Dai Sako Drive into Night

KINOTAYO 2022 – Drive into Night de Dai Sako

Posté le 19 décembre 2022 par

Un meurtre crapuleux, deux suspects désœuvrés qui tentent de faire porter le chapeau à un innocent, une usine de récupération de ferraille gérée par un président louche, des mafieux chinois déterminés et le gourou d’une secte new age : bienvenue dans l’inquiétant et déglingué Drive into Night de Dai Sako, sélectionné au festival Kinotayo 2022.

Dans une ville de province, Akimoto, quadragénaire célibataire qui vit encore chez ses parents, est VRP pour un ferrailleur. Il passe ses journées en voiture à sillonner la région, de quincailleries en usines, pour racheter des métaux. Souvent en vain, au grand dam de Hongo, son supérieur bourru et alcoolique, qui méprise Akimoto et l’humilie devant ses collègues. Un soir, alors qu’Akimoto et Taniguchi, trentenaire insatisfait de sa vie de famille, écument les clubs d’hôtesses et les bars, ils croisent le chemin d’une jeune femme. Un plan drague qui se termine par la mort de la jeune femme. Akimoto et Taniguchi maquillent leur crime pour faire accuser Hongo.

Dai Sako Drive into NightLa lecture de ce scénario convenu augure d’un énième film policier mâtiné de suspens. Il n’en est rien. Dès le début du film, Dai Sako introduit son univers étrange et louche peuplé de désaxés presque tous perdants dans la vie : Akimoto, le vieux garçon humilié en qui sommeille une colère sourde ; Taniguchi, sans doute un ancien cool kid du lycée bloqué dans sa province et son travail mal payé, à la fois adultère et cocu ; Hongo, brute épaisse qui noie son ennui et son désespoir dans l’alcool ; un ferrailleur sexagénaire qui vend de la drogue de synthèse pour arrondir ses fins de mois ; Wan, caricature du Chinois plouc mais riche (il porte un sac banane Gucci), rigolard mais toujours inquiétant et menaçant ; ou le propriétaire de l’usine de traitement de la ferraille, faux vieux beau qui passe ses journées à jouer au golf.

Une faune qui rappelle les films des frères Coen (une ambiance Fargo) et cette mode du cringe ou du malaisant. Sauf qu’ici, peu de moments prêtent au rire ou à la moquerie. Le vide existentiel est omniprésent et on ressent un vrai désespoir, comme quand on écoute les albums solo de Syd Barrett : derrière la façade enjouée des comptines se cachent des paroles obscures et déglinguées, comme un appel à l’aide (« Won’t you miss me? Wouldn’t you miss me at all? »).

La singularité de Drive into Night continue juste après le meurtre de la jeune femme par Akimoto et Taniguchi (après une ellipse qui laissera une certaine aura de mystère sur ce qui s’est vraiment passé). L’enquête policière ne sera pas du tout mise en avant et le film montrera plutôt la fuite en avant des personnages principaux, notamment la soudaine adhésion d’Akimoto dans une secte appelée « New Life Design », dirigée par un gourou charismatique comme on en voit de plus en plus de nos jours dans les arnaques de formation en « développement personnel ». Quant à Taniguchi, il s’enfoncera dans la déprime, la médiocrité de sa vie de famille, fermant sciemment les yeux devant les infidélités de sa femme.

Comme dans ses films précédents Still Paradise (2006) et Running on Empty (2009), Dai Sako multiplie les séquences en voiture, non pour en faire des preuves ou des promesses de liberté comme dans les road movies mais plutôt pour figurer un monde clos mouvant et un moyen illusoire d’échappatoire. Une roue d’exercice pour hamster. Quant à elle, la mise en avant de la ferraille et de zones industrielles est une personnification des êtres humains réduits à des tuyaux (un intestin mesure en moyenne 7 mètres chez un adulte), à une mécanique uniquement matérialiste, sans supplément d’âme. Ce n’est pas un hasard si le corps de la jeune femme assassinée est déposé dans un sac de chantier comme des déchets de métaux. Déchets qui n’inspirent aucun intérêt (autre que pécuniaire) ni compassion.

Marc L’Helgoualc’h

Drive into Night de Dai Sako. Japon. 2021. Projeté au Festival Kinotayo 2022.

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