VIDEO – Ping Pong de Sori Fumihiko

Posté le 15 janvier 2024 par

Le line-up de cinéma japonais contemporain de l’éditeur Spectrum Films comporte, parmi ses sorties récentes, la comédie dramatique sportive Ping Pong. Adapté de l’œuvre du même nom de Matsumoto Taiyo, mangaka extrêmement renommé dans la sphère bédéphile mondiale, le film s’avère une belle synthèse de l’intrigue du manga de cinq volumes, autant qu’une ode à la jeunesse dans sa quête du bonheur.

Peco et Smile sont au lycée et fréquentent le club de ping-pong. Peco se révèle aussi talentueux que trop sûr de lui en sport. Smile est capable du meilleur dans la compétition mais manque cruellement de motivation dans la vie et ne sourit jamais. En primaire, ils ont gagné un tournoi en remportant la première et la seconde place. Leurs coachs respectifs vont tenter de leur mettre correctement le pied à l’étrier pour les championnats interlycées où ils feront la rencontre de trois autres joueurs d’envergure : China le joueur chinois déclassé, Akuma l’ancienne connaissance revancharde, et Dragon, le meneur du meilleur lycée de pongistes du Japon.

Matsumoto Taiyo est un artiste reconnu dans le milieu du manga, notamment pour sa capacité à portraiturer une jeunesse qui, à cause des aléas de la vie, ne parvient pas à se projeter dans le futur.  Ping Pong figure parmi ses œuvres maîtresses, dans laquelle il allie son style graphique iconoclaste à l’écriture d’une trajectoire poignante pour ses cinq héros, tous porteur en eux d’une frustration terrible que les conventions japonaises (et chinoises) cherchent à enfouir au plus profond de soi. Notons que Matsumoto est depuis plus de 20 ans adapté en format audiovisuel : le film live Blue Spring en 2001, le film animé Amer Béton en 2006, ainsi qu’une autre adaptation de Ping Pong que celle de Sori Fumihiko, la série animée Ping Pong the Animation en 2014 par Yuasa Masaaki. En outre, Yuasa a fait appel à lui pour réaliser le chara-design d’Inu-Oh, qui est un projet original pour lui. L’univers de Matsumoto Taiyo a donc à voir avec le cinéma, surtout en matière d’inspiration pour les cinéastes, et de par ses préoccupations esthétiques tant au niveau de ses intentions que visuelles, correspond en un sens aux canons d’un certain cinéma d’auteur japonais contemporain.

Ce film en prise de vues réelles Ping Pong de 2002 est la première réalisation de Sori Fumihiko, qui par la suite ne fera que graviter autour des adaptations de manga et de l’univers de l’animation, avec une réception plutôt froide de ses travaux (il est l’homme derrière le Fullmetal Alchemist de Netflix). Cependant, l’adaptation qu’il met en scène du chef-d’œuvre de Matsumoto est une franche réussite.

La direction artistique est particulière : si elle montre des matchs de ping-pong plutôt intenses, elle ne verse jamais dans l’exagération irréaliste comme peut le faire le cinéma tournant autour de la culture otaku – on se souviendra du jeu de quilles humaines en CGI dans un opus de Crows Zero de Miike Takashi. Les quelques matchs qui émaillent le film n’en sont pas moins spectaculaires, prenant et filmés de manière sophistiquée avec des plans en images de synthèse pour avoir l’œil de la caméra au plus près de la balle. En revanche, le design général du film reprend les codes graphiques du matériau de base, à savoir la coupe au bol un tantinet cartoonesque de Peco et le dress code des clubs, peu réalistes et dignes de l’élan plastique de Matsumoto. Ils trouvent pleinement leur place dans ce dispositif d’adaptation, qui en respectant la dimension artistique singulière du manga, n’apparaît jamais comme forcés ou déplacés dans le contexte d’un film en prise de vues réelles. Au contraire, tout le travail de Sori et son équipe en charge de la direction artistique converge vers l’élan dramatique, donc tangible et vraisemblable, du scénario d’origine de Matsumoto.

Car plus que l’élan esthétique, parfaitement intégré et réussi, ce sont bien les cinq héros qui à leur manière portent tout le propos humaniste du scénario. Les cinq personnages ont tous quelque chose de plus ou moins identifiable dans leur psyché qui les paralyse dans leur quotidien d’adolescent. Certains ont un caractère impétueux et se heurtent à la réalité de leurs capacités physiques et intellectuelles : Peco connaîtra la défaite car il aura mal analysé la situation, tandis qu’Akuma, en cherchant à dépasser ses rivaux, devra faire face aux limites intrinsèques de son environnement. Dragon lui, est plus ou moins considéré comme le meilleur lycéen pongiste du Japon, ce qui est une charge psychologique lourde à porter. China est en plein spleen en raison de la sensation de déclassement qu’il connaît : être mauvais dans le meilleur pays pongiste du monde, cela exige a minima de ne pas être mauvais ailleurs, sinon subir le déshonneur. Smile, sans doute le personnage le plus réussi, est aussi celui auquel la jeunesse peut s’identifier le mieux : il est l’archétype de l’adolescent talentueux mais qui n’a pas encore trouvé sa voie, que ce soit en matière d’activité comme de sociabilité. Bon au tennis de table, il n’y prend pourtant aucun plaisir et entre en fin de compte dans une longue phase de déprime, caractérisée par un manque d’envie général. L’objectif pour son coach et son ami Peco n’est pas tant de lui faire obtenir la meilleure place, que de le faire sourire.

China est le seul personnage peu convaincant à l’égard du manga. Campé par l’acteur hongkongais Sam Lee (star de Made in Hong Kong et Bio Zombie), il est beaucoup trop souriant par rapport au personnage exilé et abandonné qu’il est dans le récit d’origine, et la dramaturgie l’entourant dans le film est moins intense. La série animée de 2014 rend bien meilleur honneur à ce protagoniste, même si son allure de voyou lui donne une couleur différente par aux autres acteurs. Du reste, Sori Fumihiko a livré un travail remarquable et offre une œuvre poignante sur les tourments que peut connaître la jeunesse à différents niveaux lors à l’entrée de l’âge adulte, autant qu’un beau film sportif pop à l’esthétique délicieuse.

BONUS

Présentation du film par Malik-Djamel Amazigh-Houha, rédacteur du magazine Otomo (18 min). Le spécialiste du cinéma et de la culture populaire japonaise commence par décrire la carrière, assez atypique, du réalisateur : étudiant dans une fac de sciences, il se spécialise dans la maîtrise des effets visuels, puis passe 5 ans dans une entreprise qui pose des installations câblées, avant de parvenir, à la fin des années 1990, à s’envoler pour Los Angeles et travailler sur les effets visuels de Titanic. Il offre ensuite ses services à la télévision japonaise avant de réaliser son 1er long-métrage qui est Ping Pong. Malik-Djamel Amazigh-Houha tisse le parallèle entre le manga de Matsumoto Taiyo et le cinéma de Sori, en ne manquant pas de situer Matsumoto dans le paysage du manga de l’époque, et la façon dont le réalisateur a adapté le manga, en privilégiant l’ambiance à l’action.

Essai vidéo de Jasper Sharp (13 min). Ce module balaye le profil de toutes les personnalités qui prennent part au film, le réalisateur, le scénariste et surtout les acteurs, peu connus chez nous mais remarqués à la télévision japonaise au début des années 2000. Jasper Sharp offre une analyse didactique de toutes ces personnalités, le plus intéressant étant la citation de leurs travaux principaux et ce qu’ils y ont apporté, traçant leur trajectoire individuelle sur laquelle Ping Pong témoigne de leur rencontre.

Une reproduction d’un livret promotionnel en japonais qui ravira les amateurs de goodies.

Maxime Bauer.

Ping Pong de Sori Fumihiko. Japon. 2002. Disponible en combo Blu-Ray/DVD chez Spectrum Films en novembre 2023.

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