ALLERS-RETOURS 2024 – The Last Year of Darkness de Ben Mullinkosson

Posté le 24 février 2024 par

Sans doute l’un des meilleurs crus du millésime 2024 de l’Allers-Retours, The Last Year of Darkness documente la jeunesse nocturne et la scène musicale underground de Chengdu au gré des métamorphoses de la mégapole sichuanaise. Une capsule temporelle saisissante réalisée par l’Américain Ben Mullinkosson, dans la sélection officielle de l’International Documentary Film Festival d’Amsterdam.

Né à Chicago et formé au cinéma documentaire en Californie, la Chine paraissait encore lointaine aux yeux de Ben Mullinkosson. Lorsqu’il se rend à la capitale sichuanaise en 2010, il découvre une ville au-delà de tout ce qu’il avait imaginé, hors norme, fougueuse et incandescente. Le cinéaste, qui se décrit comme un « non-fiction storyteller », se lance sur plusieurs années de tournage afin de capturer l’énergie si singulière de la jeunesse cosmopolite de Chengdu, sur le terrain le plus fertile qui soit pour en rétablir à l’écran le cœur en fusion : le Funky Town, centre névralgique de la culture underground locale.

L’intention artistique de Ben Mullinkosson s’inscrit aux antipodes de la tradition documentaire chinoise dont le dispositif se veut restituer le réel dans une démarche ontologique, sinon bazinienne très stricte, comme le prouvent les quelques autres documentaires de la sélection de l’Allers-Retours de cette année (Silence in the Dust de Li Whei ou Man in Black de Wang Bing). Ce n’est pas la réalité brute que Ben cherche à harponner, mais un instant éphémère dans la course imperturbable du temps, unique par nature, flottant au rythme des 140 bpm des basses du Funky Town et des chassés-croisés entre les individus qui s’y retrouvent pour s’oublier. Documentariste, certes, Ben ne s’interdit pas d’emprunter aux artifices de la fiction pour raconter l’histoire de ces jeunes marginaux aux genres, origines et personnalités si différents. Le tournage est à l’image du résultat : un lieu de fête et de désinvolture où la caméra doit d’abord se faire accepter du groupe avant d’en solliciter l’intimité.

Quelques années plus tôt, All These Sleepless Nights (2016) de Michal Marczak suivait le même cheminement dans la capitale polonaise, à savoir un groupe de jeunes adeptes de musique techno aux prises avec les contradictions existentielles de leurs conceptions respectives. The Last Year of Darkness exhume à son tour le spleen de chacun des personnages, qui ne pouvaient se montrer plus vulnérables que lorsque ceux-ci s’abandonnent à l’instant présent sur le dancefloor. Tourné sur trois longues années, c’est toute la ville de Chengdu qui se métamorphose en parallèle de ce petit univers microcosmique qui se délabre et se reconstruit sans cesse au premier plan comme en toile de fond. La partition mélancolique que Ben Mullinkosson compose pour The Last Year of Darkness laisse un témoignage précieux pour les générations à venir.

Richard Guerry.

The Last Year of Darkness de Ben Mullinkosson. Chine-USA. 2023. Projeté au Festival Allers-Retours 2024.

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