KINOTAYO 2022 – Intolerance de Yoshida Keisuke

Posté le 27 décembre 2022 par

Le festival du cinéma japonais contemporain Kinotayo nous a permis de découvrir en exclusivité le long-métrage Intolerance de Yoshida Keisuke lors de son édition 2022.

Intolerance débute (en grandes pompes) par un accident tragique. Soeda Kanon, une collégienne, est prise en flagrant délit de vol dans la supérette de son quartier. Le directeur du supermarché, poussé à bout par les larcins de ce type commis dans son établissement, la prend en chasse. La jeune fille, paniquée, tente de lui échapper en s’élançant sur la route… et se fait rouler dessus par deux véhicules successifs. Kanon meurt et aussitôt commence une longue bataille rangée de tous les différents acteurs de sa vie (ses parents et le directeur du supermarché, notamment, mais également ses professeurs ou camarades) pour déterminer qui est la personne à blâmer pour ce drame.

Avec ses prémices aussi résolument dramatiques, on pourrait craindre, en regardant Intolerance, de se retrouver face à un mélo trop appuyé. Même si l’on n’échappe pas à des scènes larmoyantes des parents de Kanon en deuil, le film parvient à équilibrer suffisamment efficacement les émotions ressenties pour éviter d’être uniquement tire-larmes. On note en particulier des fulgurances d’humour très surprenantes et bienvenues, qui auraient peut-être même gagné à être plus nombreuses. De même, une tension est maintenue au travers de ce jeu du chat et de la souris entre les différents protagonistes qui ne cessent de chercher comment prouver qu’un autre qu’eux est coupable de la mort de la jeune fille.

Ce parti pris est d’ailleurs le plus grand intérêt du film. Autant la critique des médias qui s’emparent de l’affaire peine à renouveler un propos déjà vu de façon plus pertinente dans des films récents tels que L’infirmière de Fukada Koji ou Forgiven Children de Naito Eisuke, autant cette idée d’obsession à désigner un coupable offre des séquences très intéressantes. Cet effort vain et désespéré de trouver une justification à une situation qui n’en a aucune et est purement le fruit d’un hasard malheureux crée bien plus de complications qu’elle n’aide les personnes endeuillées à avancer et à s’apaiser, constat très bien rendu dans le film. L’intérêt d’Intolérance se situe également dans le fait de montrer ce qui se cache derrière cette volonté de chacun de blâmer un coupable et notamment, ce que cette pulsion peut avoir d’égoïste. Personne ne veut assumer un quelconque tort, quand bien même ce tort n’aurait pas de lien direct avec la tragédie dont a été victime Kanon, et la mort de celle-ci n’en devient presque plus qu’un prétexte pour régler leurs comptes, avec les autres et avec eux-mêmes. On s’en rend particulièrement compte avec le personnage de l’employée du supermarché amoureuse de son patron qui le défend envers et contre tout avec une fougue bien trop suspecte pour quelqu’un de peu impliqué, mais elle est loin d’être la seule à « instrumentaliser » la mort de la collégienne. À cet égard, les scènes de confrontation entre le père et la mère (divorcés) de la jeune fille comptent parmi les plus grandes réussites de cette étude de personnages. La mère, enceinte, souhaite se projeter dans le futur et trouver un équilibre dans sa nouvelle vie de famille, chose définitivement moins facile à faire pour le père qui se retrouve seul, mais les reproches de celui-ci allant dans ce sens ne servent qu’à masquer son déni de s’être désintéressé de sa fille jusqu’alors. Comme lui indique la mère de Kanon, lorsqu’il déclenche une tempête dans un verre d’eau pour prouver que sa fille n’aurait, de prime abord, jamais volé de maquillage à l’étalage, comment peut-il en être certain alors qu’il n’a jamais remarqué qu’elle portait des cosmétiques discrets ?

Si Intolérance souffre de quelques longueurs et n’exploite peut-être pas assez certaines trames scénaristiques qu’il met en place, le film a des atouts qui méritent de se pencher dessus et l’écriture des personnages fonctionne de façon suffisamment convaincante pour offrir un visionnage au moins intriguant et au mieux efficace.

Elie Gardel.

Intolérance de Yoshida Keisuke. Japon. 2021. Projeté au Festival Kinotayo 2022.

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