Festival des 3 Continents 2023 – Le Lâche de Satyajit Ray

Posté le 30 novembre 2023 par

Récit de la lâcheté des hommes et de la fatale résilience des femmes, Le Lâche (Kapurush, 1965) est un moyen-métrage qui se penche avec délicatesse sur les actes manqués de deux anciens amants. A (re)découvrir au Festival des 3 Continents.

Un an après Charulata (1964), Satyajit Ray décide de réaliser 2 œuvres particulières : Le Lâche et Le Saint. Pensés en diptyque, les deux films étaient conçus pour être projetés l’un à la suite de l’autre, avant d’être séparés lors de leur diffusion dans les festivals occidentaux. S’ils sont en effet très différents, les deux moyens-métrages ont toutefois un point commun important : leurs amants. Malgré des récits qui n’ont en apparence rien à voir, ce sont bien deux représentations des hommes face à l’amour et l’engagement qui s’opposent, entre constance et inconstance : porté par le couple d’acteurs iconiques qui avaient fait le succès de Charulata, Le Lâche est ainsi le film du regret, sur ce qui aurait pu être mais ne sera jamais.

Inspiré par une nouvelle de l’auteur bengali Premendra MitraRay narre l’histoire d’un scénariste rêveur, Amitabha (Soumittra Chatterjee), qui rejoint la campagne en quête d’inspiration quand sa voiture tombe en panne. Un homme affable présent au garage (Haradhan Bannerjee) lui propose de venir passer la nuit dans sa luxueuse villa en attendant la fin des réparations. Amitabha découvre alors que la femme de son hôte n’est autre que Karuna (Madhabi Mukerjee), la jeune étudiante dont il était ardemment épris dans sa jeunesse. Bouleversé, le jeune homme tente de la convaincre de s’enfuir avec lui, tandis que les souvenirs douloureux de sa lâcheté passée le plongent dans le désespoir.

Œuvre courte mais particulièrement riche, Le Lâche marque la dernière collaboration de Satyajit Ray avec la talentueuse Madhabi Mukherjee. Incarnant avec maîtrise et maturité une femme blessée qui a décidé d’accepter son sort malgré ses sentiments, l’actrice forme avec Soumittra Chatterjee un couple à la palette d’émotions bouleversante. Mais tandis que la caméra scrute en gros plans leurs visages, leurs regards évasifs et la tension qui les traverse, elle réserve un autre sort au personnage du mari, filmé comme un obstacle dans des compositions triangulaires savamment travaillées : de dos ou entre sa femme et son invité, sa présence rappelle sans cesse la distance définitive qui sépare désormais ces derniers.

Malgré un montage fait à la hâte, dont les coupes raides se ressentent, et un mixage sonore perfectible, Satyajit Ray filme ainsi un récit d’une grande beauté et laisse avec adresse sa caméra s’attarder sur les corps de ses acteurs transpirant le déchirement, le rejet et les remords. Si chaque plan reflète le lien invisible et fort unissant les anciens amants, chaque scène insiste aussi sur l’éloignement littéral et métaphorique des personnages. Dans une scène majeure et particulièrement réussie, Amitabha et Karuna se parlent ainsi de part et d’autre d’une route, qui finit par être traversée par une longue file de camions, interrompant une discussion qui ne sera jamais reprise.

Le Lâche est également une façon pour Ray de dénoncer le pouvoir que les hommes détiennent sur la vie des femmes en Inde. Incapable de faire face au réel, c’est en effet Amitabha qui a scellé le destin de Karuna en refusant de l’épouser contre l’avis de leurs familles. L’homme qu’elle pensait être son prince charmant ne l’a pas sauvée d’une vie convenue et sans amour et les années passées n’y changeront rien. Et, s’il peine à le comprendre, la femme qu’Amitabha retrouve n’est alors plus la jeune étudiante ingénue qu’il avait connue. Car comme elle l’avait bien compris le soir de leur séparation, ce n’est finalement pas de temps dont les hommes ont besoin : c’est de courage.

Audrey Dugast.

Le Lâche de Satyajit Ray. Inde. 1965. Projeté au Festival des 3 Continents 2023

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