SI LOIN, SI PROCHE 2024 – Vietnam, vue sur court 1

Posté le 2 février 2024 par

Première séance consacrée aux courts-métrages vietnamien de l’édition Si loin, si proche. Celle-ci est composée d’un mélange hétéroclite à l’image du festival. Parmi eux : deux films d’animation, deux films francophones, ainsi que deux autres films aux dispositifs très particuliers. Un étonnant panorama bien composé pour découvrir les divers manières dont les programmateurs entendent explorer les cinémas dits « vietnamiens, cambodgiens et laotiens ».

La Forêt de Pao de Nguyen Pham Thanh Dat

La Forêt de Pao est un récit onirique alternant sans cesse entre passé et présent, narrant la jeunesse de Pao, son mariage forcé et ses espoirs perdus. Le film ne prend pas de pincette avec son spectateur : le traînant d’une temporalité à l’autre sans prévenir, du réel au possible et du souvenir au présent. Dans sa forme radicalement fragmentée, il gratifie tout de même l’œil d’une mise en scène souvent surprenante. À la manière d’un puzzle, le film s’éparpille avec des séquences en noir et blanc et des séquences en couleur, sans jamais donner de solution au spectateur. Libre à lui de tenter de le résoudre, ou de se laisser bercer par les séquences pouvant tout aussi bien fonctionner de manière autonome, chacune explorant un pan de la vie de Pao (qu’il soit réel ou non). Un petit voyage déroutant au dispositif très hermétique et un peu fragile mais durant lequel il est tout de même agréable de se perdre.

 

Love, Dad de Diana Cam Van Nguyen

Documentaire d’animation saisissant, la cinéaste part des lettres de son père écrites lorsqu’il était en prison afin de lui faire une réponse des années plus tard. Le documentaire offre en matière de technique d’animation quelque chose d’assez fascinant, semblant repousser les limites de l’animation traditionnelle tout en continuant avec brio ce qui a déjà été fait en stop-motion. La cinéaste utilise, pour animer ses séquences, principalement des feuilles, les lettres de son père, ainsi que des photos d’elles et de sa famille. Les photos s’animent sous nos yeux, donnant l’impression d’une pellicule que l’on démarrerait, et la cinéaste profite de cet effet, non seulement pour créer du mouvement, mais aussi de l’espace dans ces photos normalement unidimensionnelles : une incroyable séquence se situant dans une piscine démontre bien le talent plastique de Diana Cam Van Nguyen, dans laquelle son dispositif d’animation dont la contrainte serait son unidimensionnalité, se recouvre en fait une profondeur vertigineuse. Plus que de la technique, Love, Dad est aussi un documentaire très émouvant sur la cinéaste et sa relation avec son père. Parler de soi expressément dans un film est un exercice bien plus périlleux qu’il ne semblerait l’être : on tombe facilement dans le nombrilisme en laissant de côté le spectateur, ce que la cinéaste ne fait jamais. L’aspect très personnel qu’elle injecte à son film n’est que le matériel utilisé par la réalisatrice afin de créer un œuvre d’une puissance plastique sans précédent, en l’utilisant, non pas afin de simplement réparer quelque chose qui ne la concernerait qu’elle et son père, mais surtout afin de partager au spectateur une narration du réel aussi troublante que touchante, ainsi qu’une profonde réflexion sur les racines et leur héritage. Puisqu’en effet, la cinéaste aborde un thème jusqu’ici peu mis en lumière par les autres courts-métrages mettant à l’honneur les identités asiatiques du sud-est et leurs cultures : la remise en question de son héritage. Sans le renier, la cinéaste l’affirme en le questionnant frontalement et sans ambiguïté. Possiblement l’un des plus beaux films de la sélection, Love, Dad est une sorte d’exercice technique d’animation incroyable dans lequel la réalisatrice démontre aussi bien ses talents de narratrice que de plasticienne mais surtout, de cinéaste.

Malabar de Maximilian Badier-Rosenthal

À la manière d’une légère comédie noire, Malabar suit le destin de deux jeunes, Mourad et Harrison, qui vont percuter dans la rue un vieil homme vietnamien, Marcel. Le film oscille constamment entre gags et tension, avec comme postulat de départ un dilemme moral que ses personnages tenteront de pirater sans succès. La confrontation entre Mourad, Harrison et Marcel devient très drôle dès que le rapport de force entre la victime et les jeunes s’inverse totalement. Contrairement à ce que pourrait laisser croire le postulat de base, le cinéaste n’ira jamais dans le cynisme. Il préfère tirer de cette situation immoralement comique une empathie envers les trois personnages, ainsi qu’un portrait assez touchant de ceux-ci. De plus, il n’hésite pas à faire osciller le ton entre une tension assez forte et un relâchement comique très efficace, exercice d’autant plus compliqué lorsque la voie du cynisme facile n’est pas empruntée. Une franche réussite d’écriture et de mise en scène pour un film aussi court.

Boat People de Thao Lam et Kjell Boersma

Boat People est un court-métrage d’animation qui retrace la migration de la famille de Thao du Vietnam au Canada, à travers une métaphore fourmilière périlleuse qui se révèle au fur et à mesure du film aussi belle que grave. Le style d’animation particulier, entre l’animation traditionnelle et le théâtre de papier, ajoute au récit, déjà singulier, une certaine originalité. Le tout étant narré du point de vue de Thao, enfant lors de la migration de sa famille et dont les enjeux de celle-ci la dépassaient, le film adopte tant ses réflexions que son point de vue sur le monde : le drame se transforme en périple épique, le sordide se révèle énigmatique et inatteignable, son rapport au monde se voit, plus généralement, complètement chamboulé. Mieux, le film, en suivant le parcours de Thao de son enfance à l’âge adulte, se mue tant dans son discours que dans sa forme : il mature, prend de la distance avec ses premières réflexions et donne un épilogue assez émouvant à Thao qui, devenue adulte, comprend enfin ce périlleux voyage tout comme sa comparaison aux fourmis. Celle-ci se révèle aussi poétiquement maladroite que tragiquement lourde de sens.

See de Huoang Duy Dao

Dans ce court-métrage quasiment à plan unique, nous assistons à un rituel énigmatique auquel prennent part quatre différents personnages. See est un film-dispositif par ce plan unique qui constitue de bout en bout le film, en dehors du plan introductif de quelques secondes. Il s’agit d’un plan d’ensemble dans lequel le ciel et la mer prennent une grande partie de l’écran, tandis que sur la droite de celui-ci, nous apercevons un très fin morceau de terre ainsi que les quatre personnages. Peut-être un peu trop théâtral par sa musique très présente et sa mise en scène particulière, le film ne semble pas convenir au format du court-métrage. Ressemblant beaucoup plus à un spectacle ou bien un essai vidéo à destination d’une installation, le tout sonne malheureusement faux en salles obscures et gagnerait peut-être à être joué ou visionné dans d’autres conditions. La force de l’image ainsi que sa chorégraphie énigmatique prendraient plus de sens dans un ensemble lui appartenant que de manière autonome.

Je suis personne de Sébastien Kong et Steve Tran

Le court-métrage commence comme une comédie au ton amer sur la place des personnes asiatiques au sein de la population française. Partant du constat de l’invisibilité des communautés asiatiques en France contrairement à la stigmatisation violente ou, à l’inverse, à la normalisation totale, Je suis personne élabore de nombreux gags tous très efficaces. La surprise du film réside cependant dans son statut : plus une bande-annonce qu’un réel court-métrage, le film use des dernières secondes de son film pour dynamiter son concept de base afin de faire un teaser sur le prochain projet du cinéaste. Le personnage principal, profitant de son invisibilité sociale, se révèle alors mêlé à de sordides histoires et le court bascule sans prévenir dans quelque chose qui tiendrait presque de la catégorie III. On espère donc une suite aussi violente que drôle comme promise !

Premier panorama sur le cinéma vietnamien, il laisse voir un cinéma aussi international que profondément questionné par l’identité et l’héritage. Il est bon de voir que le festival, en plus de cette séance, profite de ce moment privilégié pour explorer ce qu’est la culture et l’identité vietnamienne tout en laissant les cinéastes la questionner, de manière aussi personnelle que globale. Le tout dans une sélection esthétiquement impressionnante avec des cinéastes qui, repoussant les questions sur leur propre identité, tentent aussi de se balader aux frontières du cinéma pour repousser les possibles du medium.

Thibaut Das Neves

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