VIDEO – Lifeline de Johnnie To

Posté le 4 août 2022 par

Réinterprétation hongkongaise du Backdraft (1991) de Ron Howard et dernier film de commande de Johnnie To avant qu’il ne fonde la Milkyway Image, Lifeline (1997) n’en reste pas moins un évènement charnière dans la carrière du réalisateur. Les éditions Spectrum nous proposent cette rare immersion au cœur des flammes, dans un combo Blu-Ray avec jaquette réversible accompagné du film Loving You (1995).

La caserne de pompiers de Tsi Wan Shan se confronte quotidiennement aux pires évènements de Hong Kong. Au manque de discipline de son équipe, s’ajoute une malchance devenue légendaire. Mais son nouveau capitaine est bien décidé à remettre de l’ordre. Lorsqu’un imposant sinistre éclate à l’intérieur d’un complexe industriel, menaçant la ville entière, tous les pompiers de Hong Kong sont mobilisés, y compris les hommes et les femmes de Tsi Wan Shan qui vont pouvoir démontrer leur valeur au cœur même du brasier.

Une autre aspérité du cinéma du Hong Kong est celle de délaisser les héros mythiques au profit de ceux du quotidien. Johnnie To a très vite su jouer sur les deux tableaux en s’attelant tout à la fois à raconter les faits d’armes de légendes chinoises avec The Bare-Footed Kid (1993) et les exploits non moins importants de héros plus modestes comme le policier interprété par Lau Ching-wan dans Loving You (1995). Mais peu importe la portée mythologique ou réaliste du récit, le réalisateur hongkongais se plaît à investir l’intimité de ses personnages pour en révéler les failles et la nature de la combativité dont ils font preuve à tout moment. Lifeline est de cette trempe et cherche à inspecter l’humain derrière l’uniforme des soldats du feu au sein d’une caserne de Hong Kong où le moindre malheur de la ville semble s’abattre. L’absence d’intrigue à proprement parler se substitue en une série de petits arcs narratifs choraux auquel chaque personnage a droit pour renforcer la dimension individualiste du film, démarche intéressante compte tenu de l’esprit de groupe qu’exige une équipe de pompiers : le nouveau chef de la caserne interprété par Alex Fong renoue avec son ex-femme et sa fille qu’il n’a jamais connue ; le personnage interprété par Lau Ching-wan tombe amoureux d’une femme qui a tenté de se suicider ; la seule femme pompier de la caserne interprétée par Ruby Wong tombe enceinte d’un mari qui n’approuve pas son métier… Autant de sous-intrigues mélodramatiques à base de problèmes de couple, de garde d’enfant ou de conflits intérieurs qui humanisent la profession et permettent dans une moindre mesure au spectateur de s’identifier, sinon de se sentir impliqué lors des évènements majeurs du film, sur le terrain, au plus proche des flammes.

Lors d’une deuxième heure haletante, un incendie se déclare dans un complexe industriel sensible. C’est la ville toute entière que les pompiers sont amenés à sauver. Un décor propice au talent pour la mise en scène et le spectaculaire de Johnnie To. Tandis que le corps principal du film fait montre d’une certaine sobriété lors des scènes domestiques et de dialogue, le cinéaste joue de cette rupture dramatique afin de basculer vers des images autrement plus stylisées qu’elles ne rendent compte de l’extraordinaire de la catastrophe. Ralentis, explosions, pyrotechnie et torrents de débris se côtoient pour un résultat aussi excitant, successivement désespéré et à l’énergie chaotique aussi expressive qu’une scène de fusillade. La réalisation s’offre parfois quelques moments immersifs sur le ton du documentaire, et le making-of confirme que les acteurs se sont passés de doublures et que seuls des effets spéciaux pratiques ont été employés comme pour rendre palpable le danger. Peut-être manque-t-il une qualité de style ou une patte d’auteur davantage marquée à l’ensemble pour se hisser parmi les meilleurs films du genre, mais Johnnie To sait y faire et nous le prouve à chaque instant.

Bonus

Présentation par Arnaud Lanuque : comme à son habitude, Arnaud Lanuque retrace depuis Hong Kong la production du film et lui confère un appréciable second niveau de lecture à partir de sa genèse. C’est devant la caserne de Sheung Wan qu’il revient sur le projet initialement prévu pour Jackie Chan, sur la continuité de la Milkyway ou sur le chef-opérateur fondamental dans la construction de l’identité visuelle de Johnnie To qu’est Cheng Siu-keung.

Lifeline par l’équipe de Capture Mag : le podcast Steroids discute des coulisses du film, du duo Lau Ching-wan / Carman Lee qui a fait forte impression dans Loving You à l’époque, et de l’inscription peu conventionnelle de Lifeline dans le paysage de l’action hongkongaise. Réflexion intéressante : Organized Crime & Triad Bureau (1994) de Kirk Wong, à propos d’un commissariat, pourrait avoir précédé la dimension chorale de Lifeline et l’immersion au sein d’un poste de secours de la ville.

Making-of : quoi de plus stimulant intellectuellement que de plonger au cœur des flammes avec les équipes d’un tel film. Documentaire d’époque commenté par les acteurs et par Johnnie To révélant son amour pour la thématique du sauvetage, ou la difficulté à dompter les éléments tels que le feu, l’eau ou la fumée sur un plateau. Un making-of qui donnerait presque envie de s’engager.

Richard Guerry.

Lifeline de Johnnie To. Hong Kong. 1997. Disponible en combo Blu-Ray chez Spectrum Films le 30/05/2022

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