Festival des 3 Continents 2022 – L’Hiver intérieur de Aamir Bashir

Posté le 2 décembre 2022 par

Pour son deuxième long-métrage, le réalisateur indien Aamir Bashir pose une nouvelle fois sa caméra dans sa région natale du Cachemire. Projeté en avant-première européenne au Festival des 3 Continents, où il a reçu le Prix du Public, L’Hiver Intérieur (2022) narre l’attente, la révolte et le fatalisme d’un peuple opprimé et oublié. 

Un corps ensanglanté est déposé brutalement dans un cimetière enneigé par des soldats sans visage. Le gardien des lieux, un vieil homme aux traits abîmés par le vent glacial, caresse le front du malheureux, dont les doigts frémissent légèrement. Changement de scène. Des personnes se tiennent, éloignées les unes des autres, le long d’un mur à l’extérieur d’une prison. Parmi elles, une femme, sur laquelle le réalisateur arrête sa caméra. Son visage, en gros plan, est fermé. Sa peau est légèrement rougie par le froid, ses grands yeux sont alertes. Accroupie, elle attend. 

Après Harud (2010), L’Automne en français, le réalisateur Aamir Bashir décide à nouveau de faire le récit d’une disparition. Si son premier film abordait le début des insurrections au Cachemire dans les années 1990, contre le pouvoir indien autoritaire, L’Hiver intérieur dépeint la vie froide et résignée des habitants de la région, vingt ans après, entre violences militaires, enlèvements et privations.

Dans ce territoire oublié du reste du monde, une femme, Nargis, cherche inlassablement son mari, un rebelle capturé par les autorités. Dans un monde de vieillards, de veuves, de militaires et de dissidents, la jeune épouse, à la dignité inébranlable, incarne la fatalité de l’espoir en sursis et la solitude d’une quête cruelle pour la vérité et l’amour. La caméra d’Aamir Bashir s’attarde longuement sur son visage, qui n’esquisse presque aucun sourire tout au long du film. Les plans, lents et léchés, jouant sur une lumière hivernale naturelle et sur les clairs-obscurs des intérieurs sombres aux fenêtres cassées, magnifient le personnage, incarné magistralement par l’actrice Zoya Hussain

Les montagnes du Cachemire, qui se prêtaient autrefois à la poésie et au romantisme du cinéma bollywoodien, ne sont plus qu’un paradis perdu dans lequel se fondent les protagonistes. Allégories de cet hiver sans fin, leurs pas s’enfoncent profondément dans la neige, leurs corps fatigués vacillent sur le verglas et leurs paroles se font rares. C’est en fait une grande froideur qui émane de l’œuvre : plans figés, silences pesants… Même les relations humaines semblent animées d’un souffle glacial.

La caméra, stable, joue sur sa mise au point pour nous éloigner ou nous rapprocher des histoires à la fois intimes et universelles de cette région persécutée. Les camions militaires défilent inlassablement en arrière-plan, leurs vrombissements tenaces rythmant le quotidien des habitants, tandis qu’une musique mélancolique lie doucement les scènes entre elles, nous sortant du mutisme écrasant qui hante les êtres s’apparentant presque à des revenants. L’islam, enjeu central de l’oppression qui touche cette région, est à la fois partout et nulle part. On croise la religion au gré des appels des muezzins à la prière, des salam polis que s’échangent les passants, des voiles traditionnels des femmes cachemiris et des “si Dieu le veut” résignés. Avant de se battre pour le sacré, femmes et hommes se battent d’abord pour la liberté, azadi en ourdou.

En décidant de mettre en scène l’oppression et l’effacement progressif des droits de tout un État, qui, on le rappelle, est déchiré depuis des années entre de multiples revendications territoriales et religieuses, Aamir Bashir réalise en film audacieux qui aura peu de chance d’être distribué largement en Inde mais dont l’existence est primordiale pour la reconnaissance d’une souffrance encore souvent ignorée.

Le long-métrage, coproduit par la France et le Qatar, et pour l’instant restreint aux circuits festivaliers, est à la recherche de distributeurs européens.

Audrey Dugast

L’Hiver intérieur d’Aamir Bashir. Inde. 2022. Projeté au Festival des 3 Continents 2022

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