MUBI – Thirst, ceci est mon sang de Park Chan-wook

Posté le 4 novembre 2022 par

MUBI nous offre l’occasion de découvrir ou revoir Thirst, ceci est mon sang de Park Chan-wook, magistrale relecture de la figure du vampire conjuguée à une adaptation contemporaine du Thérèse Raquin d’Emile Zola. Un argument qui vient nous rappeler que chez le réalisateur, les éléments de genre ne sont jamais bien loin du constat social et du questionnement existentiel.

Un jeune prêtre suit une expérience médicale et se porte volontaire pour tester un vaccin susceptible d’éradiquer une maladie qui sévit en Afrique. L’expérience est un fiasco, et le prêtre décède. Une transfusion sanguine d’origine inconnue le ramène à la vie, mais cette expérience le transforme progressivement en vampire. Rentré en Corée, sa résurrection attire les pèlerins. Parmi eux, il recroise la femme d’un ami d’enfance, aux charmes de laquelle il ne pourra résister.

Thirst, ceci est mon sang prolonge avec le déluré/dépressif Je suis un cyborg (2006) la rupture entamée par Park Chan-wook après sa fameuse trilogie de la vengeance – Sympathy for Mister Vengeance (2002), Old Boy (2003) et Lady Vengeance (2005). Le réalisateur cherche ainsi dans les genres et le ton à se détacher de cette trilogie ayant fait sa gloire tout en creusant un même sillon thématique. Dans Thirst il va s’appliquer à revisiter le mythe du vampire tout en offrant une relecture du Thérèse Raquin d’Emile Zola dans le cadre contemporain de la Corée du Sud. Les personnages de Park Chan-wook s’inscrivent souvent dans une logique de cloisonnement à la fois mental et physique dont ils sont à la fois la cause et la solution. C’est le constat de la tragique conclusion d’Old Boy, c’est la folie douce et destructrice animant les protagonistes de Je suis un cyborg, ce sera la mue de l’héroïne de Stoker (2013) et ce qui permettra au couple de Mademoiselle de se défaire de ses chaînes.

Dans Thirst, cette idée s’articule en deux personnages. D’un côté il y a le jeune prêtre Sang-hyeon (Song Kang-ho) qui, initialement guidé par un sacerdoce vivace, va se porter volontaire pour tester le vaccin d’une maladie dangereuse. La frustration d’accompagner les malades à leur fin sans pouvoir les sauver se mêle à une forme d’ennui et de torpeur entre le silence du monastère et les environnements neutres des hôpitaux. Son « sacrifice » a beau être sincère, c’est paradoxalement une manière de se sentir vivant dans le probable sort funeste qui l’attend. La dévotion du martyr vaut autant dans ce geste que la satisfaction de l’ego, l’emmenant ailleurs de ce qu’il a toujours connu. Contre tout attente il s’en sortira vivant mais transfiguré en obtenant les aptitudes, la faim et les faiblesses des vampires. De l’autre côté, nous aurons Tae-ju (Kim Ok-vin), une jeune femme aux horizons plus restreints encore. Abandonnée enfant par ses parents au sein d’une famille dont elle a dû épouser le fils aîné, elle se morfond dans son foyer entre une belle-mère abusive et son époux homme-enfant hypocondriaque capricieux. Le vampirisme, d’abord indirectement puis plus explicitement, va venir à son tour bouleverser sa vie à travers la liaison torride qu’elle va entamer avec San-hyeon.

En partant d’une base scientifique pour introduire le vampirisme, Park Chan-wook éloigne l’idée d’un mal indicible et surnaturel pour en faire l’instrument biologique d’un décloisonnement psychologique. Revenu différent, Sang-hyeon devient une relique humaine admirée par les opprimés qui attendent désormais de lui des miracles divins plutôt que du réconfort. Dans ce lien constant entre l’organique et le psychique, l’éveil des sens de notre héros se joue sur les deux tableaux. Désormais sensible à l’odeur du sang et expérimentant la soif, Sang-hyeon est attiré par Tae-ju par son sens olfactif (devinant qu’elle a ses règles) avant qu’elle n’éveille ses sens dans la dimension charnelle du terme. Tae-ju quant à elle voit dans ce prêtre l’interdit qui bouleverserait son existence terne ; il représente davantage qu’un amant par ce statut et d’autant plus quand il révèlera sa nature vampirique. Park Chan-wook a beau filmer des protagonistes aux capacités extraordinaires, ces derniers semblent malgré tout incapables de s’extirper de leurs chaînes physiques et psychologiques. Les lieux de l’intrigue se résument au monastère, à l’appartement, l’hôpital, et les rares extérieurs sont les rues qui relient chacun entre eux.

Le vampirisme est une libération et une malédiction pour Sang-hyeon tiraillé par sa formation religieuse au moment d’étancher sa soif. L’immortalité est un champ trop vaste pour lui, le sexe un plaisir qu’il ne se résoudra à assouvir que difficilement. A aucun moment l’idée de s’enfuir, de changer de ville ne vient au personnage subissant les aléas de leur liaison clandestine. Tae-ju dans une démarche tout aussi contradictoire n’exprime sa rébellion que dans le cadre contraint de ce foyer dont elle préfère sacrifier les obstacles plutôt que d’en construire un autre, ailleurs. Tant que persiste pour chacun ces entraves morales et/ou mentales, Park Chan-wook filme avec une méchanceté acéré la satire d’un quotidien médiocre et de personnages qui ne le sont pas moins. L’époux capricieux, sa mère étouffante (Kim Hae-sook) sont un prétexte à des moments de comédie où Park Chan-wook s’approprie, par sa causticité, le ton plus noir de Thérèse Raquin dont il suit néanmoins la trame. Les idées formelles loufoques abondent, que ce soit pour moquer l’ennui bourgeois ordinaire (les parties de mah-jong) où expliciter la hantise de la culpabilité – l’époux décédé qui s’insère dans les ébats des amants.

Lorsque le statut de vampire est désormais partagé par les Tae-ju et Sang-hyeon, le réalisateur travaille une nouvelle fois la chair et l’esprit pour traduire leur différence. Le monde extérieur n’existe plus et se résume à un terrain de chasse nocturne pour une Tae-ju sans états d’âme à tuer. L’appartement devient immaculé de blanc pour traduire l’humanité disparue des personnages. La dualité entre le psychique (et ce qui reste de conscience) qui tiraille Sang-hyeon et l’organique auquel s’abandonne Tae-ju représente les deux faces d’une même pièce et qui font du couple des êtres incomplets – les nombreuses séquences filmées en nuit américaine ne sont d’ailleurs pas innocentes pour traduire cet entre-deux. Le vampire résilient tel que souhaite l’être Sang-hyeon est une hérésie, et celui immoral et sanguinaire tel que se rêve Tae-ju un danger. Plutôt que se déchirer, ils choisiront un sort commun et funeste que Park Chan-wook amène par son style si insaisissable fait de burlesque et de tragédie romantique dans un final sublime auquel on pardonnera volontiers quelques effets numériques hasardeux.

Justin Kwedi

Thist, ceci est mon sang de Park Chan-wook. Corée du Sud. 2009. Disponible sur MUBI

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