ÉTRANGE FESTIVAL 2023 – The Childe de Park Hoon-jung : Images de la bêtise

Posté le 12 septembre 2023 par

Park Hoon-jung est une figure du cinéma coréen à la carrière inégale. Capable du meilleur comme du pire, il nous livre avec The Childe une œuvre totalement hallucinée, aussi régressive que jouissive, ne prenant du thriller que son apparence pour y extirper plutôt une comédie noire furieuse et absurde. Il n’y avait donc pas de meilleur choix pour l’ouverture de cette 29e édition de L’Étrange Festival que ce film amenant l’image de cinéma aux confins de la bêtise carnavalesque.

Un boxeur philippin vivant de combats clandestins est à la recherche son père coréen qu’il n’a jamais connu. Alors que sa quête semblait sans espoir, c’est finalement la famille de son père qui vient jusqu’aux Philippines le retrouver afin de l’amener en Corée. Arrivé au pays, il se retrouve au centre de conflits d’intérêt le dépassant et ne le concernant aucunement, tout en croisant la route d’un tueur à gages surpuissant se mettant à ses trousses.

L’introduction du film avait tout pour déplaire : alors que les clichés du thriller coréen s’amassent, l’ennuie guette. Ce ne sont pas les quelques premières saynètes d’action plutôt bien filmées, mais sans grand intérêt, qui pourront rassurer. Le film commence véritablement lorsque le récit s’opacifie totalement, mettant le spectateur au même niveau que le personnage principal se retrouvant au centre d’enjeux le dépassant, qu’il ne comprend pas et qui ne lui seront presque jamais expliqués. C’est avec ce subterfuge que Park Hoon-jung transforme rapidement son thriller peu inspiré en une comédie baignant dans l’absurde. Il traîne le spectateur malgré lui et sans préavis dans une spirale d’ultraviolence cartoonesque, comique et absurde, soulignant tant le vide abyssal volontaire de sa narration que l’absurdité totale des images qu’il confectionne.

Cette absurdité, il la tire notamment dans l’imagerie publicitaire qu’il n’hésite pas à piller et détourner. Plusieurs placements de produits sont perceptibles dans The Childe. Il sont d’abord ridicules par leur essence même de pub et leur intégration au film : de manière très vulgaire, des plans soulignant des logos de marques de soda ou de voiture apparaissent subitement, créant une rupture assez violente dans le récit et ressemblant au travail digne du pire des faiseurs de l’industrie. Ce sont tout simplement des images bêtes, des images publicitaires vulgairement soulignées comme telles au spectateur. Tandis que l’on pourrait s’indigner de notre changement de statut forcé (passant de spectateur à consommateur), l’aspect publicitaire se voit tout de même très rapidement dynamité par une seconde ridiculisation bien plus virulente. Park Hoon-jung débute alors une escalade à la bêtise sans fin qui ne s’applique pas qu’aux simples images, mais qui contamine tout le film jusque dans sa narration, détruisant au passage le dit placement de produit. Dans la société contemporaine de l’image, l’ère est à la publicité détournée : des pubs conçues comme des sketchs humoristiques ayant pour but d’attendrir le spectateur, aux publicités prenant innocemment l’apparence de cinéma sous couvert, au choix, de célébration pop molle et cynique (comme l’a fait cette année Super Mario Bros. le film) ou bien encore de publicité second degré verni à la critique faussement subversive et totalement inoffensive (comme l’a été cette même année Barbie). Plus que jamais, donc, la publicité contamine et domine les images tout en se donnant une apparence d’esthétique, alors que dans son essence même elle contraint l’idée de réflexion et transforme le spectateur en cible, en consommateur. C’est dans une telle situation que le détournement opéré par Park Hoon-jung semble paradoxalement à contre-courant. Si l’on pourrait y voir ici une énième tentative de parodie sans âme, de critique creuse ou bien encore d’attaque inoffensive comme le cinéma industriel a toujours su le faire avec ses grosses productions, l’on passerait à côté de la rafraîchissante destruction de The ChildeAu lieu de camoufler sa publicité derrière le cinéma, l’humour ou bien encore le second degré et par conséquent de camoufler la bêtise de ses images derrière une superficielle réflexivité, il la souligne éhontément à son spectateur. Au lieu de transformer ce dernier en idiot recevant, il utilise plutôt l’idiotie elle-même, la bêtise, comme matière à ses images et moteur de son œuvre comique.

C’est une expérience de jouissance débridée qui est offerte au spectateur avec The Childe, ne réduisant pas la bêtise uniquement à la publicité, mais bien en l’explorant sous toutes ses coutures. Par exemple, lorsqu’il utilise les codes du thriller ou bien du polar, il n’en retient que son aspect le plus grotesque. Narrativement, cela se traduit par des retournements de situation ubuesques et souvent à la limite du compréhensible. Visuellement, c’est surtout la violence qu’il convoque le plus en lui donnant une patte cartoonesque et une démesure ridicule qui ne verse que très rarement dans le douloureux et l’insupportable. Il faut aussi reconnaître qu’au niveau de la mise en scène de ces dites explosions de violence, nous sommes plus proches de l’explosion brouillonne mais drolatique que du morceau de bravoure étourdissant. Aussi, lorsqu’il choisit comme acteur des idols populaires coqueluches de K-Drama (on pense notamment ici à Kim Seon-ho et son incroyable performance dans le film), Park Hoon-jung utilise bien ce qu’il y a de plus superficiel dans leur statut afin que tous livrent des prestations aussi hallucinées que jubilatoires. C’est aussi dans ce même état d’esprit qu’une séquence reprenant plan pour plan les codes d’une publicité de voiture devient, sans les abandonner, une course poursuite à la chorégraphie démentielle tirant tout son potentiel de la bêtise initiale présente dans l’image publicitaire.

En d’autres termes, il ne s’agit pas ici d’un bijou parfait du 7e art puisqu’à aucun moment il ne lorgne dans cette direction. On pourrait déplorer son début un peu longuet, qui cependant participe par la suite à sa puissante réussite en dispersant discrètement des balises avant la première explosion de grand n’importe quoi. On pourrait aussi l’accuser de feignantise et de manque d’ambition dans sa démarche, presque de facilité dans son abdication face à la bêtise. Mais au contraire, il lui donne plutôt ses lettre de noblesse en la sortant de son potentiel aliénant. Une fois le carnavalesque commencé, il ne s’arrête jamais jusqu’à l’apparition du générique. Adhérer à une telle proposition tient donc plus du goût : Park Hoon-jung, comme souvent dans ses précédentes productions, tourne le dos au noble et au beau afin d’épouser, ici, l’idiotie, la violence et le chaos le plus total. C’est avec une certaine grâce qu’il produit ses images issues de la crème de l’abrutissement contemporain, livrant dans le même geste probablement l’un des plus beaux objets chaotiques de la bêtise contemporaine.

Thibaut Das Neves

The Childe de Park Hoon-Jung. Corée. 2023. Projeté à l’Étrange Festival 2023

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