BLACK MOVIE 2023 – Shivamma de Jaishankar Aryar : des égarements d’une femme tenace

Posté le 31 janvier 2023 par

Dans une approche presque documentaire, le réalisateur indien Jaishankar Aryar filme l’acharnement d’une femme pris au piège d’un système pyramidal dans l’Inde rurale contemporaine. D’abord présenté en France à l’occasion du Festival de Cannes et du Festival des 3 Continents de Nantes, Shivamma (2022) bénéficie d’une première suisse avec le Black Movie.  

L’image est brute, mouvante. Les plans semblent parfois improvisés, tant la frontière entre le cinéma et le documentaire est brouillée. Les dialogues eux-mêmes possèdent une intrigante spontanéité, un naturel qui renforce l’impression de réalisme et de sincérité. Aucun des acteurs n’est professionnel. De Sharanamma Chetti, interprète de Shivamma, se dégage une émotion bourrue et un verbe austère. Tourné en kannada, langue parlée dans l’État du Karnataka, au sud de l’Inde, le long-métrage suit le parcours de cette mère de famille modeste qui décide de se lancer dans la vente d’un produit soi-disant miraculeux dans l’espoir d’une vie meilleure. 

Il s’agit du premier film de Jaishankar Aryar, qui s’essaie au long format après deux incursions dans le court-métrage. Sans formation, le jeune réalisateur utilise une caméra à l’épaule qui lui offre une grande mobilité et lui permet de filmer son récit dans une forme de cinéma pragmatique qui n’est pas sans rappeler l’approche néo-réaliste de certains réalisateurs du cinéma parallèle des années 1950-1960. 

La figure de Shivamma est en cela un symbole très représentatif des conflits intérieurs qui agitent cette population pauvre et modérément éduquée. Shivamma n’est pas idéalisée : têtue, injuste et parfois méchante, cette petite femme frêle, au visage tanné et ridé par le soleil refuse de voir la réalité pour ce qu’elle est jusqu’à en faire payer le prix fort à sa propre famille. Croit-elle vraiment aux histoires qu’elle raconte pour vendre ses produits frauduleux ? Le doute persiste. Elle n’hésite pas à grossir ses récits pour mieux impressionner son auditoire, sans se soucier des répercussions, mais se nourrit aussi de cette étrange mixture qu’on lui a vendu à prix d’or. 

Jaishankar Aryar refuse toutefois de la réduire au cruel jugement de ses pairs, et la filme avec empathie. C’est son aveuglement orgueilleux qui caractérise Shivamma, ses choix malheureux et son rêve d’une vie meilleure. D’abord encombrés de corps, les plans se vident ainsi, peu à peu, à mesure que la mère de famille est humiliée et rejetée, victime d’un système pyramidal sans scrupule qui exploite et affabule les femmes et les hommes en quête d’indépendance et de respectabilité. 

Un premier film prometteur, qui a l’ambition de séduire aussi bien un public local qu’occidental. 

Audrey Dugast

Shivamma de Jaishankar Aryar. Inde. 2022. Projeté au Black Movie 2023.

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