VIDEO – Phantom de Lee Hae-young

Posté le 9 septembre 2023 par

Il sort ces jours-ci en DVD et Blu-Ray, chez Koba Film, le thriller d’espionnage sud-coréen Phantom, réalisé par Lee Hae-young. Le film, à l’image aussi léchée que son casting, tisse un efficace jeu de dupes en trois actes au temps de l’occupation japonaise.

1933. La Corée est occupée par le Japon. Cinq personnes sont soupçonnées par l’envahisseur d’être des espions « fantômes ». Lors d’une opération d’infiltration orchestrée par le capitaine Kaito, ils sont piégés et enfermés dans un hôtel sous haute surveillance. Pour espérer retrouver la liberté, chacun d’entre eux va devoir prouver qu’il n’est pas le « fantôme »… ou s’évader…

Le cinéma coréen aime célébrer ses héros et revisiter sa douloureuse histoire. En s’inspirant d’un roman, The Message de Mai Jia (se déroulant dans la Chine occupée et non la Corée), Phantom semble venir grossir le rang des fresques de résistance au souffle patriotique produites avec plus ou moins de brio dans l’industrie. Le film est cela, en partie, et l’est avec un certain panache, mais une grande part de son intérêt se trouve ailleurs, dans les relations, motivations et convictions des personnages peuplant cette grande dissimulation. Il faut dire que Lee Hae-young, au scénario et à la réalisation, n’est pas étranger au maniement des fausses pistes et des faux semblants pour s’y être frotté avec succès dans son efficace thriller policier Believer et, de manière moins convaincante, dans l’horrifique The Silenced. Il décline ici ses thèmes de prédilection au film d’époque avec des moyens autrement plus importants, une reconstitution soignée, parfois un peu trop soignée pour son propre bien, un sens du rythme toujours soutenu et un ensemble de comédiens de haute volée.

Au vu du sujet et de la période, il est difficile de ne pas penser au magnifique The Age of Shadows, sorti quelques années plus tôt. La tentation de comparer les deux films semble même inévitable. Finalement, le sentiment s’évapore au bout de quelques minutes, Phantom prenant le quasi-contrepied du film de Kim Jee-woon en s’illustrant moins comme une fable politique sous tension que comme un pur mystery à l’action stylisée. Avec son unité de lieu et sa galerie de personnages très calibrés (le maître du jeu, l’innocent, la discrète, le couard, la poule de luxe et l’élément joker), la première partie du film installe un dispositif à la Agatha Christie plutôt surprenant qui s’avère souvent payant. Le scénario expose d’emblée les enjeux (l’opération survient dans les premières minutes et l’identité du fantôme y est dévoilée au spectateur), évitant ainsi de tirer en longueur des mystères inutiles et de capter l’attention sur les stratégies de survie de ses protagonistes. Aussi, malgré des rebondissements quelque peu prévisibles, Phantom ménage son suspense avec parcimonie et d’une manière assez ludique pour que l’on se prenne aisément au jeu du vrai et du faux au fil des révélations et des rapports entre chaque personnage.

Il y a une théâtralité dans l’écriture que le film a l’intelligence d’assumer également dans sa mise en scène. Ainsi, il contourne le risque de tomber dans une certaine facticité et parvient à tranquillement manœuvrer le virage vers un deuxième acte beaucoup plus musclé. Quitte à frôler l’emphatique, Lee Hae-young aligne alors les scènes d’action tonitruantes, multiplie les explosions et les symboles (l’assaut final entre les rideaux des coulisses d’une scène, en est l’exemple le plus flamboyant) sans, pour autant, perdre de vue l’essentiel, ses personnages, dont les luttes intimes et intestines se poursuivent dans les couloirs souterrains d’une forteresse abandonnée ou entre deux portes d’un poste de commandement.

De cette histoire de survie et de combats, pour autant qu’ils soient, la part belle est donnée aux deux personnages de femmes, unies par la même cause malgré des motivations différentes. Lee Hanee (à contre emploi) donne à son héroïne romantique endeuillée et dépassé, une solidité et une détermination qu’on ne questionne jamais, tandis que Park So-dam invoque la Ana May Wong de Shanghai Express (dont la référence revient constamment au cours du film) et rend palpable toutes les nuances de son personnage. Face à elles, dans des partitions plus ingrates mais plus complexes qu’elles n’auraient pu l’être, Sul Kyung-gu et Park Hae-soo jouent à plein de leurs présences ambiguës au service de la menace sourde qui anime les nombreuses scènes de confrontation du film.

Malgré tout, Phantom n’échappe pas à la tentation de surexpliquer et surligner ses motifs, cédant parfois à une émotion de facilité indigne des meilleures idées du film. Par ailleurs, s’il s’avère souvent redoutable dans l’action, le film ne renouvelle pas vraiment la réflexion autour de l’engagement, malgré un fort potentiel, nettement plus poignante et nuancée dans d’autres œuvres récentes telles que Mr. Sunshine. Le choix de terminer sur une séquence en mode Borsalino cheap au lieu de la scène autrement plus sobre la précédant ne fait, hélas, que renforcer cette impression. On aurait cependant tort de trop faire les rabats-joies car Phantom reste une variation séduisante du film d’espionnage qui prend un plaisir communicatif à jouer des codes et des perspectives avec une belle ambition et une main assurée.

BONUS

L’édition inclut seulement un making of promotionnel de quelques minutes. Pas grand chose à se mettre sous la dent donc, mais l’occasion d’entendre le réalisateur, ses comédiens, chef décorateur, costumière et coordinateur de cascades donner leurs impressions sur le scénario et le ton du film.

Claire Lalaut

Phantom de Lee Hae-young. 2023. Corée du Sud. En DVD et Blu-Ray le 06/09/2023 chez Koba Film.

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