BLACK MOVIE 2023 – The Wind Will Say de Renai Wei Yongyao

Posté le 2 février 2023 par

Avec The Wind Will Say, le réalisateur Renai Wei Yongyao signe son premier long-métrage, présenté cette année dans le cadre du Black Movie. Ce drame familial teinté de polar, porté par Lee Kang-sheng dans le rôle principal, manque hélas de maîtrise pour réellement convaincre.

Icy, la fille de Chen, rentre du Royaume-Uni où elle était partie étudier. Au déplaisir de son père, elle revient avec un petit ami et sans leur valise, qui a été volée. Chen tente de se reconnecter avec sa fille et son ex-femme à travers la poursuite du bagage disparu, ce qui l’amène à des rencontres peu recommandables.

Dans ce premier film, Renai Wei Yongyao nous entraîne dans les méandres d’un drame intimiste, relevé de pointes d’ironie et de noirceur. Néanmoins, on sait que le mélange des genres est toujours un exercice risqué, et le pari était peut-être un peu trop ambitieux ici. Ainsi, malgré la présence encourageante de Lee Kang-sheng (Days) au casting, The Wind Will Say déçoit par un manque de profondeur et de cohérence, qui l’empêche de tirer son épingle du jeu.

Le film débute avec l’éclatement d’une dispute entre une femme et son chauffeur de bus. Dès le plan suivant, nous nous retrouvons dans un hôpital, avec de nouveaux personnages – les protagonistes – sans lien évident entre les deux événements. Il faudra une quarantaine de minutes pour qu’un flash-back nous ramène dans la continuité de la scène d’ouverture et la reconnecte à la trame principale, mais il n’élucidera pas pour autant sa pertinence vis-à-vis de celle-ci, et pour cause : elle ne semble en définitive, pas réellement en avoir. S’il est évident qu’une intrigue n’a pas nécessairement à être resserrée de bout en bout, le problème vient plutôt de ce que ce hiatus est à l’image du scénario dans son ensemble, qui ne semble pas savoir où aller, et encore moins comment s’y rendre. Bien que la réalisation ne soit pas dépourvue de belles idées et que l’œuvre semble plus pécher par maladresse que par paresse, le résultat n’en peine pas moins à impliquer le spectateur.

On comprend ainsi bien vite qu’Icy dissimule le véritable motif de son retour à son père, et tout le ressort dramatique repose sur ce secret. Ces enjeux, objectivement limités puisque circoncis à la cellule familiale, devraient puiser leur force et leur nuance dans les liens unissant ses membres, liens dont ils se nourrissent et qu’ils sont amenés à altérer. Encore faudrait-il que ceux-ci soient crédibles, et c’est là que le bât commence à blesser. Les protagonistes partagent en effet trop peu de moments à l’écran pour que l’on s’imprègne de leur dynamique, et la plupart d’entre eux ne sont d’ailleurs traités qu’en superficie, les quelques dialogues supposés dévoiler leurs doutes et leurs aspirations restant trop fonctionnels pour susciter l’empathie. Le seul personnage réellement développé est celui de Lee Kang-sheng, mais celui-ci livre malheureusement un jeu monolithique, avec une expression mi-contrite, mi-mortifiée en toutes circonstances, qui le rend paradoxalement opaque.

Qu’est-on, en effet, censé penser de cet homme ? Son visage chagriné nous pousse d’abord à imaginer un père dévoué qui n’aurait fait que subir l’éclatement de son foyer, ne s’en serait jamais remis et se sentirait aujourd’hui trahi en devinant que son ex-femme fréquente quelqu’un d’autre. Pourtant, on s’apercevra plus tard qu’il a refait sa vie depuis plusieurs années, qu’il s’est remarié et a eu un nouvel enfant avec qui il ne se montre guère chaleureux. L’œuvre, qui n’est par ailleurs pas exempte de traits d’humour pince-sans-rire, cherche-t-elle à le tourner en dérision en soulignant la contradiction entre sa posture de victime et l’égoïsme de son comportement ? La démarche serait séduisante, et si plusieurs indices semblent pointer vers cela, rien ne permet de clarifier les intentions du réalisateur avec certitude, la succession des scènes sans contextualisation laissant trop d’angles morts pour se faire une idée cohérente de ce que l’on cherche à nous raconter.

The Wind Will Say se montre en effet exagérément soucieux de ménager son mystère, si bien qu’entre son héros taiseux, ses thèmes à peine effleurés et son économie chronique d’explications, il est difficile de saisir les motivations des uns et des autres, et l’enchaînement des événements laisse parfois perplexe. La narration semble par moments lacunaire, sans doute parce que le réalisateur a jugé certaines étapes peu captivantes, mais leur absence nuit à la l’intelligibilité du film, et notamment à la perception de sa temporalité – voire de sa chronologie concernant les révélations en flash-back. Ce manque de lisibilité se retrouve d’ailleurs à l’échelle du découpage, où là encore certains raccords malhabiles sont de nature à désorienter, et ce tout particulièrement – et c’est fort dommageable – lors du climax. Dans le feu de l’action, certains personnages y changent de position ou passent d’un coin à l’autre de la pièce dans un ballet confus qui confine à l’amateurisme.

Tout cela étant dit – et soulevant beaucoup de points négatifs, le visionnage de The Wind Will Say n’est pas fondamentalement une mauvaise expérience. Plutôt, le film laisse un arrière goût de potentiel non accompli, comme un épice au goût passé ou un thé qui aurait trop peu infusé. De loin en loin, une touche d’humour ou de surréalisme fait mouche, et invite à une certaine tendresse pour l’ensemble. L’œuvre aurait d’ailleurs sans doute gagné à embrasser plus ouvertement ces aspects qui auraient pu lui conférer un sursaut de relief. Néanmoins, ces variations de tons, au même titre que les personnages jamais creusés ou les thématiques tout juste survolées, deviennent en définitive des fausses pistes de plus, laissant la sensation que l’intrigue n’est guère qu’un long couloir de portes entrouvertes, qui communiquent dans une géométrie non euclidienne. Ce coup d’essai n’est donc pas un coup de maître pour Renai Wei Yongyao, mais il permet du moins de le mettre sur les radars, et lui permettra peut-être de mettre le pied à l’étrier pour de nouveaux projets, qu’on espère plus aboutis.

Lila Gleizes

The Wind Will Say de Renai Wei Yongyao. 2022. Chine, Malaisie. Projeté au Black Movie 2023.

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