BLACK MOVIE 2024 – Mad Fate de Soi Cheang

Posté le 20 janvier 2024 par

Après une sortie remarquée de son polar noir et crasseux Limbo en salles, le dernier film du réalisateur Soi CheangMad Fate, continue sa tournée en festivals. Il est projeté à cette édition 2024 du Black Movie de Genève.

Par une soirée pluvieuse, un diseur de bonne aventure tente d’aider une prostituée à éviter une mort certaine, mais le destin en décide autrement. Il arrive au domicile de la prostituée quelques minutes trop tard, la trouvant rendre son dernier souffle tandis que Siu Tung regarde son cadavre avec une fascination effrayante. Lorsqu’il prédit que Siu Tung va bientôt commettre un meurtre, le Maître croit qu’il a le pouvoir de changer l’inévitable. Alors que Siu Tung est de plus en plus submergé par son désir insatiable de meurtre, le Maître met sa santé mentale en jeu pour changer le cours du destin.

Soi Cheang porte une attention toute particulière, quasi obsessionnelle depuis le début de sa carrière, aux récits désespérés, aux héros tragiques et aux penchants les plus sombres de l’humanité. Dog Bite Dog (2006), Accident (2009), Limbo (2021) : autant de films portés sur le désespoir, les névroses, les violences muettes et les inavouables par lesquels l’être humain se laisse envahir par nature. Cette année, le protégé de Johnnie To revient sur le devant de la scène avec Mad Fate, une production Milkyway Image qui fit sa première à la 73ème Berlinale.

C’est à partir d’un scénario de Yau Nai-hoi que Soi Cheang raconte le destin croisé d’un voyant excentrique, d’un jeune obnubilé par la mort, d’un flic arbitraire et d’un tueur en série. Le premier, interprété par l’inégalable Gordon Lam, met à profit ses dons de clairvoyance pour remettre dans le droit chemin ce jeune désœuvré victime d’insatiables pulsions meurtrières, campé par le prodigieux Lokman Yeung. Par le passé, Soi Cheang s’est toujours efforcé de mettre en évidence le caractère inéluctable, essentialiste et fatal de la condition humaine. Comme pour prendre sa revanche sur ses propres conceptions, Mad Fate s’assure de rompre le cycle et d’apporter une dimension toute nouvelle à son cinéma, déjà entraperçue dans la conclusion de SPL II: A Time for Consequences (2015) : l’espoir. Celui d’aller à l’encontre du destin et de prouver au monde que chacun est sujet au changement, autant qu’à la rédemption.

En disposant sa caméra d’un angle subjectif, Soi Cheang ne rationalise jamais vraiment le fantastique de son film et le laisse plutôt, sans jugement, à la totale emprise de ses personnages par lesquels l’histoire nous est racontée. La seule réalité qui se présente est alors celle du dispositif, des élucubrations mystiques et spiritualistes de ce divinateur déséquilibré, rappelant le jeu et le profil similaires de Lau Ching-wan dans Mad Detective (2007) de Johnnie To ou Detective vs. Sleuths (2022) de Wai Ka-fai. En guise d’illustration des versants les plus épouvantables de l’espèce humaine, des images comme l’on en avait rarement vu dans le cinéma hongkongais relaient le réalisme social au second plan pour un métrage pleinement et esthétiquement ancré dans le surnaturel : un ciel rouge sang, des orages aux allures d’Apocalypse, une pluie diluvienne venant décrasser cette mégapole insalubre. Moins sombre et finalement plus kitsch que Limbo dans ses effets de mise en scène, Mad Fate n’en demeure pas moins une réjouissante proposition d’auteur qui signe la résurgence et le renouveau du film noir comme on sait depuis toujours les produire à Hong Kong.

Richard Guerry.

Mad Fate de Soi Cheang. 2023. Hong Kong. Projeté au Black Movie 2024.

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