements. La punition envisagée n’est pas aussi évidente que l’acte, pour de multiples raisons que Pema Tseden se plaît à décortiquer avec un florilège de personnages têtus et remontés : d’abord, la panthère des neiges est un animal protégé, et le fait de le garder captif pourrait se retourner contre la petite communauté qui souhaite avant tout s’en servir comme d’une preuve pour le dédommagement. Dédommagement qui n’est possible que si Jinpa relâche la panthère, mais celui-ci rétorque que la police chinoise fera faux fond si l’animal disparaît de l’enclos.

Au milieu de ces discussions qui patinent et retournent sans arrêt à leur point de départ, non sans l’absurdité comique propre au réalisateur, de mystérieuses scènes en noir et blanc semblant venir tout droit d’une trance bouddhique ponctuent le discours du métrage d’un regard autrement plus spirituel sur la situation. Semblables aux envolées mystiques du Voleur de chevaux (1986) de Tian Zhuangzhuang, ces instants suspendus apparaissent d’abord énigmatiques, puis d’une évidence absolue au vu des trajectoires rhétoriques empruntées par le film. Snow Leopard, comme toutes les œuvres précédentes de Pema Tseden, laisse un riche héritage de l’identité tibétaine sur grand écran, trop rarement mise en avant et menacée de disparition par le processus de modernisation infernal de la Chine. À défaut de croire que le cinéma puisse la sauver, Pema a toutefois pensé toute sa vie que celui-ci contribue en première loge à sa mémoire.

Richard Guerry.

Snow Leopard de Pema Tseden. 2023. Chine. Projeté au Festival Allers-Retours 2024.

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