MUBI – Café Lumière de Hou Hsiao-hsien

Posté le 8 mars 2022 par

En 2003, la Shochiku commande au réalisateur taïwanais Hou Hsiao-hsien un film hommage à Ozu Yasujiro pour son centenaire. Porté par Hitoto Yo et Asano Tadanobu, le film s’intitule Café Lumière, et il est dès à présent disponible sur MUBI.

Yoko revient d’un séjour à Taïwan, où elle y a revu un petit-ami de là-bas. Arrivée à Tokyo, elle part sur les traces du compositeur taïwanais Jiang Wen-ye qui aurait vécu dans le quartier de Jinbocho. Elle rend visite à son ami, patron d’une librairie, qui enregistre les sons des trains de la ville. Elle reprend aussi contact avec son père et sa nouvelle femme, et leur annonce qu’elle est enceinte.

Dans le courant des années 1980, décennie durant laquelle Hou Hsiao-hsien a commencé sa carrière de cinéaste et a été remarqué par la critique internationale, des commentateurs ont effectué un parallèle entre ses films et ceux d’Ozu Yasujiro. Pourtant, tant sur les thématiques que le style cinématographique, la comparaison n’est pas si évidente à la vue des deux carrières bien remplies des deux réalisateurs, auxquelles nous avons désormais accès facilement. Ozu Yasujiro était un cinéaste commercial pour son époque, qui alternait entre drames familiaux et comédies légères, discernables au niveau du style par ses champs/contre-champs parfaitement centrés et filmés au bas du sol. Hou Hsiao-hsien, lui, capte le sujet de la famille parmi bien d’autres thématiques, notamment plus politiques et historiques pour Taïwan, avec un style art et essai bien à lui, dans lequel la caméra se poste loin de ses personnages. Ce qui les lie le plus réside plutôt dans la qualité et l’uniformité de leurs styles respectifs tout au long de leur carrière, l’intransigeance vis-à-vis d’eux-mêmes dans le contexte d’un art industriel.

Café Lumière arrive alors comme un exercice de style pour faire du Ozu à la façon de Hou. Son style contemplatif et filmé de loin est ici exacerbé, et offre une magnifique patine aux thématiques familiales, pour le coup très proches de celles du réalisateur phare de la Shochiku du siècle dernier. Le rapport aux parents, la crainte de la mise en couple – modernisée, puisqu’il n’est plus question de mariage, mais d’élever un enfant seul – sont des sujets parfaitement ozuesque. Vient se greffer à cela une relation plus ambiguë, puisque platonique entre les personnages de Hitoto Yo et d’Asano Tadanobu. Hou n’oublie jamais de faire intervenir ses propres gimmicks : lorsqu’Asano enregistre les sons des trains, ne peut-on pas y voir une référence au goût de Hou pour les trains taïwanais, ou encore de son rapport important aux sensations liées aux sons ?

Avec Café Lumière, Hou Hsiao-hsien prend des risques, mais avec assurance. Il prend des risques, car sa filmographie a jusque-là marqué le pas aux côtes taïwanaises, il a analysé en long en large et en travers l’histoire taïwanaise et ses habitants, telle une obsession. Tout au plus, il s’est rendu en Chine dans Le Maître de marionnettes et Good Men, Good Women, pour mieux parler des habitants de l’île de Formose. Alors poser le pied au Japon, un pays étranger, pour lui qui s’est tant distingué à faire le portrait d’une culture précise, est un risque. Mais sa mentalité, qui prône la prise de recul, et sa vision du cinéma ferme et assurée, lui assure un film franc et sincère. Café Lumière est une image particulière de Tokyo, que les Japonais ne filmeraient pas comme cela, mais dont ils reconnaissent la valeur et la fidélité, d’après les retours spectateurs de l’époque. Il n’y a qu’à voir cette scène merveilleuse du croisement de regard dans le train, dans laquelle Asano et Hitoto se font face dans un train différent. Hou Hsiao-hsien a tourné cette scène sans obtenir d’autorisation, en se faisant dénoncer par des usagers. Sans trucage, elle correspond à sa vision ultra-réaliste et ultime de la captation d’images : la longueur du plan, la saisie au juste moment, aucunement cette scène ne paraît évidente à être tournée, et c’est ce qui la rend belle.

Malgré son imagerie bien à lui, les thématiques d’Ozu sont là, versées avec délicatesse dans la narration du film. Hou Hsiao-hsien accouche d’un film subtil et étonnant, qui peut paraître sec, voire mal aimable au premier visionnage, mais qui mérite qu’on lui accorde une certaine attention, qu’on le revoit, pour discerner sa richesse cinématographique certaine. Comme pour les habitants de Taïwan qui l’ont adopté lui et sa famille, Hou observe avec respect le peuple japonais et tokyoïte, à sa manière, avec tranquillité. De même que l’a fait Ozu.

Maxime Bauer.

Café Lumière de Hou Hsiao-hsien. Japon. 2003. Disponible sur MUBI.

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