ALLERS-RETOURS 2024 – Absence de Wu Lang

Posté le 14 février 2024 par

À l’occasion du millésime 2024 du Festival Allers-Retours, nous avons pu découvrir Absence de Wu Lang, un premier film saisissant de poésie que le metteur en scène a lui-même adapté de son propre court-métrage éponyme sorti deux ans plus tôt et ayant figuré dans la sélection cannoise de 2021.

Yu retourne dans sa ville natale sur l’île de Hainan après 10 années passées en prison, et essaye de renouer avec son ancienne compagne, Hong. Les plans de Hong, qui a prévu d’acheter un appartement, les forcent à faire face à des difficultés, tandis que leur persévérance permet à chacun de pallier l’absence de l’autre. 

La simple présence d’un certain acteur au casting devrait suffire à éveiller l’intérêt pour le premier long-métrage de Wu Lang. Magicien du corps et du silence dont on l’aurait presque oublié doué de parole, Lee Kang-sheng se livre de nouveau à la fiction d’un autre cinéaste que Tsai Ming-liang, fait rare à n’en pas douter, et qui mérite toute notre attention. Mais il ne s’agit pas là du seul atout qu’Absence a en réserve. La fenêtre qu’il choisit d’ouvrir sur les contradictions de la Chine contemporaine est tout aussi vertigineuse qu’elle ne contemple les individus dans leurs nouveaux rapports au monde.

C’est à Hainan, à l’extrême sud de la région du Guangdong, que se déroule notre histoire. Une île guère peu représentée dans le cinéma chinois contemporain, mais qui figure parfaitement l’isolement pathologique de nos protagonistes par l’espace. Après un long séjour en prison, Yu, incarné donc par Lee Kang-sheng, revient sur cette terre pour renouer avec son ancienne compagne, Hong, interprétée par la formidable Li Meng, depuis longtemps révélée par Jia Zhang-ke (A Touch of Sin), Cathy Yan (Dead Pigs) ou Jiang Wen (Hidden Man). Le métrage introduit habilement la réinsertion  difficile de Yu dans un monde qui n’a plus rien de celui qu’il a connu. Tel un fantôme revenu d’entre les morts, Yu ne semble remarqué de personne, pas même de la caméra qui ne lui offre d’abord qu’un reflet dans un miroir sali. Son ancien ami Kai, promoteur immobilier et symbole de la réussite chinoise, lui confie que « l’île s’est métamorphosée », et que Yu aura du mal à la « reconnaître ». Sans repère aucun, nul d’autre choix que de s’aventurer vers l’inconnu dans ce monde où les immeubles naissent plus vite que les ambitions.

Face à ce désarroi dont Yu est tout autant prisonnier qu’entre les quatre murs de sa cellule, le personnage de Hong nous apparaît dans sa longue robe rouge comme une émanation mémorielle survenue d’un passé fuyant. La crise immobilière frappe de plein fouet la réunion de ces deux âmes déjà trop égarées pour retrouver leur chemin. En toile de fond, le contexte social sensible manifeste de l’impossibilité de faire éclore la moindre concrétisation, syndrome on ne peut plus contemporain. Wu Lang, sans doute inquiet du devenir de ses personnages, leur offre l’évasion, le rêve et l’indulgence dont ils avaient besoin. Le jeune réalisateur emprunte au réalisme magique et confère à ses images des atours singulièrement poétiques, dans ces contrées où l’inconcevable est abrogé au rang du concept et où celui-ci se confond en possible. Ne reste au spectateur qu’à capituler, et à offrir quelques instants de répit à cette petite famille en train de se fonder sous nos yeux, du mieux qu’elle le peut.

Richard Guerry

Absence de Wu Lang. Chine. 2023. Projeté au Festival Allers-Retours 2024.

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