FIPADOC 2022 – Retour sur une semaine dans la planète document-terre

Posté le 26 janvier 2022 par

Vivre à quelques mètres de l’océan est une expérience en soi pour l’auteur de ces quelques lignes. Vivre ici et jumeler les embruns, le bruit des vagues, le son des mouettes et des centaines d’œuvres documentaires à disposition une semaine durant ressemble au Paradis. Érudit, protéiforme, multiculturel, pédagogique et surtout bienveillant dans son humanité : focus sur les propositions asiatiques (récit, production, réalisation…) forcément non exhaustives du festival Fipadoc. Du théâtre du Casino au Colisée, de la Gare du midi au cinéma Le Royal, bienvenue à Biarritz.

Le Festival international entièrement dédié au documentaire, le Fipadoc a réuni du 17 au 23 janvier près de 200 œuvres et a réuni plus de 30 000 spectateurs. Projections, rencontres – débats, conférences, propositions jeune public et numériques, impossible de citer l’ensemble des possibilités de cette semaine dédiée à la création. Malgré un zoom sur le Benelux cette année, nous avons profité de plusieurs visions artistiques asiatiques dans tous leurs spectres de rayonnement. 9 sélections, 14 prix, carte blanche à Arte, 1 700 professionnels ou 1 100 scolaires, le Fipadoc est un succès grandissant et qui permet à chacun, eu égard aux affects de tous, de trouver chaussure à son pied. Tour d’horizon d’une programmation dense et qui respire la liberté.

Entamons notre voyage avec le court métrage Blood for Horses d’Antonin Lechat qui propose durant une vingtaine de minutes d’apprivoiser le Kok-Boru né au Kirghizistan, sport traditionnel à cheval et les perpétuations familiales de transmission de ses valeurs aux jeunes générations. Autre court métrage à noter pour celles et ceux qui souhaiteront voir ces œuvres sur les plateformes de streaming ou replay : I Don’t Feel at Home Anywhere Anymore. Coproduction entre la Belgique et la Chine, le film de Viv Li est le récit mélancolique d’une étudiante vivant son avenir à l’étranger et la complexité, de retour en terre natale, de ne pas être devenue une déracinée. Drôle, consternant, triste, empathique ou atonal comme un morceau de piano improvisé. Un ovni.

Parmi les talents de la rubrique Jeune Création, on a pu noter Testimony of Ana de Sachin Dheeraj Mudingonda (USA-Inde), qui surprend son auditoire sur 24 minutes et la lutte d’une vieille indienne rurale accusée de sorcellerie et qui navigue entre les accusations de ses pairs, les ambitions capitalistes d’exploration forestière et l’héritage patriarcal. The City of Sun de Maria Semenova abandonne lui le spectateur dans la taïga russe ou la capitale, selon le prisme d’une famille divisée, à la recherche du bonheur, où qu’il soit.

Autre sélection, autre mœurs : la section Histoires d’Europe a mis en valeur deux métrages remarqués. My Favourite War d’Ilze Burkovska Jacobsen, coproduction lettone et norvégienne, qui raconte en animation l’enfance en pleine guerre froide dans la République socialiste soviétique. Mise en lumière de la naissance d’un esprit contestataire face au dogmatisme étatique. Enfin, on peut mentionner le courage d’Aliaksei Paluyan qui plonge cette fois le spectateur dans le quotidien d’une troupe de théâtre clandestine biélorusse, à Minsk. Des contestations pacifistes populaires face aux résultats des élections présidentielles de 2020 aux espoirs contrariés face aux menaces d’interrogatoires et d’arrestations, l’ambiance est lourde et particulièrement pesante.

Concernant les partenariats entre l’Hexagone et le continent asiatique, on citera notamment le très apprécié L’Homme qui peint des gouttes d’eau (quel titre sublime !) d’Oan Kin (coréalisateur avec Brigitte Bouillot, compositeur, scénariste et narrateur). Fruit d’un travail entre la Corée du Sud et la France, cette mélodie du fil du temps subjugue sur ce destin et l’obsession de l’artiste Kim Tschang-yeul. Peindre des gouttes d’eau et, au crépuscule de son voyage, livrer enfin à son héritier (français et réalisateur du film), les origines de sa vocation. Puissant et émouvant.

La carte blanche d’Arte fut tout aussi poignante : L’Image manquante (France-Cambodge) mis en scène par le très célèbre Rithy Panh, revient une nouvelle fois sur la machine de mort du régime des des Khmers rouges. Raconter des atrocités avec des personnages en pâte à modeler n’enlève ici rien à l’évocation de ces vies perdues, de ces visages qu’on tâche de ne pas oublier pour peut-être, un jour, connaître la sérénité dans la commémoration.

Pour la section Documentaire impact, East Asia a décidé de mettre en lumière trois métrages. Revolution of Our Times de Kiwi Chow est le récit du combat des Hongkongais depuis un demi-siècle pour la liberté, notamment en réaction au projet de loi d’extradition vers la Chine. Tout aussi féroce, Writing With Fire (décidément les titres cette année, c’est du caviar) de Rintu Thomas et Sushmit Gosh explore le quotidien de Dalits (hors castes et jugés impurs), intouchables et pourtant à la tête du seul journal tenu par des femmes en Inde. Quand le journalisme devient l’arme la plus puissante pour combattre dans l’arène politique, traditionnelle ou sociale… Enfin, le documentaire français de François Reinhard, Chine, le drame ouïghour a particulièrement marqué les spectateurs. La politique chinoise au Xinjiang à l’égard de la population ouïghoure est tout simplement qualifiée de génocide. Plus d’un million de personnes sont internées arbitrairement et « jouissent de divers plaisirs » : du travail forcé à la torture, de stérilisations contraintes à la «rééducation» culturelle de tous… Un bouleversant témoignage sur l’objectif du parti communiste chinois qui en 2022, reste incompréhensible, révoltant, insupportable et épidermique. Un uppercut en plein cœur.

Antépénultième évocation, l’espace Smart du festival fut l’occasion de se livrer à diverses expériences numériques. Réalité virtuelle ou augmentée, podcasts, récits interactifs ou web-séries, le festival souhaite dynamiser son auditoire (notamment pour les familles et scolaires) à l’image de la médiathèque de la ville dans laquelle se multiplie les nombreux ateliers destinés à l’audiovisuel pour toutes les générations. Sur réservation et entièrement gratuit, cette espace d’expérimentation fut l’occasion de découvrir Reeducated (USA-Kazakhstan) de Sam Wolson et Matt Huynh, film en 360 emmenant le spectateur dans un camp de «rééducation» cité plus haut, au Xinjiang. Guidé par le souvenir d’anciens, le film propose l’expérience de ce qui est considéré comme la plus grande campagne d’internement de masse de minorités religieuses et ethniques depuis 1945. Concernant la réalité virtuelle, sont à citer Kusunda (Allemagne, Népal, Taïwan, USA, Suède, Suisse) de Felix Gaedtke et les décisions inter-générationnelles entre un chaman indigène résigné quant à l’avenir menacé de sa langue maternelle et sa petite-fille, déterminée à la sauver. La Plage de sable étoilée (France-Taïwan) de Nina Barbier et Huang Hsin-chien part lui à la découverte de foraminifères (protozoaires au squelette minéral perforé) à l’intérêt écologique primordial mais menacés par le réchauffement climatique. Missing Pictures EP. 2: Tsai Ming-liang, The Seven Story Building (France, Royaume Uni, Luxembourg, Corée du Sud, Taïwan) de Clément Deneux et Lai Kuan-yuan explore la destinée de certains projets de films n’ayant jamais abouti avec le réalisateur comme fil rouge.

Avant de terminer par la sélection coup de cœur du festival, la section Panorama de la création francophone mérite elle aussi un coup de projecteur. De Massoud, l’héritage de Nicolas Jallot et le récit par son fils de l’itinéraire du commandant afghan à La Caviar Connection de Benoît Bringer sur le mariage de l’autre or noir avec les régimes dictatoriaux de l’Asie centrale et les conséquences de la corruption, la sélection est à saluer par la qualité des enquêtes. Terminons enfin par un vrai moment de découverte intense et émouvante avec le sublime L’Hypothèse de Zimov (France-Belgique-Russie) de Denis Sneguirev et la non moins hypnotisante de beauté musicale de Tito de Pinho. Un conte insoupçonné (où l’on se sent parfois, avouons-le, admirateur mais désarçonné au regard du sens de notre propre existence) situé en Sibérie orientale. Là, deux scientifiques russes, père et fils, tentent tout simplement de sauver l’humanité… En essayant de vider une piscine avec des verres à eau (pas impossible donc mais long), ils réintroduisent des animaux millénaires herbivores (rennes, bisons, chevaux sauvages…) pour repeupler les plaines désertiques et piétiner la neige isolante afin de limiter puis stopper la fonte du permafrost datant de l’âge de glace et ses potentielles conséquences cataclysmiques. Il faut les voir démontrer la combustion du méthane sortie d’un lac, partager leur travail à Harvard ou transporter à 4 un animal mourant «comme s’il» s’agissait de sauver l’avenir des hommes. Indicible…

Dernière dégustation, la bienvenue nouvelle friandise, le goût du doc. Le Pays Basque est évidemment célébré pour ses produits d’exception et son amour de la gastronomie. Le festival profite donc pour cette nouvelle édition de présenter quelques œuvres traitant des plaisirs de la table. Dionysos n’aurait pas fait mieux. Le Goût du désir (Pays-Bas), voyage onirique mis en scène par Willemiek Kluijfhout, explore dans une rêverie et une réflexion toute particulière le mystère de l’huître. Objet de fascination depuis toujours, haï par certains, vénéré par d’autres, le mollusque marin divise mais parfois se mue en obsession. C’est là tout le sens que la réalisatrice souhaite donner à son texte. Sa mise en scène formellement très travaillée (trop ?) et les portraits de divers destins contrariés sont un choix particulièrement pertinent. Comme un effeuillage d’une danseuse burlesque, le film traîne parfois en longueur et déplaît par son rapport au luxe mais séduit toujours lorsqu’il se raconte en poésie et en douceur. On songera alors à cette créatrice japonaise de perles d’exception car non calibrées et imparfaites, comme une puissante ode à l’anticonformisme et à la détermination malgré les scarifications inhérentes à tout sacrifice.

A noter pour terminer : deux œuvres toutes aussi singulières. The Wandering Chef (Corée du Sud) de Park Hye-ryeong suit les aventures intérieures du «chef errant» Jiho Yim dans son voyage initiatique pour retrouver ses origines. Parcourant son âme à travers monts et vallées, prétextant la recherche d’ingrédients sauvages originaux, le film multiplie les plans en pleine nature et de plats d’exception avec une subtilité déconcertante. Humainement, formellement, intimement : un leçon de courage qui trouvera peut-être la félicité au fil des rencontres pour ce qui est l’un des plus beaux films à voir au festival.

Come Back Anytime (Japon), réalisé par John Daschbach, est un vibrant hommage à l’un des plats les plus emblématiques de l’ archipel nippon : la soupe de nouilles ou ramen. Accompagnant le maître autodidacte Ueda Masamoto et sa compagne Kazuko, le film suit les restaurateurs à l’approche de leur dernier service, dans le temple qu’ils ont créé. Un champ des possibles infini, intime et dont les souvenirs illimités accompagneront le couple une fois les lumières éteintes, une dernière fois.

Lieu de rencontres, de convivialité, de bienveillance, d’érudition artistique, de courage, de dénonciation politique ou tout simplement de recherche de beauté, cette 4eme édition fut un succès thématique et humain. Que tous les bénévoles et petites mains, pour leurs sourires masqués mais visibles et leurs yeux rieurs en soient les premiers remerciés.

Jonathan Deladerrière 

Fipadoc 2022, Biarritz, du 17 au 23 janvier 2022

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