VIDEO – Satyajit Ray, réalisateur de Shyam Benegal : clefs d’un cinéma humaniste

Posté le 29 février 2024 par

En 1982, le réalisateur Shyam Benegal décide de consacrer un documentaire à Satyajit Ray, alors au sommet de sa carrière. Grand habitué du genre, il filme le maître du cinéma bengali en alternant scènes de tournages, extraits de ses long-métrages et entretiens. Satyajit Ray, réalisateur est disponible en bonus dans un coffret DVD et Blu-Ray consacré à La Trilogie d’Apu, et édité par Carlotta Films

Sur le plateau de La Maison et le Monde (1984), Satyajit Ray est un réalisateur sans cesse en mouvement. Avec calme et autorité, il contrôle tous les aspects du tournage, du moindre bibelot à la couleur des cheveux de ses acteurs. Minutieux, il les recoiffe, décide au dernier moment d’enlever sa moustache à un personnage, dirige les regards et les postures au centimètre près. “That’s the shot”, s’exclame-t-il avec enthousiasme quand il estime que son plan est fin prêt à être tourné. 

Sans voix off, offrant au spectateur le ballet fascinant des allées et venues de Ray devant et derrière la caméra, Shyam Benegal donne à voir la méthode de travail d’un homme perfectionniste, attentif mais toujours bienveillant et à l’écoute.  Malheureusement pour nous, le cinéaste ne consacre qu’une vingtaine de minutes à cette incursion captivante dans l’univers de tournage de Satyajit Ray, et c’est avec regret qu’on sort de l’observation tout aussi poétique que méthodique de ce grand homme du 7e art. 

Le reste du documentaire est en effet consacré à une série d’entretiens que Benegal a mené avec Ray, pour nous permettre de comprendre avec ses propres mots son parcours, ses influences et ses conceptions du récit et de la forme. 

L’enfance de Satyajit Ray en particulier a été déterminante dans la conception de ses œuvres, cinématographiques ou littéraires. C’est notamment le cas au sein de la Trilogie d’Apu : l’imprimerie dans Aparajito est un clin d’œil à ses aïeux et à son lieu de naissance (un lieu qu’on retrouvera quelques années plus tard dans Charulata et qui marque son attachement à la modernité), tandis que sa représentation de la mère d’Apu est directement inspirée de sa relation avec sa propre mère, qui l’a aussi élevée seule après la mort précoce de son père. 

Ray s’attarde d’ailleurs au cours d’un entretien sur cette mère courageuse et résiliente, qui travaille durement tout en lui faisant l’école à la maison jusqu’à ses 9 ans. Reconnaissant et admiratif, c’est à travers toutes ses œuvres que le réalisateur lui rend finalement hommage, en offrant aux femmes des rôles complexes, dignes et puissants face à des hommes dont il souligne souvent la lâcheté ou l’incompréhension. Dans le cinéma de Satyajit Ray, les femmes sont l’incarnation de sa vision humaniste du monde, association allégorique perpétuelle d’une douceur et d’une force élémentaire. 

Autre figure majeure de sa filmographie, l’enfant est dès ses débuts un personnage incontournable pour le réalisateur. Après avoir voulu adapter La Maison et le Monde de Rabindranath Tagore, Satyajit Ray se tourne tout compte fait vers Pather Panchali, ouvrage en deux tomes d’un autre auteur bengali, Bibhutibhushan Bandopadhyay, qu’il avait quelques années auparavant illustré. “Je pensais être fait pour diriger des enfants”, confie le réalisateur à Shyam Benegal, en expliquant que son grand-père était un précurseur de l’édition jeunesse. 

Avec le tournage de ce qui deviendra progressivement la trilogie la plus célèbre du grand- écran en Inde, on comprend donc que Satyajit Ray pose les premières pierres d’un nouveau cinéma indien et de toute son œuvre future. “Il n’a jamais été facile de réaliser des films ici, admet-il. Le cinéma indien de l’époque nous a appris tout ce qu’il ne fallait pas faire. On était très critiques du cinéma bengali. On trouvait la plupart de nos productions très fausses, irréalistes et médiocres, commerciales dans le mauvais sens du terme.”

Pour Pather Panchali, il tourne chronologiquement par la force des choses, sans scénario et en utilisant tous types d’objectifs : “on prenait tout ce qui était disponible à la location. Pour les répliques, j’avais tout dans la tête. On a appris la réalisation de films sur ce tournage. Cela a duré deux ans et demi à cause des financements, donc on voit la technique s’améliorer au fur et à mesure du visionnage.” Il le souligne, il n’a jamais été un grand amoureux de la forme : seuls le sujet et l’impact des images sans artifices l’intéressent vraiment, contrairement à certains de ses contemporains comme Ritwik Ghatak“J’aime être un réalisateur indirect, conclut-il. Mes dialogues sont très fonctionnels. Tout est dans l’observation des gestes et des regards”. 

Au fil des entretiens, c’est un réalisateur profondément humaniste et travailleur acharné qui se dévoile. Se positionnant sans le vouloir en maître à penser, Satyajit Ray nous donne les clefs d’un septième art exigeant, libre et audacieux qui continue d’inspirer, malgré les difficultés croissantes que connaît le secteur, les cinéastes indiens de notre temps. 

Audrey Dugast 

Satyajit Ray réalisateur, de Shyam Benegal. Inde. 1982. Disponible dans le coffret DVD et Blu-Ray La Trilogue d’Apu chez Carlotta le 05/12/2023

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