VIDEO – Bio Zombie de Wilson Yip : Full Panic

Posté le 18 janvier 2021 par

Wilson Yip est bien connu partout dans le monde pour sa saga Ip Man. Mais avant cela, Yip a réalisé de nombreuses productions, souvent à petits budgets. C’est le cas de Bio Zombie en 1998, déjà sa sixième production comme metteur en scène. Le film est disponible chez Spectrum Films en combo DVD/Blu-ray.

Deux jeunes travaillent pour un magasin de VCD pirates dans un centre commercial. En vrais escrocs, ils arnaquent les nerds qui viennent leur demander des films, et s’engueulent avec leurs voisins, un couple de commerçants. Alors qu’ils doivent faire réparer la voiture de leur boss, ils renversent un passant sur le chemin. Ce dernier est infecté par une arme biochimique qui a la forme d’un soda et transforme ceux qui le boivent en zombie. Le croyant mort, les vendeurs de VCD le mettent dans le coffre de la voiture et retournent au centre commercial. Cependant, ils l’oublient… Le centre commercial est alors infesté de zombies !

La phase de pose du récit de Bio Zombie nous montre différents personnages, tous plus horripilants les uns que les autres, avec un focus sur une jeunesse délurée – notamment par les jeux vidéo et les loisirs « geeks », « nerds » tels que les films bis en VCD. Si Wilson Yip fait allusion à ce support vidéo, dès le générique, ce n’est pas anodin : en 1998, le cinéma hongkongais est à l’agonie, plombé par la désaffection du public et par l’essor du support vidéo VCD, propice à la piraterie massive. En peignant des personnages d’abord antipathiques, dans ce contexte, Wilson Yip semble emprunter le sillon de Tsui Hark 18 ans plus tôt avec Histoires de Cannibales, une autre série B qui avait vocation à faire un portrait au vitriol du public hongkongais, faisant partie d’une société de consommation abrutissante et incapable de saisir les talents locaux là où ils sont. Wilson Yip va toutefois prendre le contre-pied de ce postulat et étonner par ses choix si bien de mise en scène que de scénario (qu’il co-écrit). Bio Zombie part d’une idée de série B fauchée, jusque dans l’activité de ses anti-héros marginalisés – puisque leur activité relève du marché parallèle, donc de la criminalité organisée, et qui plus est, antithétique du cinéma – et se déploie tel un authentique film de genre, doublé d’un hommage à la culture du jeu vidéo et du cinéma bis, souvent reliées, et dont Wilson Yip se revendique.

 

Cet hommage ne surplombe par le récit de genre. Il agit par touches ça et là, par la Game Boy que Kenny B. brandit à tout va (et dont l’appareil photo sera exploité dans le récit tel un McGuffin) ; et par quelques éléments de mise en scène, comme lorsque les cinq personnages principaux sont face à une horde de zombies à un moment clé, et que la réalisation fait apparaître des écrans de sélection de personnages avec une fiche technique. Au contraire, cette scène donne une couleur et une tonalité au récit de genre, et annonce une scène de baston dantesque, comme les joueurs de jeu vidéo peuvent l’imaginer. Alors que certains cinémas ont tenté de se colorer en geek-friendly pour plaire au public de gamers grandissant en ne parvenant jamais à le comprendre, Bio Zombie se montre convaincant par la fluidité de ses références dans l’intrigue, ainsi que pour leur force de frappe visuelle.

La force de la mise en scène de Yip ne se résume pas à ses références vidéoludiques. En premier lieu, il sait créer des séquences détonantes : l’exemple le plus frappant est l’interrogatoire des deux héros par les policiers, avec deux angles de vue qu’on imagine séparés, rendus en split-creen à l’écran, pour préserver la discrétion, mais qui n’est qu’en fait un jeu de miroir. Il reste certes des traces d’un budget serré, notamment dans le maquillage des zombies, masqué en partie par un effet de flou. Mais par l’inspiration qu’il a eu, Wilson Yip peut se targuer d’une belle réussite avec Bio Zombie : avoir su créer un final saisissant, qui porte un suspense et une dramaturgie écrasante, sur les bases d’une série B fauchée. Bio Zombie est une intrigue qui se tord dans tous les sens au rythme des attaques de zombies, enferme ses personnages dans un huis-clos qui les révèlent autant grotesques qu’humains et les libère dans une fin crépusculaire.

On aurait tort de rester sur cette vague impression de film outrancier, purulent (à cause des mauvais maquillages) et sans le sou. Bio Zombie est un honnête film de zombies, à la narration ciselée et aux acteurs convaincants, à fond dans leur rôle, voulu comme porteur des couleurs de la jeunesse hongkongaise de son époque, aussi bien visuellement que par leur profil psychologique. Le film est d’autant plus à redécouvrir que notre éditeur nous a fourni une copie de haute tenue, loin des anciens supports sur lesquels certains amateurs de cinéma hongkongais l’ont découvert… en VCD peut-être.

Bonus vidéo

Interview de Wilson Yip par Frédéric Ambroisine (18 minutes). L’interview est riche autant en données factuelles qu’artistiques. Yip revient sur l’importance de ce décor de galerie marchande où l’on pouvait trouver ces fameux VCD pirates et comment il a choisi celle du film. Il développe son rapport au film de zombies en citant ses références et précisant qu’en 1998, Bio Zombie était le premier film de zombies de Hong Kong. Il fait part de ses déceptions quant au maquillage, une donnée importante qu’il avoue ne pas maîtriser correctement à cette époque. Il donne également quelques données sur le budget du film et le succès commercial. Notons que le montage de Frédéric Ambroisine élève le niveau de réalisation des bonus de Spectrum Films et gageons de le retrouver aux crédits plus tard.

La présentation du film par Arnaud Lanuque (11 minutes). Comme pour tous les autres films hongkongais parus chez Spectrum Films, Arnaud Lanuque intervient depuis Hong Kong même, ici dans le centre commercial qui a servi au tournage de Bio Zombie. Il revient dans le détail le plus précis sur l’intérêt d’abord inexistant du cinéma de Hong Kong sur la figure du zombie et son concurrent local, l’état de l’industrie de Hong Kong en 1998, la carrière de Wilson Yip (débutée comme assistant depuis les années 1980), en quoi Bio Zombie marque un tournant dans sa filmographie d’un point de vue artistique, la citation du jeu vidéo dans le film, ainsi que sur le choix des acteurs qui campent les personnages principaux. Comme à l’accoutumée, l’introduction de M. Lanuque est claire et riche en données intéressantes.

Un topo sur les films de zombies en Asie par Julien Sévéon (18 minutes). Julien Sévéon dresse un listing des productions de différents pays asiatiques, en rappelant bien que la figure du zombie est atypique en Asie et parfois antinomique avec la culture de ces pays. La vague de films de zombies ayant déferlé sur le Japon, la Corée, l’Inde, la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande font suite à ce que le cinéma américain a apporté dans sa dimension globalisante, et pourtant, Julien Sévéon fait état d’un réel dynamisme et des idées neuves dans le registre de l’horreur, depuis le début des années 2000. Bio Zombie se pose ainsi en précurseur, et assez unique dans les cinémas chinois.

La fin alternative. Il est toujours bienvenu d’avoir accès à ce genre de scènes « coupées » ne serait-ce que pour mesurer les idées d’un metteur en scène, mais nous préférerons rester sur celle du film, bien plus marquée par un sens de la dramaturgie.

La bande-annonce.

Maxime Bauer.

Bio Zombie de Wilson Yip. Hong Kong. 1998. Disponible en combo DVD/Blu-ray chez Spectrum Films en décembre 2020.

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