VIDEO – Beauty Water de Cho Kyung-hun

Posté le 6 mai 2022 par

Après avoir été présenté à L’Etrange Festival et au NIFF, le thriller d’animation coréen Beauty Water de Cho Kyung-hun sort en combo DVD/Blu-Ray chez Spectrum Films.

Beauty Water raconte l’histoire de Yaeji, une maquilleuse complexée sur son physique engagée dans l’équipe de Miri, une actrice et mannequin rendue populaire, notamment, de par sa beauté et son charisme. Leur relation est très conflictuelle, Yaeji étant jalouse de Miri et Miri se trouvant être une patronne exécrable et rabaissante. Lorsqu’une entreprise de produits de beauté révolutionnaire propose à Yaeji de tester leur « beauty water » miraculeuse, elle se laisse tenter par la possibilité de changer radicalement de physique et par là également, de vie. La beauty water en question, davantage qu’un produit cosmétique, est une substance permettant à son utilisateur de se modeler le visage à sa convenance, à la façon d’une chirurgie esthétique fait maison.

Le médium de l’animation convient particulièrement bien au synopsis de Beauty Water tant celui-ci permet des expérimentations sur un plan visuel. La mise en pratique, toutefois, pèche par une utilisation de la 3D et des design de personnages assez pauvres, ainsi qu’une animation très peu fluide dans la gestion des mouvements des personnages. Le film recherche des façons originales et réfléchies de traiter le body horror qui pourraient véritablement fonctionner si l’esthétique était davantage travaillée mais, malheureusement, le résultat est assez bancal. Nous assistons à des scènes de transformation d’enveloppe corporelle qui, par écrit, feraient rêver mais se révèlent moins convaincantes dans leur présentation.

A ce titre, le traitement de l’image fait écho aux problèmes scénaristiques de Beauty Water. S’il est tout à l’honneur de Cho Kyung-hun de s’attaquer aux défauts de la société superficielle et matérialiste qu’il dépeint, le propos ne dépasse jamais vraiment le stade du constat et est parfois assez maladroit dans sa gestion du sujet. Quand Yaeji est présentée comme « laide » au début du film, les enjeux se situent surtout au niveau de son poids. Les scènes s’enchaînent alors en tournant en rond, nous la montrant se gaver de nourriture jusqu’à devenir la risée d’internet pour son apparition dans un spot publicitaire où on lui demande de manger à un buffet. Alors que le film suggérait dans son exposition que Yaeji est peut-être davantage complexée qu’elle n’est repoussante et qu’elle se projette beaucoup sur le regard des autres, il perd à tant insister sur le harcèlement dont elle est victime voire à la rendre responsable de ses souffrances. Lorsque le film se poursuit et qu’elle devient « belle », nous comprenons vite que la vie n’en sera pas facile pour autant et que la beauté idéale n’est jamais atteignable. Là encore, Beauty Water ne progresse jamais réellement et répète ce constat au lieu de tenter d’approfondir son propos. Tous les protagonistes semblent d’ailleurs se rendre à cette même évidence, ce qui certes, contribue à dire que la société entière est superficielle. Or, le film ne développe pas assez d’attachement aux personnages pour dépasser la sensation de lourdeur dans la délivrance du message. L’intrigue vire ensuite au thriller pur et perd de vue son discours sur l’esthétique en débouchant sur des rebondissements saugrenus et une conclusion qui a de quoi laisser perplexe.

La déception est à la hauteur des attentes, tant Beauty Water possède de qualités qui pourraient séduire et s’illustrer dans un grand film. Les intentions auraient gagné à être plus développées, plutôt que de multiplier les péripéties et les coups de théâtre. Le résultat n’est pas indigeste ou raté mais il laisse tout de même un goût de frustration en bouche qui éclipse ses moments sympathiques.

Bonus

Présentation du film par Antoine Coppola : Antoine Coppola fait le tour des thématiques présentes dans le film en les reliant aux spécificités de la société coréenne contemporaine dans son rapport à la beauté et à l’intervention de la main de l’homme sur celle-ci. Il revient sur la réception assez compliquée de ce film dans son pays de production, en expliquant que la chirurgie esthétique est devenue un tel phénomène de masse en Corée et attire tellement d’étrangers qui veulent se faire opérer que s’attaquer frontalement au sujet a déplu. Il insiste également sur la finesse de la représentation d’un quotidien standard coréen, que ce soit dans la construction de la protagoniste ou dans les détails de l’animation des lieux, des décors et des ambiances. Antoine Coppola déroule également l’histoire des films d’animation coréens et les tentatives avortées de faire émerger le médium. A ce titre,  Beauty Water est important car est le symbole de la tentative de redémarrage des productions d’animation coréennes, en particulier pour les adultes. Cette introduction très complète permet de mieux cerner certains enjeux de Beauty Water.

Interview du réalisateur :  Cho Kyung-hun présente son parcours, celui de la société de production Studio Animal (dont il est le président et qui a produit le film), et celui de la création du film. Il témoigne de la difficulté qu’il a eu tout d’abord à trouver sa voie dans le système académique coréen, puis une fois devenu producteur et réalisateur, des nouveaux écueils rencontrés avec son parti pris de réaliser un film d’horreur expérimental d’animation sur la chirurgie esthétique. Il évoque toutefois ses espoirs pour l’avenir du médium en Corée, notamment grâce à l’émergence de la VOD et indique que des nouvelles productions sous sa direction ont déjà démarré, comme celle du « film d’animation le plus atroce jamais réalisé », ce qui attise certainement la curiosité.

Introduction de Yeon Sang-ho : Le réalisateur de Dernier train pour Busan, qui avait tenté de faire émerger l’animation pour adultes en Corée dans les années 2010, avec notamment le très bon The King of Pigs, témoigne son soutien au film, de même que sa joie de voir Beauty Water prendre la relève.

Elie Gardel.

Beauty Water de Cho Kyung-hun. Corée. 2020. Disponible en combo DVD/Blu-Ray chez Spectrum Films le 04/04/2022.

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