VIDEO – Hiruko the Goblin de Tsukamoto Shinya

Posté le 3 avril 2024 par

Alors qu’en 2023, Carlotta Films a réalisé le vœu de nombreux amateurs en produisant le coffret ultime dédié à Tsukamoto Shinya, nous pouvions pinailler en disant qu’il manquait son deuxième long-métrage, le délicieux Hiruko the Goblin, adapté du manga Yokai Hunter de Morohoshi Daijiro. Le vide est désormais comblé, car le film est à présent disponible en Blu-ray !

Un professeur de lycée et son élève disparaissent mystérieusement pendant les vacances d’été. Avant de s’évaporer dans la nature, M. Yabe avait contacté Reijiro Hieda, archéologue aux méthodes excentriques, pour lui faire part d’une étrange découverte qu’il venait de faire. Le scientifique débarque alors dans le village et part à la recherche de son ami aux côtés du jeune Masao, le fils du professeur. Ensemble, l’improbable duo va découvrir que le lycée se trouve au-dessus d’un ancien tumulus qui pourrait bien être une porte souterraine de l’enfer…

Hiruko the Goblin sort dans les salles japonaises en 1991. Tsukamoto signe alors pour un film de studio avec la Shochiku, lui qui avait été remarqué 2 ans plus tôt avec son légendaire film auto-produit Tetsuo (mais réalisant des films depuis ses 14 ans en super 8). Loin d’être mal à l’aise dans ce nouveau cadre, le réalisateur japonais donne naissance à une production bis, qui fleure bon l’atmosphère d’un manga pop bien inspiré. Certains commentateurs, à l’image de Donald C. Willis, trouvent à son adaptation de Yokai Hunter, une parenté avec le cinéma d’horreur américain des années 1980 et le ton de Luis Buñuel, là où d’autres cinéphiles y perçoivent les mêmes sensations que peuvent produire les films de genre italiens. Tsukamoto est familier de toute cette culture populaire (à l’image du nom de sa compagnie de théâtre/maison de production indépendante, Kaijyu Theater, référence aux films de monstres géants) et après avoir quelque peu redéfini les codes du cyberpunk avec Tetsuo, il s’amuse, dans Hiruko the Goblin, avec des créatures mécaniques en stop motion et des images gores, quelque part tel un jeune cinéaste à qui on confie assez de moyens pour « se lâcher ». Planté dans un décor paysan particulièrement chatoyant, le lieu de l’action fait l’originalité de cette œuvre dans sa filmographie, comme le souligne Jean-Pierre Dionnet.

Hiruko the Goblin, malgré les moyens de la Shochiku, a tout d’un travail artisanal, et c’est tant mieux. Les créatures, tout d’abord, ces araignées à tête humaine, sont en dur : selon l’angle de prise de vue, le visage d’un acteur ou d’une actrice peut être réel et couplé avec des pattes en animatronique, ou alors pour les plans larges, il s’agit d’une figurine animée en stop-motion. Dans les deux cas, l’effet d’arachnophobie à leur vue est palpable, et s’inscrit dans la lignée de ces films d’horreur des années 1980 où le maquillage et les textures en caoutchouc forment la production value. Les effets spéciaux sont l’une des deux grandes qualités du film. La seconde est l’utilisation de la caméra, où des plans de monstres à la première personne, avançant au sol à vitesse fulgurante, se révèlent virtuoses dans leur dynamique. La colorimétrie de la photographie s’ajoute à ce haut degré de qualité de l’image, en alliant des séquences de jour du plus bel en effet dans cette campagne verdoyante, et des séquences de nuit d’un bleu ténébreux qui devient la teinte générale du film. Le scénario de réveil de forces infernales n’est en finalité qu’un prétexte pour peindre ces images et ces couleurs.

Tsukamoto joue donc avec la caméra comme il s’amusait avec le sujet de la technologie dans Tetsuo. Faire un film, quand bien même il s’agit d’un projet qu’on lui a proposé, devient un terrain de jeu pour, d’une part, offrir des images léchées, et d’autre part, communiquer son exaltation de cinéaste de genre en montrant à l’écran ces monstres arachnoïdes grouillants, qui stimule les sens de son auditoire. Pouvant rentrer dans la catégorie du « gore léger », Hiruko the Goblin ne provoque pas une immense terreur – niveau de sensibilité personnelle au cinéma horrifique mis à part -, d’une part car l’intensité romanesque de ses deux héros ne sauraient nous plonger dans le chaos. Ces protagonistes très terre à terre semblent d’ailleurs désaccordés avec le cinéma du cinéaste, et peut être décelé dans cette optique un espèce de second degré, de voir ce lycéen doux, ce passionné d’effets paranormaux en nostalgie d’amour, et cette adolescente dont la seule expression est finalement ce sourire figé de publicité, face à des araignées ridicules. Mine de rien, l’écriture des personnages, en opposition avec le grotesque des créatures démoniaques, donne une épaisseur supplémentaire à l’intrigue qui de base n’est pas excessivement renversante, de par son ton dissonant. D’autre part, le sens de cinéaste d’horreur de Tsukamoto est assez fin pour légèrement faire frissonner son auditoire par moments. Le déplacement rapide de caméra dans l’œil des monstres dont nous parlions caractérise visuellement une menace pour les héros, un danger rendu intense par cette façon de filmer. Aussi, quelques éléments gores, comme un détachement de tête, titillent toute de même l’encaissement de l’horreur des spectateurs. Associer un cadre dramatique avec un ton plus ou moins humoristique est l’apanage de tout un pan des mangas shonen, dont s’inspire clairement le metteur en scène, de manière revendiquée.

D’une idée finalement mineure, Tsukamoto en réalise un film réjouissant à tous les étages, dont les manques de substance potentiels sont constamment régulés par un dosage fin de toutes les composantes du cinéma. Une pincée de gore pour un peu de frisson, un soupçon de décalage de ton pour combler un scénario peu original, associés à une photographie de grande qualité, font de Hiruko the Goblin un authentique film de Tsukamoto, malgré le cadre de production qui le sort de son initiative artistique.

BONUS

 

Présentation du film par Jean-Pierre Dionnet (archive du DVD Studiocanal, 4 min). Jean-Pierre Dionnet, ayant dirigé la collection de films asiatiques de Studiocanal au tout début des années 2000, avait rencontré à cet effet Tsukamoto en 2001. Dionnet cinéphile exalté comme personne et Tsukamoto alors jeune réalisateur en plein développement, font de ce petit module une présentation réjouissante du film, où tout semblait devoir être exploré à l’époque.

Interview de Tsukamoto Shinya 1 (archive du DVD Studiocanal, 5 min). Le réalisateur explique comment il a été approché par la Shochiku et comment il a conçu les effets spéciaux, rappelant qu’à l’heure de l’interview (2001), ces mêmes effets spéciaux auraient pu être effectués en images de synthèse. Tsukamoto envisage ce recours à l’époque de l’interview, et il est paradoxalement amusant de constater qu’il a toujours privilégié les maquillages et les textures palpables, par la suite et jusqu’à aujourd’hui.

Interview de Tsukamoto Shinya 2 (archive japonaise, 8 min). Dans cet extrait d’interview datant de fin 2000, sans doute enregistrée pour le DVD japonais d’époque, Tsukamoto évoque sa passion pour les mangas shonen et comment ils ont influencé son cinéma, de ses films super 8 à Hiruko. Il fait également le pont entre ces deux catégories de films, en s’inscrivant en faux des critiques affirmant qu’Hiruko est un film qui ne lui ressemble pas.

Interview d’Oda Takashi, responsable des effets spéciaux du film (archive japonaise, 4 min). Module vidéo enregistré dans la même salve que le précédent et toujours en 2000, Oda décrit les différents types de maquettes et de techniques utilisées pour mettre en scène les créatures.

Les effets spéciaux (archive japonaise, 2 min). Oda est enregistré à la même époque que les 2 précédents modules dans les locaux de stockage du matériel du film en train d’actionner un animatronique d’une araignée, nous permettant ainsi de mieux nous imaginer les coulisses.

Bande annonce japonaise d’origine restaurée.

Maxime Bauer.

Hiruko the Goblin de Tsukamoto Shinya. Japon. 1991. Disponible en Blu-ray chez Carlotta Films le 02/04/2024.

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