VIDEO – Les Menottes rouges de Noda Yukio

Posté le 20 avril 2024 par

Le Chat qui fume édite dans une belle édition Blu-ray Les Menottes rouges de Noda Yukio, bel exercice de pinky violence produit dans le sillage de La Femme Scorpion, mais avec une volonté plus prononcée de cinéma d’exploitation.

Tokyo, années 1970. Il existe, au sein de la police japonaise, un département secret nommé « Division 0 ». Rei travaillait dans ce service en tant que détective. Un jour, elle tue l’assassin d’une amie proche, geste qui lui vaut la prison. Mais lorsque Kyoko, la fille du futur Premier ministre japonais, est kidnappée, Rei est libérée, avec pour mission de sauver Kyoko. Avec pour seules armes un pistolet et des menottes de couleur rouge, elle parviendra à infiltrer la bande de kidnappeurs.

Les Menottes rouges est un décalque assez évident du cultissime La Femme Scorpion d’Ito Shunya (1972) sorti l’année précédente. Le film est initié par les mêmes producteurs et adapte à nouveau un manga de Shinohara Tooru. Les similitudes frappent tout au long du film, que ce soit Sugimoto Miki en héroïne taciturne et iconisée par son imperméable rouge, la chanson-titre composée par Kikuchi Shunsuke (compositeur de La Femme Scorpion) sonnant exactement comme le Urami Bushi chantée par Kaji Meiko dans La Femme Scorpion. Cependant, Ito Shunya avait par son brio formel et thématique ainsi que grâce à sa charismatique interprète réussi à transcender le film d’exploitation pour livrer une vraie œuvre féministe subversive. Héroïne malmenée, humiliée mais toujours vaillante, elle se dressait de tout sa hargne face à une société japonaise machiste dans trois films brillants, puisque suivraient deux suites cruciales toujours dirigées par Ito Shunya avec Elle s’appelait Scorpion (1973) et La Femme Scorpion : La Tanière de la bête (1974) – avant que le duo gagnant Ito Shunya/Kaji Meiko tire sa révérence sur les opus suivants.

Les Menottes rouges, tout en arborant les mêmes contours, est bien loin de cette profondeur et est simplement un film d’exploitation relativement efficace. Si La Femme Scorpion exploitait le sous genre du Women in Prison, ici nous avons droit à un vrai polar urbain avec notre héroïne Sugimoto Miki du bon côté de la loi. Comme d’habitude dans le pinku,  l’exploitation putassière se dispute à la dimension féministe représentée par l’héroïne tenace. C’est plutôt l’aspect racoleur qui domine néanmoins, tous les prétextes étant bons pour dévoiler les formes sculpturales de Sugimoto Miki (ici sans Ike Reiko, son acolyte explosive des films pinky violence). L’ouverture conjugue donc ces deux facettes, lorsque la policière feint d’être droguée par un diplomate violeur pour mieux radicalement le châtier. C’est l’occasion de découvrir sa botte secrète avec ces menottes rouges emblématiques, la même couleur que l’hémoglobine qui inonde bientôt les malfrats trop entreprenants, le violeur voyant ses ardeurs calmées par une balle dans l’entrejambe.

Autre point commun avec La Femme Scorpion, l’héroïne seul rempart d’un monde d’hommes prêts à soumettre les femmes, celles-ci étant également faibles et/ou corrompues. Sugimoto Miki remonte donc la piste de kidnappeurs ayant enlevé et violé la fille du futur Premier ministre (Tamba Tetsuro). Les femmes ne sont ici qu’outil ou entrave à l’ambition (le chef de la police espérant une promotion avec l’affaire, le politicien prêt à sacrifier sa propre fille pour sa carrière, les kidnappeurs et le montant de la rançon qu’ils réclament) ou source de plaisir non consentant pour l’essentiel. Cette monstruosité des figures masculines s’exprime ainsi dans le froid calcul chez les puissants (Tamba Tetsuro parfait) et la barbarie dégénérée au sein de la plèbe représentée par les kidnappeurs – avec en point d’orgue ce meurtre fratricide brutal. Si dans La Femme Scorpion l’intrigue révèle un vrai motif de vengeance pour Sasori trahie par son fiancé, Sugimoto Miki est bien plus insaisissable ici. La moue boudeuse et le visage opaque quels que soient les outrages subis, c’est un ange de la mort attendant patiemment son heure pour délivrer son châtiment.

Le sort fait aux femmes répond de cette dualité entre cinéma d’exploitation et féminisme musclé. Le viol et l’enlèvement de la fille du ministre est ainsi particulièrement sordide alors qu’à l’inverse, quand Sugimoto Miki subira le même sort, la réalisation en fait un véritable rituel SM et bondage (en forme d’attente tacite pour le public vu le passif filmique de l’actrice) où l’on s’éloigne du réel avec ces éclairages baroques et la fétichisation du corps de l’actrice. Formellement, Noda Yukio s’éloigne beaucoup du style pop tapageur et opératique d’Ito Shunya. Noda s’est fait connaître par ses films de yakuzas et ses nombreuses collaborations avec Sonny Chiba (dont une adaptation du manga Golgo 13). Donc le résultat est ici nettement plus heurté (montage nerveux, caméra à l’épaule, panoramiques frénétiques), un polar urbain (qui rappellera les outrances de son pendant italien de l’époque) tout en excès qui trouve son point d’orgue dans une poursuite finale effrénée et un gunfight final sanglant où justice est faite. Voici donc un pinku rondement mené, mais qui pour l’intensité dramatique et la profondeur thématique restera inférieur à La Femme Scorpion.

Bonus : Présentation du film par Fabien Mauro, spécialiste du cinéma japonais. Il revient sur le contexte du système studio japonais en crise à cause de la concurrence de la télévision. Il évoque la réponse respective de chacun des grands studios à cette crise, et s’arrête plus spécifiquement sur la Toei misant sur le cinéma d’action. La pinky violence sera un des sous-genres issus de cette orientation avec en point d’orgue La Femme Scorpion. Les Menottes rouges va sortir dans son sillage et Fabien Mauro s’arrête sur le parcours de son réalisateur Noda Yukio, son style urgent et viscéral mis en valeur notamment durant ses collaborations avec Sonny Chiba. Il souligne le mimétisme assumé avec La Femme Scorpion dans l’écriture, la caractérisation et le jeu taiseux de Sugimoto Miki lorgnant sur Kaji Meiko (générique chanté compris). Après être revenu sur le CV du reste du casting, Fabien Mauro s’attarde sur l’approche formelle expérimentale de Noda Yukio, notamment la photo et la gamme chromatique sur les scènes érotiques. Il souligne le talent du réalisateur pour l’action urbaine, les choix de cadrages s’inscrivant dans le style des films d’exploitation de Toei. En définitive, il voit une différence entre le style plus « artistique » et militant de La Femme Scorpion et l’approche plus pop, manga et exploitation des Menottes rouges. Néanmoins les deux films témoignent d’un certain état d’esprit, d’une déliquescence sociale et politique du Japon des années 70.

Justin Kwedi

Les Menottes rouges de Noda Yukio. Japon. 1974. Disponible en Blu-Ray chez Le Chat qui fume en mars 2024.

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