NETFLIX – La saga Kingdom de Sato Shinsuke

Posté le 4 octobre 2023 par

Les défis de l’adaptation en live action, la série des films Kingdom les relève avec succès depuis maintenant trois films. La sortie du troisième volet cet été au Japon, et l’arrivée des deux premiers au catalogue de Netflix, sont autant d’événements qui nous invitent à revenir sur cette entreprise réussie signée Sato Shinsuke.

Durant la dynastie Qin, pendant la période des états belligérants dans la Chine ancienne, Shin était un orphelin de guerre. Il rêve de devenir un grand général. Il se lie alors d’amitié avec le jeune roi Ei sei qui vise à unifier toute la Chine.

Même si l’Hexagone est friand de mangas, et a fortiori de produits culturels japonais, force est de constater que le manga Kingdom de Hara Yasuhisa n’est arrivé que tardivement chez nous, aux éditions Meian. De surcroît, il n’a pas connu non plus un succès aussi retentissant que dans son pays natal. Au Japon, Kingdom fait partie des licences les plus populaires et se hisse chaque année dans le haut du classement des meilleures ventes en librairie. Différence de goût ou de bagage culturel ? En effet, l’Histoire de l’unification des royaumes de Chine résonne au Japon, un pays qui a longtemps été sous influence culturelle sino-sphérique. Au vu du succès incontestable de Kingdom sur l’archipel, une adaptation en live action semblait tout à fait naturelle, d’autant plus que l’univers s’inscrit déjà dans un cadre réaliste, bien que mangaesque, ce qui rend son passage en prises de vue réelles plus aisé. C’est à Sato Shinsuke que ce projet a été confié, lui-même habitué à faire de mangas iconiques des long-métrage pour les salles de cinéma japonaises.

Les films en live-action sont un genre très prisé au Japon. Il suffit d’y arpenter quelques cinémas et leurs programmes pour se rendre compte que les films adaptés des mangas phares du pays représentent pas moins du tiers de ce qui est proposé à l’affiche. On y retrouve aussi bien des films d’animation que des adaptations en prises de vue réelles, aussi appelées live action. À titre d’exemple, sur l’année 2023, les salles obscures japonaises accueillent des adaptations live aussi variées qu’un double volet issu de Tokyo Revengers, Rohan au Louvre issu de Jojo’s Bizarre Adventure, ou encore le très populaire Don’t Call it MysteryLà où l’adaptation en animation d’un dessin papier semble naturelle, tel n’est pas le cas d’une adaptation en prises de vue réelles. Retranscrire des personnages et une dynamique propre au manga, dans un univers visuel réaliste et sensible relève souvent d’un subtil jeu d’équilibre pour ne pas tomber dans le mauvais goût et/ou perdre en quelques secondes la suspension d’incrédulité de son spectateur. Les défis à relever pour préserver  la crédibilité d’un live-action sont nombreux, mais il ne semble pas qu’ils posent problème à Sato Shinsuke.

Le défi principal, comme pour de nombreux films du genre, a d’abord été le choix du casting, à savoir trouver des acteurs dont le visage évoque naturellement celui du personnage papier qu’ils incarnent. Le casting de Kingdom a été réussi avec brio car sans même se référer aux costumes, les personnages sont reconnaissables facilement grâce aux traits des acteurs, ce dont atteste par exemple le choix d’Osawa Takao pour incarner le Grand général sous les cieux Ou Ki, une figure centrale du manga au faciès iconique. Ce choix des acteurs contribue grandement au fait que nous croyons à ce qui est porté à l’écran. De plus, un soin minutieux est porté sur les costumes, les détails des décors, ainsi que la photographie, ce qui rend le film crédible et permet une parfaite immersion. Il n’y a pas « d’effet cosplay” comme cela peut être le cas dans bon nombre de live-action

L’une des grandes qualités des films Kingdom est de réussir à nous faire oublier le manga en incarnant parfaitement son récit dans le réel. L’univers de l’œuvre originale est brillamment porté à l’écran, fait de chair, d’os, de poussières et de sang. C’est palpable, et à aucun moment la suspension d’incrédulité n’est brisée ce qui n’est pas une évidence dans l’exercice du genre.

En ce sens, un des grandes réussites de l’adaptation, pour qui connaît un peu l’œuvre originale, a été de rendre crédible des batailles à grande échelle entre armées sans pour autant avoir un budget hollywoodien. Avec un budget avoisinant les 30 M$, Kingdom parvient malgré tout à reconstituer des scènes de guerre entre armées de soldats. Pour combler les limites du budget, Sato Shinsuke mise tout sur sa mise en scène, et un juste équilibre entre une caméra rapprochée au cœur du conflit armé et des plans aériens d’ensemble, ce que les cases du manga faisaient déjà parfaitement. Cela permet d’économiser des figurants, du budget, tout en rendant les affrontements réalistes par leur ampleur et leur énergie. Les séquences d’action sont aussi dynamiques et organiques qu’épiques et font honneur au matériau original. Nous regrettons néanmoins l’absence de violence graphique, celle-ci étant reléguée au hors-champ. Aussi, les moments où les protagonistes font preuve de capacités surhumaines, propres à des héros de shônen, sont parfaitement rendus à l’écran et restent cohérents au sein de la diégèse du film.

En somme, Kingdom est un live action complètement réussi car il évite avec une certaine aisance tous les écueils propres à l’exercice d’adaptation d’un manga à l’écran. La transposition des cases dessinées vers un univers réaliste se fait naturellement et sans accrocs. Cette maîtrise s’explique en partie par le fait que Sato Shinsuke n’en est pas à son premier coup d’essai en matière de live action adaptés de bandes dessinées japonaises. Nous lui devons notamment les adaptations filmées d’œuvres cultes comme Death Note, Bleach ou encore Gantz. Plus récemment encore, il a réalisé peut-être la série japonaise la plus populaire de Netflix, Alice in Borderland adaptée du manga éponyme, déjà avec Yamazaki Kento dans le rôle titre. 

Les films ont toutefois peut-être une écriture trop sérielle et trop fidèle au manga, ce qui vient souvent casser le rythme de la narration et engendre quelques ventres mous notables, surtout à partir du troisième opus, car les arcs narratifs commencent à s’étirer et attendent les films suivants pour se résoudre. Finalement, les films n’apportent rien de nouveau au support original si ce n’est une belle et fidèle adaptation en chair et en os qui aura de quoi ravir les fans et attirer de nouveaux lecteurs. Ce n’est pas un problème majeur car le récit de Hara Yasuhisa est très bien écrit et il passionne par ses intrigues politiques et ses batailles militaires aussi inventives que palpitantes. Il se renouvelle sans cesse.

Kingdom de Sato Shinsuke est une série de films qui sait porter avec une grande maîtrise un univers manga sur le grand écran. C’est un exemple à suivre, et on peut espérer que l’adaptation de l’œuvre de Yasuhisa Hara au cinéma se poursuivra encore dans les années à venir. C’est bien engagé à la vue des scores au box-office national. Le Japon démontre encore par la même occasion qu’un cinéma avec de l’ambition est possible, même avec des moyens limités. 

Rohan Geslouin.

Kingdom de Sato Shinsuke. Japon. Depuis 2019. Deux premiers volets disponibles sur Netflix.

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