FFCP 2023 – The Night Owl d’Ahn Tae-jin

Posté le 10 novembre 2023 par

Premier long-métrage d’Ahn Tae-jin, présenté dans la section Paysage de la 18ème édition du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP), The Night Owl nous embarque dans le Joseon médiéval et ses intrigues de cour sanglantes.

Kyung‑soo, talentueux acupuncteur malvoyant, fait ses preuves et entre à la cour royale. Quand le prince héritier revient au palais après des années de captivité, des conspirations se mettent en place autour de la succession du roi Injo. Kyung‑soo devient alors le témoin involontaire des rivalités pour monter sur le trône.

Assistant réalisateur de Lee Joon-ik sur Le Roi et le Clown, Ahn Tae-jin a été à bonne école et semble avoir tiré le meilleur de la collaboration. Film d’époque à la reconstitution soignée, un choix audacieux pour un premier long, The Night Owl est avant tout un passionnant thriller politique interrogeant les dérives du pouvoir et la valeur de la résistance.

Le film résiste lui-même à de nombreux écueils du drame en costumes, préférant resserrer son récit sur ses personnages, en premier lieu son héros dont la particularité sert à la fois le mystère et le suspense de l’ensemble. Le toujours excellent Ryu Jun-yeol endosse le rôle de Kyung-soo, l’acupuncteur aveugle par lequel nous entrons au palais et dans l’histoire. Pris entre son ambition d’être remarqué et sa volonté de ne pas faire de vagues, Kyung-soo s’accommode des petites tricheries que les autres se permettent mais n’hésite pas à le leur rendre, en utilisant ses sens ou ses talents. D’emblée, le personnage revêt une ambivalence qui le rend aussi attachant qu’intriguant, et idéalement servi par son interprète. Loin de demeurer un simple élément du scénario, la cécité du protagoniste s’insère pleinement dans la mise en scène avec efficacité et intelligence. Le film joue sur les autres sens, en particulier le son, fausse les perceptions (fonctionnant à plein dans plusieurs scènes clés du film) et installe ainsi une tension quasi-constante dans les interactions entre les personnages et les événements de l’intrigue. La réalisation joue également des palettes de couleurs, l’action ayant une portée différente selon que l’on est le jour ou la nuit, et adapte son rythme en conséquence, tout en s’attachant à des tas de petits détails qui sont autant d’indices disséminés de-ci de-là qui maintiennent constamment sur nos gardes.

Dans son ensemble, le réalisateur maîtrise son récit et se tient à une structure en trois actes, assez classique dans sa forme qui lui permet d’aller loin sur le fond. Une première partie, hors du palais, prend le temps de poser les personnages et les enjeux tandis que la deuxième partie, qui voit l’apprentissage à la cour de notre acupuncteur et le retour du prince héritier, se concentre davantage sur le contexte politique et l’établissement des relations qui vont irriguer la suite de l’intrigue. Le troisième acte, le plus long sur une chronologie pourtant limitée (une nuit), active notre plongée dans la conspiration autour de la mort mystérieuse du prince héritier et tisse patiemment la toile du piège qui se referme sur les protagonistes. The Night Owl se déploie autour de ces rebondissements mais davantage encore, autour de l’évolution de l’état d’esprit de Kyung-soo face à dilemme moral de plus en plus terrible, au fur et à mesure qu’il prend la mesure des choses et les « voit » plus clairement. Si la métaphore est évidente, le film a su suffisamment établir la complexité des personnages et de leurs liens au préalable pour que la dramaturgie s’envole dans cette dernière partie. La prise de conscience au monde et au pouvoir survient alors que notre héros a connu le meilleur de la moralité (les très belles scènes avec le prince héritier, interprété avec le charisme et la sensibilité de Kim Sun-cheol qui imprègne le film de sa présence, bien après sa disparition) et au pire (la froideur politique de la cour et de ses occupants) et se retrouve confronté à son propre choix : sauver sa vie et celle de sa famille, ou exposer la vérité et sauver d’autres vies quitte à perdre la sienne.

Ici, pas vraiment d’affrontements à l’épée ou d’échauffourées dans les couloirs, comme il est souvent de coutume dans le genre. The Night Owl recentre l’action sur le psychologique et se bat avec les armes de son personnage principal : les aiguilles d’acupuncteur. Le film tire ainsi tout le potentiel dramatique de ces accessoires très cinégéniques, les faisant acteur du récit, comme un instrument de guérison ou un outil de destruction, selon qui en a la possession et la maîtrise. Si le film n’est pas exempt de défauts dans son exécution – il est affaibli par un personnage de roi trop caricatural dans sa monstruosité et Kyung-soo s’avère parfois bien trop clairvoyant pour être crédible -, il parvient à bâtir un suspense solide qui garde en haleine jusqu’au bout avec un minimum d’effets et un maximum de résultats.

Par ailleurs, The Night Owl ne craint pas d’assumer une forme de noirceur dans son dénouement… jusqu’à un certain point néanmoins, car on peut regretter qu’il ne soit pas allé encore plus loin. En effet, en refusant de sacrifier son protagoniste, et malgré une conclusion qui provoque un indéniable sentiment de satisfaction, le film perd un peu de sa portée tragique et, par la même occasion, de la force de sa symbolique. Ce petit bémol ne gâche cependant pas l’expérience de ce Night Owl qui s’avère être une vraie réussite dans le genre du film d’époque et du thriller politique.

Claire Lalaut

The Night Owl de Ahn Tae-jin. 2023. Corée du Sud. Projeté au FFCP 2023

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