FESTIVAL ALLERS-RETOURS 2023 : courts-métrages

Posté le 14 février 2023 par

Pour sa 5e édition, le Festival Allers-Retours propose une sélection de 6 courts-métrages tous plus divers que surprenants. Ce panorama à petite échelle, en passant par tout type de genres et de styles, dépeint avec succès la folle ambition de ces cinéastes chinois contemporains.

Perfect city : The Mother / Lili Alone – Mère(s)

Perfect City : The Mother de Zhou Shengwei

Le programme commence avec cette expérimentation à partir de diverses techniques d’animation, nous montrant comment une mère en bois tente de faire de son bébé une poupée parfaite. Le film est très surprenant par ce mélange de stop-motion et d’animation 3D angoissante. Nous sommes plongés, de plus en plus profondément et intensément, dans le cauchemar de cette mère qui tente désespérément de sculpter son bébé en un idéal visiblement inatteignable, mais surtout aliénant. Le tour de force du film étant bien de faire passer pour cauchemardesque non pas ces êtres en bois érodé se mutilant et ruisselant d’un liquide blanchâtre, mais bien la poupée Barbie à la 3D si parfaite et envahissante qu’elle en devient bien plus inquiétante.

Lili Alone de Zou Jing

Dans ce drame social contrastant totalement avec la vision pop et hallucinée de Perfect City : The Mother, nous suivons Lili qui, pour sauver son père mourant, devient mère porteuse. Le film est formellement saisissant avec sa caméra quasiment toujours immobile et centrée sur son personnage principal, donnant lieu à des compositions de plan virtuoses. Zou Jing arrive à faire entrer le ton ultra-réaliste du récit en symbiose avec sa réalisation ostensiblement réglée : jamais la qualité géométrique, presque arithmétique de la réalisation, n’empêche les personnages d’avoir du relief. Mais surtout cela n’est jamais un obstacle à la narration pour trouver son propre rythme dans cet étau très exigeant. Mieux, il se permet même d’explorer sa problématique avec beaucoup de pudeur, tant dans ses effets dramatiques que dans ses moments plus doux. Une légère gravité s’émane du film, nous permettant d’appréhender Lili premièrement par sa personne, tout en développant un état des lieux très ambigu sur cette épineuse question des mères porteuses. Il est d’avantage question d’entrer en empathie avec Lili, plutôt que de se faire juge de sa situation.

The Dreamland / Olympic – Rêve(s)

The Dreamland de Bian Ka

Ici, Bian Ka tente de représenter la logique du rêve à travers, une nouvelle fois, de l’animation expérimentale. C’est ainsi que des taches d’encre deviennent des formes, puis des personnages, puis reviennent à l’état de tache, le tout dans une fluidité berçante. Cet onirisme, triomphant sur tout le reste, est aussi accompagné d’une certaine matérialité visuelle : on y voit le papier (et ses reliefs) sur lequel l’animation se déploie. Plus que le papier, on assiste surtout à la naissance du dessin qui, s’animant sous nos yeux, laisse toujours les traces de son passage sur la feuille. Sans chercher à révolutionner le concept d’animation, ce court est un tour de force stylistique au rendu hypnotisant et presque apaisant.

Olympic de Zhu Xin

Aux antipodes de ce dernier, Olympic est une fiction de SF très classique dans laquelle Mara, dans un futur proche, veut battre le record du monde d’athlétisme. Le rêve y est cependant tout autant omniprésent : que ce soit dans la volonté impossible de Mara (toute l’intrigue repose sur le fait que le précédent record du monde détenu par le Jamaïcain Powell est un record inhumain, impossible scientifiquement) que dans la mise en scène du film. Si ce court est probablement le plus faible du programme, sa force réside dans l’univers qu’il arrive à mettre en place en quelques plans seulement. Plus que sa mise en place, Zhu Xin l’exploite assez finement, faisant de ce monde anticipatoire un espace à la lisière de l’intangible : ces panoramas de villes désertées, tout comme la trajectoire des différents personnages, tiennent tant de la vision apocalyptique que de l’onirisme brumeux. Malgré ses longueurs (il faut noter que du haut de ses 30 minutes, il reste le court le plus long du programme), son univers fantasmagorique et ses étrangetés science-fictionnesques l’emportent.

L’insaisissable joie du travail / Will You Look at Me – Le moi et les autres

L’insaisissable joie du travail de Yu Miao

Toujours dans la dystopie, mais cette fois-ci bien plus palpable, L’insaisissable joie du travail dépeint un personnage à la recherche d’un job qui, lors d’une virée à Pôle Emploi, va plonger dans un univers surréaliste. Dans ce monde, tout est susceptible de devenir un travail, même la tâche la plus absurde comme le démontre une scène mémorable avec une « dame pipi ». Mais surtout, tout est sujet à être monnayé. Toute ressemblance avec des faits réels ou ayant existé étant, bien évidemment, fortuite. Cette satire, au travers de son hilarité inquiète, se revêt d’une écriture assez orwelienne à laquelle on aurait injecté une forte dose de grotesque, faisant de ce cauchemar un enfer tout de même assez drôle. Sans jamais tomber dans la satire idiote et facile, le film de Yu Miao nous donne à rire grassement de la trajectoire absurde, mais très contemporaine, de son personnage principal cherchant à tout prix sa place en société.

Will You Look at Me de Huang Shuli

Sur le mode discrépant, Huang Shuli propose une forme autobiographique assez audacieuse, lorgnant du côté du film lettriste et du documentaire à la Van Der Keuken. C’est ainsi qu’image et son, chacun en totale autonomie vis-à-vis de l’autre, permettent de reconstruire le petit univers intime du réalisateur. Quelques moments clandestins avec son petit-ami, quelques disputes familiales, quelques remarques amères… Le film, tourné presque entièrement en super 8 ressemble, à s’y méprendre, à un bonbon acidulé. Cependant, c’est d’abord avec douceur que le cinéaste leurre le spectateur, en lui présentant son espace privé avec une certaine mélancolie drolatique, pour mieux l’amener vers les recoins de son intimité les plus secrets et devant lequel le spectateur n’aura d’autres choix que de se sentir nulle part à sa place. Assurément le plus émouvant et le plus puissant de la sélection, il clôture en beauté ce programme éclectique.

Thibaut Das Neves

Perfect City: The Mother de Zhou Shengwei. Chine. 2022.  Lili Alone de Zou Jing Chine/Hong-Kong/Singapour. 2021. The Dreamland de Bian Ka. Chine. 2022. Olympic de Zhu Xin. Chine. 2022. L’insaisissable joie du travail de Yu Miao. France. 2022. Will you look at me de Huang Shuli. Chine. 2022. Projetés dans le cadre du Festival Allers-Retours 2023

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