EN SALLES – Ring de Nakata Hideo

Posté le 14 avril 2022 par

Puisqu’il est toujours agréable de découvrir ou re-découvrir des classiques du cinéma d’épouvante dans les meilleures conditions, The Jokers propose de se replonger, le temps d’une ressortie en remasterisé, dans la terreur venue du pays du Soleil levant, l’incontournable Ring de Nakata Hideo.

Pour comprendre comment un film sorti pour ainsi dire de nulle part comme Ring a pu marquer les esprits et nourrir les cauchemars de nombreux spectateurs à travers le monde, il est important, au-delà des indiscutables qualités du film sur lesquelles nous reviendrons plus tard, de le situer dans l’Histoire du cinéma et de rappeler son contexte de sortie.

Il faut savoir que Ring (ou Ringu pour les puristes nippophiles) est arrivé sur les écrans occidentaux quelques années après son exploitation au Japon. En effet, le film est sorti en 1998 sur l’archipel, explosant au passage le box-office national, pour finalement arriver par chez nous en 2001. A un an près, le cauchemar de Nakata Hideo fête ses 20 ans…

En Occident, lorsque l’on pense horreur ou épouvante, on se souvient immédiatement de films phares tels que Massacre à la tronçonneuse, Zombie et bien d’autres. Mais à la fin des années 90 et à l’approche du nouveau millénaire, ces chefs d’œuvre font figure de grands classiques. Aussi, une mode va venir remettre au goût du jour le genre de l’épouvante (et dans une moindre mesure, celui de l’horreur) : le slasher, avec sa figure de proue, Scream. Un film certes efficace et honnête, qui porte en lui tous les codes d’un cinéma qu’on croyait révolu depuis les Vendredi 13 et consort (des jumpscares, une final girl, des meurtres graphiques), mais qui va entraîner toute une palanquée de copies plus ou moins inspirées ; des films finalement peu effrayants, qui sombrent plus souvent dans le sursaut facile que dans le vrai frisson d’angoisse. Et alors que le nouveau siècle arrive et que l’horreur commence à baisser en qualité, un film japonais réalisé par un certain Nakata Hideo, Ring, débarque sur les écrans. C’est un choc que le public occidental se prend dans en plein face, une peur qu’on ne pensait plus éprouver sur un grand écran.

Deux adolescentes japonaises se font une soirée pyjama durant laquelle elles se racontent leurs petits secrets. Entre deux taquineries innocentes, l’une d’entre elles dit à son amie qu’une légende urbaine raconte qu’il existe une VHS maudite. La personne qui la regarde se voit alors frappée d’une malédiction. Après avoir regardé la vidéo, le téléphone sonne et cette personne mourra dans les sept jours. Evidemment, son amie ne la croit pas, et l’autre adolescente lui avoue qu’elle l’a regardée, sans trop forcément y croire. Mais lorsque son amie s’absente, la télévision du salon s’allume en grésillant et l’adolescente meurt instantanément. Une journaliste va tenter de percer le mystère de la vidéo, mais va découvrir une réalité où se mêlent légendes urbaines, démons séculaires et course contre la montre.

Voilà les prémices d’un des plus grands films de trouille jamais projetés sur un écran. Alors pourquoi ce film a-t-il autant traumatisé son public et parvient-il à se montrer toujours aussi terrifiant, 20 ans plus tard ?

Pour commencer, Ring prend clairement place dans un quotidien crédible et facilement identifiable. L’action se passe au Japon mais pourrait très bien se dérouler n’importe où dans le monde. Tout le monde a au moins une fois dans sa vie joué à faire peur ou se faire peur. Les histoires de feu de camp sont éternelles. Mais là où Ring commence très fort, c’est que rarement une légende urbaine n’a semblé aussi crédible et dérangeante. Dans la désormais classique scène d’introduction, on commence déjà à frissonner alors que clairement il n’y a aucun élément visuel susceptible de nous effrayer, mais Nakata Hideo, le temps d’un échange de regards et de répliques, arrive à rendre immédiatement communicative la peur qui saisit la collégienne qui essaie (en vain au final) de se persuader qu’elle survivra au visionnage de la VHS maudite.

Passé cette première entrée en matière, le film respire un peu en nous présentant son héroïne, Reiko, journaliste de son état et mère d’un petit Yoichi, qui va enquêter sur la mort de la collégienne qui s’avère être un membre de sa famille. De fil en aiguille, elle va remonter jusqu’à la VHS en question, mais va franchir le pas de trop et visionner la vidéo. Evidemment, elle déclenche le compte à rebours fatal, sans compter que Yoichi finit lui aussi par tomber dessus. Une course contre la montre se lance alors pour découvrir comment briser la malédiction. Cette course va mener Reiko et son ex-mari aux frontières du paranormal au fin fond du Japon et va prendre le spectateur par la main sans jamais lui laisser de répit. Jamais le concept de légende urbaine n’avait été traité de manière aussi réaliste et semblé aussi menaçant (les effrayants polaroids des victimes de la malédiction sont assez cauchemardesques).

Pour ceux et celles qui n’auraient pas encore vu le film, on se gardera ici de raconter les tenants et les aboutissants du script et les origines de la malédiction, mais on constatera que même après des années, le film reste d’une tristesse et d’une noirceur assez surprenantes. Dans Ring, la bêtise et l’ignorance crasse des hommes ont créé un monstre qui, même s’il est plus ou moins énoncé qu’un de ses parents n’est pas humain, ne demandait qu’à être aimé et accepté. La tristesse et la rancœur se sont transformés en haine imprimée sur pellicule, prête à maudire quiconque viendrait la déranger. Nakata Hideo arrive d’ailleurs brillamment à faire cohabiter, le temps d’une scène de descente dans un puits, l’horreur la plus graphique et répugnante et une tendresse à la fois déchirante et morbide, sans jamais que cela ne semble ridicule. Et lorsqu’enfin on croit en avoir fini avec la malédiction, le film réserve encore un dernier plongeon dans l’épouvante, avec une explication aussi logique qu’effroyable qui n’épargne personne et se montre même nihiliste au dernier degré dans sa dernière réplique, d’une noirceur sans nom. Et c’est ce qui frappe encore aujourd’hui, cette absence de happy end, et cet aspect de la malédiction qui fait de chaque victime un futur assassin potentiel, qui ne sera sauvé que si elle refourgue la mort à quelqu’un d’autre.

Mais on ne peut parler du phénomène Ring sans parler de la mise en scène de Nakata Hideo qui a pris tout le monde par surprise en 2001. Lorsque son film sort sur les écrans occidentaux, c’est pour ainsi dire un parfait inconnu du grand public. Et pourtant, avec son style, il va redéfinir l’horreur à la japonaise, la fameuse J-horror. Là où nombre de productions horrifiques (ou assimilées) se fourvoyaient dans le frisson et l’effroi low cost facile, ne provoquant qu’un bref jumpscare finalement assez prévisible, Nakata Hideo va s’inspirer de tout un pan de la culture japonaise et son folklore infernal pour créer Ring et son fantôme vengeur Sadako. Pour son démon de VHS, il va s’inspirer de nombreuses estampes représentant les entités fantomatiques avec d’amples vêtements blancs et de très longs cheveux noirs, ces mêmes démons revenus des enfers pour tourmenter les hommes qui les ont humiliés voire même tués. Pour sa mise en scène, plutôt que de sur-découper son film, il fait durer ses plans plus que de raison, ne laissant aucune pause au spectateur pour détourner les yeux, l’obligeant à regarder frontalement Sadako revenir des enfers. Un petit théâtre des épouvantes, en quelque sorte. Tout le film est plongé dans une ambiance lourde et angoissante une fois le compte à rebours lancé pour Reiko. Nakata arrive, notamment grâce au compositeur Kawai Kenji (Ghost in the Shell, Avalon) et sa partition terrifiante à distiller une terreur indicible mais concrète, que ce soit dans ses cadres larges qui sont susceptibles de faire apparaître un fantôme à chaque instant, ou ses gros plans sur ses héros maudits, enfermés malgré eux dans un cycle infernal dont ils peinent à trouver une issue. La dernière apparition de Sadako venue punir son ultime victime reste d’ailleurs un inégalable sommet d’effroi où se mêlent fantastique et horreur, folklore et modernité, avec Sadako sortant littéralement de l’écran pour venir tuer le malchanceux qui n’aura pas trouvé à temps LA solution pour échapper à la malédiction.

On pourrait passer encore des heures à disserter sur Ring, qui au-delà d’être devenu un classique de l’épouvante internationalement reconnu (au point d’avoir eu droit à un remake US loin d’être honteux même si l’atmosphère « Japon Terre de Légende » manque cruellement à l’ensemble), a permis au public occidental de s’intéresser au cinéma fantastique japonais. En 2002, Nakata Hideo reviendra au fantastique avec un autre chef d’œuvre, Dark Water. Une autre histoire de fantômes d’ailleurs…

Romain Leclercq.

Ring de Nakata Hideo. Japon. 1998. En salles le 13/04/2022

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