UDINE 2012, Far East Film Festival – Jour 2 : De « l’Amour » à l’état « brutes »

Posté le 22 avril 2012 par

Alors que la tempête faisait rage dehors, le célèbre TEATRO d’Udine tentait de réchauffer les cœurs en balançant une série de comédies romantiques capables de faire fondre le plus endurci des célibataires. Par Bastian meiresonne.

Le rendez-vous était donné dès 9 heures pour l’excellente comédie chinoise Love is not blind de Teng Huatao. Pas besoin de s’attarder sur un film déjà parfaitement abordé par Alexandra, si ce n’est pour dire, que cette énième adaptation d’une nouvelle d’Internet vaut vraiment pour l’excellence de son interprétation, le franc comique de situation capable de rivaliser avec les meilleures comédies américaines du genre et surtout par le détournement du message habituel, qui favorise la réussite économique avant la réussite amoureuse. Alors que dans les dizaines (voire la centaine des 700 films chinois produits par an actuellement, c’est le succès social qui prend le dessus sur les sentiments, Love is not blind n’a pas peur de renvoyer à la notion plus « occidentale », où le sentiment prend le dessus sur la raison). Ce qui n’empêche pas que les deux protagonistes habitent des appartements de tarés, fréquentent des cafés dernière tendance et sirotent du vin de bourgeois… MAIS, cette comédie en vaut des dizaines d’autres à sortir quotidiennement en Chine actuelle.

La même chose pourrait s’appliquer à l’incroyable carton taïwanais de ces dernières années, You are the apple of my eye, qui a non seulement créé la surprise en s’imposant second champion de l’année (5,3 millions de dollars, juste derrière Seediq Bale 1 avec 5,8 millions, mais loin devant les 3,9 millions de Seediq Bale 2), mais qui a surtout pulvérisé le box-office hongkongais en s’imposant comme le plus gros succès « chinois » (sic) de tous les temps en reléguant le détendeur du record Crazy Kung Fu en bon second après seulement 30 jours d’exploitation. You are… est l’adaptation ciné des billets d’humeur quotidiens du blog du réalisateur Giddens sur sa supposée propre folle jeunesse. Franchement, en le voyant monter sur la scène du TEATRO pour introduire son propre film, on a dû mal à le confondre avec son alter ego bagarreur et fort en gueule du film, surtout quand il met la pâtée à tout le monde en seconde partie du film. Il n’empêche, sa chronique adolescente des années 1990 reste efficace, en ruminant pas mal de souvenirs propres à une culture geek universelle… Tout juste regrettera-t-on certains raccourcis un peu faciles, directement inspirés de la franchise des American Pie ou – pire – de Porky’s dans sa description un peu facile de ses copains ou déboires sexuels. Si l’incroyable succès à Taiwan et à Hong Kong peut paraître quelque peu démesuré, You are… reste une chronique sympatoche supérieure à la plupart des autres tentatives du genre de ces dernières années.

Giddens n’est pas une valeur sûre pour autant, l’adaptation (par un autre réalisateur) de sa série d’assassin The killer who never kills sorti dans la foulée du succès de You are… ayant été loin de faire carton plein (6e du BO de l’année avec un peu moins de 600.000 dollars de recettes).

Sans avoir cartonné, Love strikes! est l’un de ces nombreux « sleepers hits » à assurer des bons retours sur bénéfices à leurs producteurs et assurer des parts de marché supérieurs à 50 % à la production locale. Sempiternelle transposition sur grand écran d’un dorama (série TV), lui-même adapté d’un manga, Love strikes! perpétue les déboires amoureux du jeune Fujimoto Yukio après qu’il ait été largué à la fin de la série télé. Pensant sa vie sexuelle terminée à 31 ans, il s’adonne pleinement à sa passion de geek, en tchatant jour et nuit sur des forums dédiés. Il sympathise avec un compagnon d’infortune – qui s’avère finalement une magnifique demoiselle… casée lors de leur première rencontre. Miyuki a caché son vrai sexe pour ne pas être embêtée par la communauté quasi exclusivement composé de mâles en manque de sensations – et vu la perfection de sa silhouette, on le comprend. En attendant, notre ami Fujimoto se met dans tous ses états, surtout que Miyuki ne sera bientôt plus la seule à lui taper dans l’œil : le jeune homme est en plein « moteki », une phase de la trentaine, où toutes les femmes tomberaient prétendument pour le sexe opposé…

Bref, Love strikes! est une autre de ces nombreuses comédies pas désagréables soit dit en passant, mais finalement la sage adaptation sans aucune personnalité d’après un manga sympatoche, mais aux allures de déjà-vu. On sourit donc, plus que l’on n’en rit des nombreuses mésaventures de Fujimoto, personnage attachant, sans avoir le génie des plus grands personnages comiques.

Autre film « passionné », à défaut d’être passionnant, il y avait le sixième long d’Ogigami Naoko. Réalisatrice des prometteurs Yoshino’s Barbershop (2003), Kamome Dinner (2006) et – surtout Megane (Glasses) en 2007, elle n’a pas encore connu la consécration critique ou publique – et ce n’est malheureusement pas ce Rent-a-cat qui va déroger à la règle. Présenté dans la sélection « Panorama » du dernier festival de Berlin, ce long avait été très mis en avant par les organisateurs du festival d’Udine avant d’être (in)explicablement reléguée en seconde partie du dimanche après-midi… ou plutôt non : car si le postulat d’une femme « louant » des chats perdus sans collier semblait prometteur sur papier, le résultat est beaucoup moins convaincant. Donc OUI, nous sommes face à une âme quelque peu paumée, qui recueille des chats pour les re-dispatcher à des gens tout autant perdus… bien… Sauf que ces personnes ne présentent ni grand intérêt, ni ne font véritablement avancer notre héroïne principale dans ses propres recherches. Tout juste retiendra-t-on une accumulation de rencontres plus ou moins agréables, rapidement répétitives sans que cela fasse avancer personne en général. Personnellement, je retiendrai juste cette scène extraordinaire de « location » de chat, malheureusement les cinq seules bonnes minutes de ce trop long film…

Trop long, comme le dernier film de Johnnie To… qui n’a aucun mérite d’exister et aurait mieux fait de ne pas se faire du tout. Et pourtant, je l’adore Johnnie, je lui pardonne pas mal de choses… mais alors, son dernier Romancing in thin air… pas moyen !!! J’aurais dû m’en douter pourtant, quand il a accepté son « prix d’honneur » du bout des lèvres et qu’il s’est éclipsé en 4e vitesse après un discours des plus primaires, espérant qu’on allait « apprécier » ce film « commercial uniquement tourné pour la Chine ». Ouais.

On le sait maintenant, Johnnie enchaîne des projets plus personnels avec des projets plus commerciaux et, que ce soit dans l’archipel hongkongais (ou un PTU talonnait un Love for all seaons et un Turn left, turn right), ou sur le marché chinois émergent. Après son intéressant Life without principle, tourné – comme Sparrow avant lui – entre potes sur plusieurs mois sans vrai scénario, voici donc Romancing in the air, censé conquérir le juteux marché chinois et renflouer ses caisses… ARGH ! Je lui en veux. Même si cela reste du marketing, j’en veux à Johnnie To et son scénariste Wai Ka-Fai d’accoucher des tels scénariis abscons et improbables. On sait que l’on a affaire à une débilité sans nom, quand on devine la fin dès la 5eminute du film. On le sait, quand Louis Koo – comme Daniel Wu dans Don’t go avant lui… – se passe en un plan, trois images de la bouteille, alors qu’il est censé être alcoolo… On le sait quand le réal passe de longues minutes à filmer un camion embourbé sans que cela n’apporte quoi que ce soit au scénario. Bref, la belle Sammi Cheng rate une nouvelle fois l’occasion de renouer avec le grand public après sa mise à l’écart suite à l’échec injustifiée de Everlasting regret et (plus compréhensible) de Lady Crook and Papa Crook.

La médiocrité de Romancing…, devrait être étudiée dans toutes les écoles du monde pour tout ce qu’il ne faudrait PAS faire sur le tournage d’un long.

**SPOILERS**

À commencer par l’histoire pas crédible pour deux sous. Une baba cool viendrait donc une fois par an se réfugier au trou du cul du monde, en emportant petits hauts Chanel et chaussures talons aiguilles ? Son lover de bûcheron finirait donc par se perdre dans la forêt, en passant systématiquement devant des arbres marqués d’un signe sans le voir pour errer pendant des ANNEES sans s’en sortir, alors qu’il aurait suffi de tracer tout droit pour FORCEMENT en voir le bout à un moment ou un autre. Et je ne parle même pas de l’incapacité de l’armée chinoise à retrouver un cadavre planqué à 50 mètres (!!!) de l’orée des bois après des années de recherche ?

**FIN SPOILERS**

Et j’en passe et j’en oublie des meilleures. Bref, certainement pas le film le plus apprécié de la sélection !!!

Après cette avalanche de guimauve et de bons sentiments sirupeux, rien de tel que deux bons uppercuts coréens en pleine tronche pour se remettre les idées en place.

On commence en douceur avec un film coréen passé un peu inaperçu en 2011, Moby Dick. Un thriller politique dans la droite lignée de Bloody Tie ou The Unjust pour citer un exemple plus récent, qui tient moins en haleine par ses rares courses-poursuites haletantes (parfaitement exécutées), plutôt que par l’intelligence de l’écriture et du scénario totalement imprévisible. Soit le jeune reporter Lee Bang-woo, qui se dévoue corps et âme à ce qui semblerait une conspiration à très grande échelle dans une Corée de la première moitié des années 1990 en proie à l’instabilité politique, au doute et à la paranoïa.

Comme souvent dans ce type de film, moins on en sait, mieux ça vaut pour ménager l’effet de surprise, même si l’intrigue n’est pas avare en rebondissements. Du classique de Melville, l’on ne retrouve finalement que l’obstination de son personnage principal à aller au bout de ses propres obsessions – peu importe le prix de sa propre vie et de celle des autres. Pur produit de divertissement, Moby Dick ne prétend évidemment pas à la même qualité de dissection du comportement humain… mais il n’empêche que cette chasse à l’homme est parfois aussi haletante que celle à la grosse baleine.

L’uppercut arrivera sous la forme de Front Line… Si à chaque nouveau film de guerre on pense la description de la sauvagerie au combat atteinte, Front Line remet assurément une grosse couche. Rarement la barbarie des combats de guerre n’a été montrée de manière aussi réaliste que dans le présent film où ça charcle, dégomme et mutile à tout va… Des scènes d’autant plus cruelles, que le postulat (très proche de l’américain Hamburger Hill) inspiré d’un fait divers réel démontre la bêtise même des conflits. Soit une gueguerre à répétition entre coréens du Nord et du Sud pour s’emparer… d’une colline sans autre intérêt que de servir de preuve de force des dirigeants absents du terrain. Chaque assaut coûte donc la vie à plusieurs centaines, voire milliers d’hommes jusqu’à la prochaine reprise du camp adverse. La situation est telle, que les sudistes vont jusqu’à enterrer des provisions en haut de la colline pour les déterrer lors de la reprise suivante.

C’est sans aucun doute le minima d’intrigue, ainsi que la noirceur du propos, qui a valu au film de l’ancien assistant de Kim Ki-duk, Jang Hu (Rough Cut, Secret Reunion) de connaître un échec relatif lors de sa sortie au cinéma avec moins de 3 millions d’entrées. Pourtant, ce simple postulat permet une nouvelle fois au réalisateur de disséquer le for intérieur de ses personnages, d’après un scénario fort en rebondissements de Park Sang-yeon, auteur du livre ayant inspiré le JSA de Park Chan-wook. L’ultime assaut est d’une brutalité incroyable, à la fois visuellement et dans son propos de dénonciation… Et la boucle de la programmation de la journée est bouclée par la morale, qui en découle : « Faites l’amour, pas la guerre ».

Quant à la table ronde, elle donnait la parole aux jeunes réalisateurs de la « Fresh Wave », en la présence (et sous l’égide) de Johnnie To. Une belle occasion de vérifier une nouvelle fois l’existence d’un pool de jeunes créateurs, qui manquent juste de moyens de production et – surtout – de diffusion de leurs œuvres pour se faire connaître des professionnels et du public.

Bastian Meiresonne.

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