Festival Allers-Retours 2021 – Striding Into the Wind de Wei Shujun

Posté le 7 octobre 2021 par

Réalisateur pékinois dont le nom n’évoque d’ores et déjà plus n’importe qui, après deux premiers longs-métrages en sélections cannoises 2020 et 2021, Wei Shujun s’impose comme l’un des grands newcomers de son époque avec Striding Into the Wind, projeté au Festival Allers-Retours 2021.

Lassé par sa dernière année d’école de cinéma, enchaînant les emplois sans intérêt et se trouvant constamment en désaccord avec sa petite amie, Kun, un talentueux ingénieur du son, est à la recherche de quelque chose de plus vibrant dans sa vie. Un nouveau permis de conduire en poche et en compagnie de son meilleur ami, Kun se lance sur la route dans une vieille Jeep d’occasion pour réalisater sa production d’étudiant.

Après The Cloud in Her Room de Zheng Lu Xinyuan, et son propos méta-discursif sur le cinéma, la sélection du Festival Allers-Retours 2021 semble curieusement mettre à l’honneur les films parlant de films, afin, en quelque sorte, d’établir un constat de la Chine contemporaine au travers du 7ème art, et de ses innombrables artifices de narration et de mise en scène. Hors des sentiers battus de la traditionnelle mise en abyme, Striding Into the Wind conte le passage à l’âge adulte d’un jeune étudiant pékinois ingénieur du son (Zhou You), quelque peu dissident, débraillé, rêvasseur et indiscipliné sur les bords, dans la vie d’échecs et de désillusions qu’il mène. En tant qu’étude de cas de son personnage Kun, Wei Shujun s’applique à recréer la jeunesse désabusée qui fut apparemment la sienne si l’on en croit la dimension semi-autobiographique du métrage. Le ton est donné dès l’introduction, dans la scène du permis de conduire : des voitures blanches dans le rang, suivant le parcours de l’examen, et celle de Kun, en contre-tempo, victime d’une conduite non-conditionnelle pour ne pas dire dangereuse, puis l’altercation entre l’élève et le moniteur sur les voies. Nous rencontrons Kun ainsi, et nous le suivrons pendant plus de 2h dans ses petites farces juvéniles jusqu’aux larcins qui lui vaudront des problèmes avec les autorités.

Plus d’une fois, intentionnellement ou non, du film de Wei Shujun se dessine un portrait de la jeunesse rebelle proche de ceux de Jim Jarmusch ou de Kitano Takeshi, en premier lieu Kids Return (1996) pour son humour caractéristique du cinéaste japonais. En effet, Striding Into the Wind lorgne autant du côté du teen movie que de la comédie, avec un malaise qui opère tout au long du récit et qui semble évoquer les débuts de Tsai Ming-liang dans sa mise images du mal-être intérieur, maquillé par l’assurance d’un crime commis. Une Jeep décrépie dont s’échappe une épaisse fumée noire vient ainsi symboliser le parcours de Kun, de la moindre panne au frein à main qui ne fonctionne plus, laissant le bolide dévaler la pente depuis les hauteurs de la ville, au-dessus du monde commun, du sommet auquel aspire notre protagoniste à qui la chance ne réussit pas. En soubassement de cette chronique du quotidien aux accents d’absurde se révèle une réflexion sur le cinéma indépendant en Chine, et une dialectique d’antinomie entre talent et succès, démonstrativement prouvée par la scène où Kun met à l’amende son professeur de son, simulant, non sans iconoclasme, un galop de cheval en déchirant les pages d’un livre. Car le pire, dans tout cela, est que Kun est surdoué dans sa discipline.

Wei Shujun, en montant cette pièce anti-genre, ne dénonce ou ne satire pas tant le travail dans le milieu du cinéma qu’il n’ouvre des pistes nouvelles, irrévérencieuses, sur la sensibilité créative et sa faible valeur face à la mégalomanie d’une équipe de tournage. La déclaration artistique de Striding Into the Wind, à l’ère de l’ironie post-moderne, est toute autre que l’intra-film en cours de production, réalisé par un cinéaste qui ne cesse de citer Wong Kar-wai et Hou Hsiao-hsien, et qui remercie même son chef opérateur d’avoir « fait du Hong Sang-soo » ; Wei donne de l’importance aux ambitieux, aux limites économiques et philosophiques du cinéma, aux marginaux, qu’un archétype de faux road-trip n’émancipe pas, au contraire, mais condamne plutôt à l’exploration éternelle de son avenir. La caméra statique dans la voiture nous oblige fatalement à subir les angoisses mouvementées du quotidien, cloués au siège, impuissants, de la même manière que Kun n’a plus aucun contrôle sur sa vie. Sans le réduire à l’idée de libération, Striding Into the Wind la porte en son sein, et se prémunit de ce fait des failles du système dans lequel galèrent Kun et son ami Tong, le premier ne rattrapant pas l’autre concernant l’aversion qu’ils éprouvent envers la discipline (la mère de Kun est professeure et son père policier ; des figures d’autorité et un environnement strict qui le brident).

Le comble vient lorsque Kun, Tong, le réalisateur et l’actrice du film partent en Mongolie intérieure pour des reshoots : l’ingénieur son est mis face à un habitat traditionnel et des chevaux anesthésiés pour la prise d’une scène, mais cette dernière est embarrassée par des camions dans le lointain. Rien de plus équivoque que ce syndrome corrompu de la modernité, au détriment des paysages, qui amène Kun à s’enfoncer dans les profondeurs du pays comme il en rêvait alors, dans sa quête personnelle. Rattrapé par la police et placé dans un centre de détention, le destin funeste de ce personnage atypique déconstruit finalement l’idée de liberté rattachée à un lieu, ainsi que la réalité tangible, pour ne favoriser que le changement intime et interne, le seul qui importe quand plus rien dehors ne permet l’évasion.

Entrée en scène tonitruante de Wei Shujun dans le paysage du cinéma chinois contemporain, Striding Into the Wind canalise des énergies puissantes que seule la projection en salles semble pouvoir libérer, par la force de l’expression artistique. Espérons qu’après cette diffusion au Festival Allers-Retours, il soit distribué en salles, de même que son second long-métrage, Ripples of Life, présenté à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes 2021.

Richard Guerry.

Striding Into the Wind de Wei Shujun. Chine. 2020. Projeté au Festival Allers-Retours 2021.

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