John Woo – Coffret Comédie (DVD)

Posté le 22 décembre 2010 par

Petit à petit, HK vidéo continue d’éditer la filmographie hongkongaise de John Woo, si bien qu’assez peu de titres nous restent maintenant étrangers. Ce coffret comédie permet ainsi au public français d’en découvrir quelques unes et pas des moindres puisqu’il s’agit des quatre films réalisés par Woo mettant en scène Ricky Hui. Par Anel Dragic.


Flashback : Au début des années 70, trois énergumènes vont chambouler la comédie cantonaise et le paysage cinématographique de Hong Kong. Ces trois acteurs (et pour certains d’entre eux, chanteurs et réalisateurs… rien d’étonnant, nous sommes à Hong Kong) s’appellent Michael, Sam et Ricky Hui. Trois frères qui vont en l’espace d’une poignée de films exploser tous les records de recettes dans l’ancienne colonie et les consacrer comme les rois de la comédie locale. Parmi ces films, on retrouve la saga Mister Boo composée de méga-succès au box office tels que Games Gamblers Play (1974), The Last Message (1975), The Private Eyes (1976), The Contract (1978) ou encore Security Unlimited (1981), tous réalisés par l’ainé des frères, Michael. Chacun d’eux se classe premier au box office annuel de Hong Kong. Le succès des comédies produites par la Golden Harvest vont, avec celui des films mettant en scène Bruce Lee (qu’elle produit également), changer la donne et imposer le studio comme nouveau leader de l’industrie cinématographique locale, causant progressivement la chute de la Shaw Brothers. C’est donc l’opportunité de lancer de nouveaux réalisateurs, dont ce brave John Woo, qui avait déjà réalisé quelques films d’arts martiaux mais avait aussi coréalisé The Private Eyes pour la Golden Harvest en 1976, en lui proposant de cachetonner sur quelques comédies. L’année suivante le réalisateur retrouve donc Ricky Hui, le frère puîné qui se caractérise par son physique ingrat mais une personnalité attachante, afin de mettre en scène Money Crazy, qui se classera lui aussi premier au box office annuel.

Money Crazy (1977)

Ricky Hui incarne ici un jeune escroc qui vise la fortune en se faisant engager par des “tycoons”, figures extrêmement présentes dans le cinéma locale de l’époque. Il croise sur sa route Richard Ng, un détective privé aux méthodes frauduleuses, lui aussi prêt à escroquer toute personne qui sent un peu l’oseille. Si dans un premiers temps les deux personnages se font concurrence, très vite, ils seront obligés de coopérer pour aider un vieil homme ( Yue Ming), jadis dépossédé de sa fortune par Rich Chan ( Cheung Ying), le patron de Ricky.
Avec un pitch pareil, on ne s’étonne qu’assez peu de voir l’orientation prise par le film. Nous nous retrouvons donc devant une succession de sketchs où les gags fusent. Chaque scène comporte cinq idées à la minutes, la moitié tombant à l’eau, mais rien à craindre: c’est monnaie courante dans la comédie cantonaise ! Dur en effet de garder un tel rythme, surtout avec un humour tendant à la comédie grasse (mais cela reste encore très subtil en comparaison des délires de Wong Jing période fin années 80/début 90).

Money_Crazy

Quelques scènes particulièrement réussies ponctuent le récit. On retrouve ainsi un petit côté Mission : Impossible avant l’heure, ponctuant le récit avec un jeu de déguisement, ou bien une scène de cambriole voyant Richard Ng suspendu à une corde afin de récupérer des diamants attachés au cou dudit tycoon. Le tout se voit même saupoudré d’une pointe d’action avec un final opposant notre duo à Lee Hoi San (l’un des artistes martiaux incontournables du cinéma de Hong Kong) transformé pour l’occasion en homme de bronze. Assez pour reconnaître le grain de folie qui habitait alors la comédie cantonaise. L’équivalent français le plus proche serait probablement l’humour des Charlots, mais en plus acerbe, rassurez vous.

Car outre le rire, l’intérêt de ces films réside aussi dans leur contenu social. Les comédies de Michael Hui basaient en grande partie leur humour sur la représentation de la société hongkongaise de l’époque, et notamment de la fracture sociale opposant les riches aux pauvres. Money Crazy s’inscrit donc dans cette tendance de la comédie sociale et propose encore une fois de rire des inégalités, avec une pointe moraliste à la fin, mais cela reste de bonne guerre.

From Riches to Rags (1980)

From riches

 

A Hong Kong, les films à volonté sociale se sont toujours noyés dans une production de divertissement. Paradoxalement, ce sont par ces films que les critiques les plus virulentes de la société se sont exprimées, soit de manière allégorique, soit plus frontalement, diluées au sein du film. La comédie est l’un des genres les plus emprunts des critiques de la société en exacerbant les défauts de chacun.
Ricky Hui joue cette fois Ying, un jeune ouvrier qui travaille avec son collègue et meilleur ami, Bouboule ( Johnny Koo). Un jour, alors âgé de 27 ans, il apprend que son père et son grand-père sont tous les deux décédés à l’âge de 28 ans. Inquiet que la cause soit héréditaire, il se rend chez un diseur de bonne aventure qui lui annonce sa mort prochaine. Peu de temps après, il gagne au loto. Ying prend alors sa revanche sur la vie mais très vite le vent tourne.

John Woo persiste dans la comédie sociale, mais se montre cette fois-ci beaucoup plus incisif en dépeignant une société où tout tourne autours de l’argent. Ying sera alors confronté à pléthore de situations et de personnages représentant toutes les couches de la société.

Le réalisateur en profite pour opposer la tradition à la réalité économique ; le scénario jouant en permanence sur l’idée de destinée des personnages, qui s’inscrit dans le récit au travers du poids de la tradition chinoise sur le mode de vie des gens modestes.

Plain Jane to the Rescue (1982)

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Plain Jane to the Rescue se montre dans la même veine en nous posant dès de début face à une compagnie qui rachète progressivement toute la ville afin d’imposer son monopole. Dans ce contexte, nous suivons Jane ( Josephine Siao) qui va, en compagnie de son ami Fei Fan ( Ricky Hui), se retrouver prise dans un conflit interne opposant le patron de la compagnie ( Charlie Cho) à son père ( Michael Lee).
On remarque cependant un désintérêt progressif du réalisateur pour ce sujet qui restera sous-jacent tout du long, et ce, afin de se centrer sur le divertissement pur. Et de ce côté, Plain Jane to the Rescue n’a pas à rougir car il s’agit probablement du meilleur film du lot. Les idées loufoques s’enchainent à une vitesse folle qui pourrait presque rappeler les “mo lai to” (comédies cantonaises à l’humour nonsensique) de Wong Jing. Quelques séquences mémorables présentent entre autre un caméo de John Woo se prenant pour Dieu, ou encore une apparition miraculeuse et totalement absurde de Roman Tam, le parrain de la cantopop.

Ce qui fait la grande force du film est sans aucun doute la performance de Josephine Siao dans le premier rôle, qui parvient à effacer tout le casting, Ricky y compris. Son rôle de femme maladroite et binoclarde mais terriblement attachante rend hommage au talent de cette grande dame dont la carrière cinématographie se montre alors sur le déclin.

To Hell With the Devil (1982)

To Hell With the Devil

 

From Riches to Rags, à l’instar de Money Crazy, prolongeait en deux films la vague des comédies sociales rendues populaires par les frères Hui. Plain Jane to the Rescue marquait un premier pas vers du divertissement plus prononcé bien qu’il restait encore des résidus subversifs. Visiblement, ce dernier aspect n’est plus ce qui préoccupe le réalisateur dans ce film, totalement fou !

John Woo et son co-scénariste Szeto Cheuk Han nous racontent cette fois l’affrontement que se livrent les émissaires du paradis et de l’enfer ( Paul Chun Pui et Stanley Fung) qui se disputent l’âme de Ricky. Ce postulat de départ, qui tend à la comédie fantastique, permet au réalisateur de mettre en scène toutes les fantaisies les plus improbables avec le budget le moins conséquent! Nous nous retrouvons donc devant un film très bis à l’humour ultra référentiel allant de l’expressionisme allemand à l’opéra cantonais en passant par le jeu vidéo au détour d’une scène rejouant en live le jeu Space Invaders!

Cependant, l’humour pèche et le rythme du film se montre en deçà des autres films du coffret. John Woo se montrait pourtant plus inspiré dans la mise en scène, mais cela reste à l’instar des autres comédies une œuvre totalement impersonnelle du point de vue stylistique et donc assez pauvre du point de vue esthétique. Dommage alors de constater que ce To Hell With the Devil fait finalement figure du moins bon film des quatre.

Verdict :

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Ce coffret John Woo/Ricky Hui est à la fois appréciable mais tout aussi curieux puisqu’il représente une facette du réalisateur méconnue du public occidental. Certes, ce sont là des films sympathiques, mais loin d’être des chefs d’œuvre. Sans être parmi les films les plus marquants du réalisateur, ces œuvres restent de qualité mais ne rivalisent pas non plus avec les classiques de Michael Hui, entre autres à cause de leur caractère plus gentillet.

On terminera sur une note positive en disant que ces quatre comédies pourront transporter le spectateur curieux par leur ambiance relaxée teintée de canto-pop seventies (les chansons sont chantées par Sam et Ricky Hui). Le voyage est d’autant plus dépaysant que les remasterisations faites par fortune star offrent des copies très propres, malgré quelques imperfections irrécupérables. Notons enfin que parmi les bandes annonces présentes sur les galettes se trouvent celles de Follow the Star et Hello, Late Homecomers, deux autres comédies réalisées par John Woo. Alors qui sait ? Peut-être pour un prochain coffret !

Anel Dragic.

Le coffret John Woo – les comédies, édité par HK Vidéo, est disponible depuis le 02/12/2010.

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