SI LOIN, SI PROCHE 2024 : Cambodge vue sur court

Posté le 5 février 2024 par

Cette fois-ci, le festival Si loin, si proche nous permet de découvrir le paysage contemporain du cinéma cambodgien. La séance, grandement marquée par l’Histoire des Khmers Rouges (au centre de 4 courts-métrages sur les 6 de la sélection), nous permet d’appréhender cet épisode de l’histoire sous un angle esthétique nouveau tout en nous l’exposant de manière très claire. Un panorama rongé par ce sombre épisode, mais l’expiant de manières radicalement différentes.

Candlelight de Polen Ly

Très court-métrage de 4 minutes ouvrant le bal de cette séance, Candlelight se démarque tant par sa concision que par sa forme. Filmé en format portrait, le récit présente une petite uchronie aux allures de science-fiction dans laquelle la bougie est une denrée rare utilisée par tout le monde pour lire. L’on y suit plusieurs personnages dont la bougie s’éteint et cherchant de la lumière pour continuer leur activité. Si le film ne cherche pas à se défaire d’une certaine naïveté (complètement assumée si l’on en croit la place importante que portent les enfants dans le film), il présente de superbes images éclairées à la bougie qui, intelligemment, épousent ce format portrait aussi commun dans notre quotidien que rare au cinéma.

Nothing bigger than love de Cyrus Moussavi

Le documentaire suit un archiviste des musiques de l’âge d’or du rock cambodgien, musiques très rares et quasiment effacées de l’Histoire du fait de l’épisode historique des Khmers Rouges dans le pays. Au plus proche de son sujet, le film nous inonde de musiques dans son montage tout en alternant avec des entretiens avec l’archiviste ainsi que d’autres collectionneurs. La question de la peur de la disparition hante tout le film, et le cinéaste choisit bien le medium le plus à même de traiter de cette peur : le cinéma, ontologiquement la trace animée du réel, son empreinte, si l’on en croit Bazin. Plus que de bien choisir son medium, il le modèle surtout bien au personnage qu’il suit, faisant un film aussi sympathique que l’archiviste en lui-même : les alternances entre les entretiens et les extraits historiques (eux-mêmes issus d’archives) se font dans une fluidité remarquable et Nothing bigger than love arrive toujours à éviter d’être didactique ou programmatique. Traitant de la peur de la disparition et se battant contre celle-ci, le cinéaste nous fait vivre en tant que spectateur ce qu’a été le rock cambodgien historiquement, musicalement et tout ce qu’il représente pour son protagoniste passionné.

La Mangue de Philippe Kastelnik

Court-métrage d’animation traitant encore de la question des Khmers Rouges, le film propose un remarquable travail sonore effectué tout au long de sa première partie et d’une seconde partie très forte dans son choix esthétique radical. Sokhem, un enfant cambodgien, se réveille la nuit et part à la poursuite d’une mangue. Sa mère, Bopha, se réveille à son tour et le suit. En suivant cette mangue, ils tombent alors sur ce qui semble être le spectre de la mère de Bopha qui va remémorer à cette dernière son enfance sous le régime des Khmers Rouges. Ce souvenir se déroule sur une grande fresque immobile qui se défile lentement de la gauche vers la droite, le tout narré par Bopha. Ce procédé qui, à l’encontre de l’animation vient justement utiliser ce qui est figé pour en faire le sel de son film, fonctionne très bien et apporte une dimension très forte à l’aspect historique soulevé. Il se révèle être un témoignage assez poignant de cette période.

Side by side de Polen Ly

Documentaire par le réalisateur de Candlelight, ce dernier montre cette fois-ci un aspect de son cinéma diamétralement opposé à celui présenté plus haut : rude, d’une vérité très frontale et cruelle et surtout dépourvue de candeur (mais avec une certaine naïveté qui perdure, et qui se révèle cette fois-ci bien moins légère). Dans ce documentaire, nous suivons Pet et sa grand-mère qui a vécu sous le régime Khmer Rouge. Elle raconte comment elle a été mariée de force en 1975, du fait du régime politique mis en place, dans une conversation intergénérationnelle avec Pet qui n’a pas connu cette partie de l’histoire cambodgienne. Tout le charme du dispositif vient dans la frontalité radicale de ce dernier : la caméra, très souvent au plus proche de ses personnages, capte des phrases et des images d’une violence sans pareille, mais accueillie étrangement avec franchise et bienveillance par les différents interlocuteurs du film. La grand-mère dira par exemple à son mari « on m’a forcé à t’aimer », phrase aussi terrifiante que glaciale pour un couple encore marié plus de 30 ans après les faits. Cette froideur révèle aussi bien des mystères qui seront soulevés par le cinéaste, sans jamais être percés. L’on y apprend qu’à la libération du Cambodge, tous les couples ont divorcé, contrairement au couple ici présent devant nous. Si l’on voit à de nombreuses reprises comment le mari explique à quel point, même s’il a été premièrement forcé, il a appris à aimer cette femme, la grand-mère, elle, reste très discrète sur la question (sans pour autant nier un certain amour). Cette confrontation intergénérationnelle est aussi passionnante que terrifiante : elle montre à quel point le poids de l’histoire s’effrite rapidement, écrasé par le présent, tout comme elle montre une différence majeure de génération, différence apparaissant tant comme un signe d’espoir par rapport à la jeunesse de la grand-mère qu’une certaine crainte sur le futur du Cambodge. Un documentaire au dispositif simple, mais d’une puissance redoutable et d’une beauté visuelle sans égale.

New land broken road de Kavich Neang

Film à l’ambiance très étrange, New land broken road de Kavich Neang nous fait suivre le parcours d’un groupe de hip-hop ou plutôt, un moment de pause de ce dernier sur un coin de route dans la nuit alors qu’un de ses membres retourne chercher quelque chose dans le lieu où ils dansaient. Cet instant suspendu dans la nuit, entouré par deux séquences de danse admirables en introduction et en fin de métrage, crée une aura très énigmatique au film. Un aspect presque absurde semble s’en découler : deux personnages du groupe de danse, au milieu de nulle part, rencontrent de l’autre côté de la route un stand de snacks qui s’empresse de les rejoindre. À la manière d’un intermède, l’entièreté du court-métrage repose sur cet instant suspendu entre deux séquences minuscules qui sont pourtant l’activité principale de notre groupe de personnages. Ce qui donne lieu à un petit film planant, sur le coin d’une route déserte dans laquelle peu de voitures passent, à bord d’un petit stand de snacks aussi énigmatique que l’entreprise du cinéaste.

Les saigneurs de Rotha MOENG

Singulier film entre cinéma du réel et onirisme débordant, Les Saigneurs nous met dans la peau de Khlek, un jeune garçon, qui assiste au travail de ses parents : saigneurs dans une plantation cambodgienne d’hévéa. Les premières images du film sont assez éloquentes à ce sujet : dans l’obscurité totale, l’on y découvre l’activité des travailleurs seulement grâce à leur lumière frontale se baladant dans le plan, ressemblant alors à des lucioles (et évoquant d’emblée le fameux texte de Pasolini). Par la suite, du point de vue de l’enfant, nous assistons à ce travail destructeur, aussi bien pour son entourage que son environnement. C’est à partir du point de vue enfantin que le film propose une vue politique sur la survivance et la destruction, aussi bien identitaire qu’environnementale.

Thibaut Das Neves

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