VIDEO – Agitator de Miike Takashi

Posté le 4 avril 2024 par

Un thème commun recoupe les films du coffret Miike Takashi paru récemment chez Spectrum Films : la stylisation sous forme de film d’action du contexte mafieux japonais. Si The City of the Lost Souls joue la carte de l’atmosphère latino, Yakuza Apocalypse, celle du shonen régressif et First Love, d’un univers de thriller déviant, Agitator, sorti en 2001, se veut plutôt un portrait réaliste de la mécanique du système des guerres de gangs yakuzas.

Tsuchiya et Hirata du clan Yokomizo rencontrent Mizushima et Muroi du clan Shirane en secret afin d’unir leurs forces et devenir le groupe le plus puissant du syndicat. Ils vont commencer les hostilités dans un club où Hashida, un membre du clan Higuchi, va poignarder un membre d’un clan rival. Cet incident déclenche alors inévitablement le début des hostilités entre les deux familles. Kaido, va alors en profiter pour devenir le médiateur entre les deux clans et les forcer à s’unir.

Agitator est un film de mafia dont le déroulement peut être, si ce n’est comparé, au moins apparenté à toutes ces œuvres décrivant les rouages du crime organisé : Le Parrain, Scarface, Combat sans code d’honneur, Gomorra… Loin du décalage comique de certains films de Miike, notamment en ce début des années 2000, Agitator développe un effet « boule de neige » dans les milieux claniques, où un code d’honneur mortifère mêlé à un désir de revanche pousse les protagonistes, évoluant dans un cadre sanguinaire, à ne jamais lâcher le morceau et poursuivre les représailles. Éloigné du plaisir cathartique de la violence au cinéma comme Miike peut nous l’offrir de temps à autre, la retenue d’un livreur tatoué de force arraché à sa vie de civil malgré lui, ou les pleurs d’un capo pris en otage, savourant un riz au curry et redoutant que ce ne soit le dernier, a quelque chose d’inconfortable pour le spectateur, de particulièrement dramatique et vraisemblant.

Dans son montage cinéma, le film est long de 2h30, une durée plus longue qu’un format classique qui permet de poser le cadre et mettre en valeur la présence des personnages, nombreux, et leur façon d’interagir. Miike ne donne pas dans la sur-nervosité et fait jouer ses acteurs de manière habitée, de telle manière à renforcer les accents masculins du récit. C’est en effet ce qui ressort du film, volontairement ou non : Agitator dépeint un monde viril, où les hommes ont affaire entre eux et se tuent entre eux. Dans Le Dernier des Yakuzas, le journaliste Jake Adelstein, ayant couvert les faits liés au milieu de la nuit dans Tokyo, fait état de la volonté de la part des yakuzas, dans leurs préceptes, d’écarter les femmes pour de prétendus traits de caractères incompatibles avec le sérieux des affaires. Parfois, Miike Takashi peut se montrer romantique et offrir justement des rôles importants ou intéressants aux femmes dans ses films de mafia ; on le voit bien dans The City of Lost Souls, à la même époque, ou plus tard, dans First Love. Le cinéaste, en réalité, a peint la mafia de mille et une façons, à travers tout le spectre possible que la fiction offre, car la mafia est un registre porteur et fécond dans le cinéma. Et si certains films de mafia ont été pointés du doigt pour leur complaisance – on pense aux films de chevaliers, les films de yakuzas produits par eux-mêmes dans les années 1960 pour leur glorifier leur mythologie -, d’autres, comme ceux de Fukasaku Kinji, poussent leur violence à son paroxysme pour mieux les dénoncer. Difficile de se dire si Miike envisage le ton de ses films aussi sérieusement, en témoignent ses nombreuses œuvres extrêmement fantaisistes. Toujours est-il qu’Agitator est un film qui ne plaisante jamais, qui repousse la présence des femmes comme le décrit Adelstein dans ses reportages, et dont les tenants et aboutissants scénaristiques ont quelque chose d’étouffant et destructeurs. Ce n’est pas le film le plus violent, gore ou malsain de Miike, mais tous les personnages se dirigent vers une autoroute qui mènent à la mort, sans échappatoire possible, piégés par leur rigidité psychologique, enfermés dans un vase clos. Les protagonistes se déplacent librement dans leur décor, celle d’une grande ville japonaise, aussi bien son centre-ville, que ses bars, bureaux ou sa banlieue, mais ne croisent personne d’autre que des mafieux, leurs semblables. C’est finalement cela, leur malédiction, en tout cas dans le monde cinématographique : une absence d’ouverture sociale et psychologique.

Bien que ne s’écartant du registre du film d’action violent, Miike Takashi compose ici une pièce relativement nuancée par rapport à son pan de la filmographie que nous connaissons le mieux. Aucun personnage ne génère d’empathie, et le spectateur assiste à l’autodestruction de ce monde parallèle, qui ne connait rien d’autre que la violence comme langage et comme projet. En 2002, Miike réalise Graveyard of Honor, un remake du Cimetière de la morale de Fukasaku Kinji. Il parvient à rendre ce monde encore plus insupportable et asphyxiant, à l’image de son modèle d’origine, offrant ainsi en quelque sort un prolongement à Agitator.

Maxime Bauer.

Agitator de Miike Takashi. Japon. 2001. Disponible dans le coffret Blu-Ray Miike Takashi sorti chez Spectrum Films en décembre 2023.

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