FESTIVAL DES 3 CONTINENTS 2023 – Entretien avec Dominic Sangma pour Rapture

Posté le 21 décembre 2023 par

Le réalisateur indien Dominic Sangma était invité cette année par le Festival des 3 Continents dans le cadre de son film Rapture (2023), retenu en sélection officielle. Il a accepté de nous rencontrer pour parler de ses racines et de son travail dans une région encore méconnue du pays de Gandhi, le Meghalaya.  

Pouvez-vous nous décrire l’État dont vous êtes originaire ? 

Je viens d’une région qu’on appelle généralement le Nord-Est en Inde. Il est facile de nous reconnaître par notre apparence et notre culture, très différentes du reste du pays. C’est une zone tribale : on trouve les peuples Garo, les Kasi… Des gens des collines. Mon État s’appelle le Meghalaya, et nous partageons une frontière avec le Bangladesh. Les autres Etats de la région sont entre la Chine, le Tibet, le Myanmar, le Népal ou encore le Bhoutan.

Au Meghalaya, nous avons trois tribus principales : les Garo, les Jaintia et les Khasi. Ma “colline” est celle des Garo. Nous parlons tous une langue différente, et il est parfois difficile de nous comprendre entre habitants d’un même État !

C’est un État très chrétien n’est-ce pas ? 

Les gens ont parfois du mal à y croire car ils pensent que tous les Indiens sont hindous, mais oui. C’est dû à la colonisation et à l’installation de nombreux missionnaires européens. J’appartiens moi-même à une famille catholique : deux de mes sœurs sont nonnes, et mon père est leader de l’église locale.

Ce qui se passe dans le film est donc inspiré de faits réels. J’ai grandi dans cet environnement mais j’aime soulever des questions, mettre la vérité à jour dans une communauté pleine de secrets. 

On le voit dans le film, les pratiques tribales existent pourtant encore… 

La religion chrétienne s’est implantée il y a très longtemps. Mon arrière-grand-père était d’ailleurs un chaman converti au catholicisme. Aujourd’hui, il existe encore des communautés indigènes, mais elles sont très peu nombreuses, et il est triste d’observer que les chrétiens locaux les regardent de haut et perçoivent leurs pratiques et leurs croyances comme bizarres. 

Nous ne savons pas comment les protéger, car c’est une culture orale. Elles disparaissent donc progressivement. 

Peut-on dire que Rapture est un film sur ce que la peur et le rejet de l’autre peuvent faire à une communauté ? 

La peur peut être réelle ou bien imaginée. Parfois, elle est même créée dans le but de contrôler quelqu’un ou quelque chose. Dans le film, les personnages ne sont pas toujours sûrs de quoi ils ont peur. Tout est une question de perspective, et c’est ce que j’essaie de montrer dans le film, en explorant ce sentiment : une éclipse peut juste être un phénomène, des vaches touchées par la foudre juste un accident. Mais les êtres humains ont besoin d’explications, alors ils tentent de faire sens de ce qui leur arrive, par la religion notamment. 

Cette peur, je l’ai vécue en tant qu’enfant : le personnage de Kasan est une part de moi. Les étrangers me terrorisaient. Comme lui, je souffrais de cécité nocturne et mes amis me jouaient des tours. Cela me faisait pleurer et eux riaient. J’ai aussi assisté à l’arrivée d’une statue de la Vierge Marie dans le village qui était synonyme d’une Apocalypse proche, promettant quarante jours et quarante nuits d’obscurité. 

En grandissant, j’ai oublié tout cela. Ce qui se passe en ce moment dans le pays a fait remonter des souvenirs à la surface, et j’ai compris que la peur n’avait pas disparu. Je me suis rappelé des secrets que j’avais dû garder enfant, de cette loi du silence face aux actes commis au sein du village.  

Comment avez-vous traduit cela à l’écran ? 

Je voulais créer un doute dans l’audience : comme les personnages, il fallait que les spectateurs ressentent une crainte inexpliquée, qu’ils observent des situations impossibles à comprendre entièrement. Pour cela, j’ai privilégié une grande profondeur de champ dans mes plans, afin d’amener plusieurs grilles de lecture. En fonction d’où il pose son regard, un spectateur ne verra pas l’histoire de la même façon qu’un autre.

Le choix de l’acteur interprétant Kasan a-t-il été facile ? 

Toutes les personnes qui jouent dans le film sont originaires des collines Garo, et la plupart des figurants sont de mon village. 

Pour Kasan, j’avais d’abord trouvé un jeune garçon dans un hôpital qui opère les becs-de-lièvre. Nous avons travaillé pendant un an, puis, à une semaine du début du tournage, il a décidé qu’être acteur n’était pas pour lui. Je suis donc retourné à l’hôpital et j’ai trouvé Torikhu A. Sangma. En une semaine, il a tout compris et est devenu l’un des meilleurs acteurs du film. C’est un garçon très intelligent. Il faisait toutes les bêtises possibles quand il ne jouait pas, mais une fois devant la caméra, il devenait extrêmement professionnel. J’espère pouvoir retravailler avec lui à l’avenir. 

Avez-vous de futurs projets en tête ? 

Rapture fait partie d’une trilogie, que j’ai commencée avec mon premier film. Je me lance donc dans le troisième récit. 

Propos recueillis par Audrey Dugast à Nantes

Remerciements au Festival des 3 Continents.

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