BLACK MOVIE 2023 – Parallel de Tanaka Daiki : chaos postmoderne

Posté le 27 janvier 2023 par

Présenté aux côtés du somptueux La Piedad d’Eduardo Casanova dans la section Spasmes du Black Movie 2023, Parallel de Tanaka Daiki s’annonce comme un film aussi radical qu’éprouvant. Et s’il l’est, ce n’est pas tant pour sa violence débridée que pour son aspect totalement chaotique.

Mai, une enfant de 10 ans, assiste au meurtre de ses parents abusifs par un tueur travesti. 10 ans après cet événement, un nouveau tueur travesti, cette fois-ci cosplayer, sévit autour d’elle.

Dès son introduction, le film désarçonne. Si le scénario semble correspondre aux codes de l’horreur et même plus précisément aux codes du slasher, la narration, elle, ne répond pas du tout à ces codes-là. Les tueurs sont étrangement caractérisés comme des super-héros : le premier tueur sauve ouvertement la petite Mai de ses parents abusifs, tandis que le second, lui, possède toute la panoplie du super-héros (double-vie, repère secret, costume distinctif, outils spécifiques à son personnage, mise en scène super-héroïque le montrant sur les toits et contemplant la ville…). Et pourtant, le ton du film est clairement inscrit dans le genre horrifique : nos personnages de tueurs ne sont montrés ni comme vertueux, ni comme faisant régner la loi. Tanaka Daiki met ici en place une ambiguïté totale sur la forme de son film. Non pas uniquement sur le genre qu’il est censé incarner, mais aussi dans le ton qu’il est censé adopter : il est impossible de savoir s’il s’agit ici d’une parodie, d’une comédie horrifique, ou bien même tout simplement d’un navet.

Et cette ambiguïté, le film va l’entretenir avec une certaine malice jusque dans sa dernière minute. L’on passe par exemple assez rapidement et sans crier gare du film mi-super-héros mi-thriller horrifique à une sorte de comédie romantique assez tordue. Ou bien encore sur sa fin, le film plonge tête la première dans le Magical Girl tout en adoptant les codes du slasher… En bref, non content de passer son temps à changer de registre, il met toujours en place un entre-deux tarabiscoté afin de ne jamais s’inscrire totalement dans un genre ou dans un autre. Cela ne fonctionne pas toujours, il est parfois frustrant de ne pas voir le réalisateur aller au bout d’un de ses délires farfelus et il arrive aussi que le mélange ne prenne tout simplement pas. Mais cela donne dans le même temps quelques moments de bravoure assez fabuleux : notamment au travers d’un arc narratif très mystérieux aux allures de cyberpunk, qui donne finalement lieu à cette fameuse séquence tout à fait jouissive de Magical Girl croisé avec Vendredi 13. C’est en ce sens que le film est aussi radical qu’éprouvant : il ne cesse de donner l’impression qu’il est constamment sur le point de s’effondrer sous le poids de ses ambitions. Proposer un tel mélange, dans une production si simple, semble relever du miracle ou de la folie. Et même s’il ne réussit pas toujours, force est de constater que Tanaka ne cède jamais à la catastrophe : il arrive sans cesse à se maintenir, portant même certains de ses délires à une apothéose jubilatoire.

Et s’il est difficile de définir clairement ce qu’est ce film, il n’est jamais avare en évocations plus ou moins intéressantes. Par exemple, lorsqu’il pioche dans l’eroguro pour mettre en scène les cadavres de son tueur, en plus de le faire très bien malgré son faible budget, cette évocation, d’abord uniquement une citation visuelle et presque fétichiste, se révèle au fil du visionnage presque éclairante. Il n’est pas question d’inscrire Parallel dans une continuité ou en tant qu’héritier du mouvement eroguro (tant l’usage du terme est maintenant galvaudé), mais on pourrait dire qu’il s’en rapproche énormément. Il est très loin du raffinement macabre d’un Ranpo ou d’un Maruo et est plutôt comparable aux productions punks, érotiques et grotesques de Kago Shintaro. On y retrouve ce même goût pour l’absurde, cette capacité à s’inscrire dans une lignée puis dans une autre avec une facilité déconcertante, et surtout, ce même encrage malade et déformé dans le réel. Il en est de même lorsqu’il pioche dans le cyberpunk ou bien dans le Magical Girl : ces évocations paraissent au premier abord soit lourdingues, soit gratuites, mais finissent toujours par donner lieu à une idée très surprenante.

Son usage de l’intertextualité est d’ailleurs en lui-même très étonnant, ne tombant jamais ni dans l’hommage crédule, ni dans la parodie, et encore moins dans le pastiche. Peut-être que le terme de collage lui irait bien, mais ce serait encore trop imprécis pour rendre compte du délire à la frontière de la démence que constitue cette entreprise curieuse. Il n’est pas vraiment un énième film trash japonais voulant surprendre par des surenchères de gore : il n’en a ni l’ambition, ni le budget. Il n’est pas non plus, malgré les apparences, une énième production grand guignol ultra-nihiliste et misanthrope : même si tous ses personnages sont profondément mauvais et détestables, il les dépeint avec une certaine tendresse parfois désarmante, presque communicable. Il agit volontiers comme un palimpseste à peine lisible, profondément marqué par une certaine pop-culture contemporaine bien connue du réalisateur et de laquelle il ne fait ni condamnation, ni éloge. Il l’utilise simplement en tant que matériel de base, autant pour l’univers de son film que pour la grammaire cinématographique qu’il tente d’adopter. Ce premier long-métrage n’est donc pas forcément agréable : la construction du film est très faible, il y a beaucoup d’éléments qui se bousculent pour au final ne donner sur rien et il possède de nombreux autres problèmes qu’il serait peut-être intéressant de relever en tant qu’inspecteur des travaux finis. Mais il reste tout de même un film plus qu’intrigant, donnant follement envie de suivre la suite de la carrière de Tanaka Daiki.

Parallel est donc une petite étrangeté indépendante authentiquement et radicalement tordue, ce qui fait tout son charme. Le voir ne sera peut-être pas une expérience avenante, tant il s’amuse à ne jamais satisfaire les attentes de son spectateur. Cependant, il reste une expérience marquante au moins pour le degré de folie pure qu’il propose. Il donnerait presque ses lettres de noblesses à l’expression assez vague et un peu dépassée de « cinéma postmoderne », tant il maltraite ses référentiels avec une radicalité au-delà même de ses moyens.

Thibaut Das Neves

Parallel de Tanaka Daiki. Japon. 2021. Projeté au Black Movie 2023

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