Hong Sang-soo Introduction

LE FILM DE LA SEMAINE – Introduction de Hong Sang-soo

Posté le 2 février 2022 par

Après une diffusion au Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) en octobre 2021, il est temps de découvrir en salles Introduction, le 25è long métrage de Hong Sang-soo. Un bon cru, dans la lignée des derniers films du sensei sud-coréen.

Le synopsis en une phrase : un jeune homme nommé Yeong-ho cherche à se frayer un chemin entre les souhaits et les attentes de ses parents alors que sa petite-amie Ju-won part étudier en Allemagne. Le film se découpe en trois séquences et en (seulement) 37 plans : la visite de Yeong-seo chez son père, une escapade en Allemagne où Ju-won, l’amie de Yeong-ho, est partie étudier la mode et, enfin, un retour en Corée où Yeong-seo retrouve sa mère et un acteur réputé pour un déjeuner alcoolisé et un baptême océanique. Cette histoire économe a reçu l’Ours d’argent du meilleur scénario à la Berlinale 2021.

On y retrouve des acteurs récurrents chez Hong Sang-soo, sa fameuse grande famille : Shin Seok-ho dans le rôle principal (assistant-réalisateur depuis Un Jour avec, un jour sans et “l’homme du chat” dans La Femme qui s’est enfuie), Kim Min-hee dans le rôle d’une artiste peintre (huitième apparition chez Hong), Seo Young-hwa dans le rôle de la mère de Ju-won (septième apparition chez Hong), Gi Ju-bong en comédien chevronné (neuvième apparition chez Hong) et Ye Ji-won en infirmière (une régulière de Hong depuis Turning Gate en 2002). Nouvelle venue : Park Mi-so dans le rôle de la jeune femme Ju-won. Gageons qu’on la reverra rapidement.

Hong Sang-soo Introduction

Si l’on devait résumer Introduction en un mot, ce serait : transmission. Ce qui n’est guère surprenant tant Hong Sang-soo parfait film après film son rôle de vieux professeur, de maître et de sage. Pour résumer : un senseiIntroduction voit donc un souci de transmission pécuniaire entre un père pharmacien et son fils indécis sur son avenir, la transmission de l’histoire de l’art et de la mode entre Kim Min-hee et l’inexpérimentée Ju-won, et enfin, la transmission du métier de comédien entre l’acteur chevronné et le novice Yeong-ho. Les lecteurs de Paradoxe sur le comédien de Diderot apprécieront.

Cette transmission entre les personnages est d’autant plus importante qu’Introduction nous montre un monde clos : on ne voit rien à travers les nombreuses fenêtres tout au long du film, à part une lumière blanche aveuglante. Magnifique contrepoint à La Femme qui est enfuie où les fenêtres ouvraient allègrement sur le paysage environnant. Les rues sont également vides, ce qui est justifié avec astuce dans la dernière séquence par une référence implicite à la crise sanitaire et au confinement. « Tout le monde a peur de sortir. » En cela, Introduction est une œuvre éminemment introspective.

Les acteurs ne sont jamais aussi beaux que chez Hong Sang-soo. Ils y sont au naturel, sans grand artifice (maquillage ou accessoires), comme dans la vie de tous les jours. C’est d’ailleurs connu que les acteurs portent leur propres vêtements. « Venez comme vous êtes », pour reprendre le slogan d’une enseigne de restauration rapide, détournement de la parole christique au profit d’un clown à l’habit jaune pour une eucharistie au Dieu Ronald dont les apôtres publicistes ont compris que les paroles d’évangile et punchlines bibliques étaient le terreau le plus fertile de slogans inspirants.

Hong Sang-soo Introduction

À religion, religion-et-demi. C’est d’ailleurs par une prière que s’ouvre Introduction, lorsque le père du personnage principal, un médecin, souhaite se racheter d’un péché, sans doute l’avarice : « Je donnerai la moitié de ma richesse. Je le donnerai à un orphelinat. Seigneur, si tu me donnes encore une chance, je promets de vivre ainsi. » Une prière qui rappelle la brève histoire de Zachée dans l’Évangile selon Luc : dans la ville de Jéricho, Zachée, homme riche et collecteur des impôts, pécheur et cupide, déclare à Jésus : « Voici, Seigneur : je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens, et si j’ai fait du tort à quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus. » Le voici racheté et Jésus accepte de loger chez lui. Tout le monde peut se racheter.

D’ailleurs, la brièveté et la simplicité des récents films de Hong Sang-soo rappellent le dispositif des paraboles bibliques. Des textes courts sur lesquels des fanatiques peuvent s’écharper pour y paraphraser ce qui y est dit… mais surtout extrapoler selon leurs intérêts personnels. Plus le texte est court, plus l’exégèse est féconde.

 

Hong Sang-soo, notre cousin germain

 

La religiosité imprègne de plus en plus les films de Hong Sang-soo. Dans Seule sur la plage la nuit, ne voit-on pas Kim Min-hee s’agenouiller pour prier dans le Stadtpark de Hambourg, parc qui abrite d’ailleurs un planétarium dont le but est de reproduire le ciel et de réfléchir ainsi à la place de l’humanité dans l’univers ? Dans Grass, le récit en train de se créer dans le microcosme d’un café n’est qu’une variation sur le rôle de démiurge ; un huis clos d’ombres, de spectres et de voix d’outre-tombe. Dans Hotel by the River, un vieil écrivain au seuil de la mort réunit dans un hôtel appelé Heimat (c’est-à-dire, en allemand, “chez soi” mais également l’au-delà et le Paradis dans la pensée chrétienne, en opposition à la vie miséreuse sur Terre) une dernière fois ses deux fils et leur explique la signification de leurs prénoms : le premier signifie “esprit sur Terre” et le second “esprit dans les cieux”. Les deux fils doivent ainsi demeurer côte à côte pour former un tout complémentaire et harmonieux.

Hong Sang-soo

Le tropisme allemand de Hong Sang-soo n’est pas anodin : l’idéalisme allemand développé à la fin du XVIIIème siècle induisait une nouvelle métaphysique, un nouveau rapport de l’Être-au-monde. Cela engendrera le courant romantique avec en figures de proue GoetheSchillerNovalis ou Hölderlin. Ce dernier écrit dans son roman Hypérion : « Ne faire qu’un avec toutes choses vivantes, retourner, par un radieux oubli de soi, dans le Tout de la Nature, tel est le plus haut degré de la pensée et de la joie, la cime sacrée, le lieu du calme éternel. » Cette existence en harmonie avec la nature est particulièrement illustrée dans La Femme qui s’est enfuie, où les héroïnes cultivent leur propre jardin, élèvent leurs poules, s’occupent d’un chat errant et réfléchissent au bienfait du végétarisme (tout en mangeant de la viande de bœuf). Un Eden d’où sont d’ailleurs exclus les hommes. Ce n’est pas non plus un hasard si dans Grass, la musique diffusée dans le café est issue du courant romantique : Impromptu D 889 n°3 de Schubert, Lohengrin et Tannhauser de Wagner ou Orphée d’Offenbach.

Hong Sang-soo, romantique des années 2010 ? Il est vrai que le ton de ses films a changé depuis ses débuts. À l’amour comme activité de loisir s’est substitué l’amour inconditionnel. L’arrivée de Kim Min-hee dans la vie et le cinéma de Hong Sang-soo n’est pas étrangère à cette évolution. Autour de cette muse et de cette madone se construit depuis 2015 une nouvelle Weltanschauung, une conception d’un monde artiste et mystique. Le cinéma par et pour l’Amour.

 

Pour le cinéma

 

Dans son idéalisme romantique, le cinéma de Hong Sang-soo est doucement réactionnaire, c’est-à-dire en réaction au turbo-capitalisme ambiant et à la dégradation de l’humanité par la marchandisation des corps et de l’esprit. Hong Sang-soo n’est pas un boutiquier. C’est un anti-bourgeois. L’argent n’existe pas chez Hong Sang-soo – ou alors il a peu d’intérêt, à l’exception de la référence explicite à l’argent du père dans Introduction. À part quelques patrons de cafés ou éditeurs, tous ses personnages sont professeurs ou artistes, des activités peu lucratives, surtout honorifiques pour briller auprès de ses pairs et de ses (futures ou non) conquêtes amoureuses. Des « héros moyens » hors du temps et de l’Histoire. Aucun de ces personnages ne frappe à la porte de l’Histoire contemporaine. Leur existence n’a pas besoin de preuves sociologiques, économiques ou historiques. Ils sont déjà. Ils ne demandent qu’à vivre. Pour le cinéma.

Marc L’Helgoualc’h

Introduction de Hong Sang-soo. Corée. 2020. En salles le 02/02/2022

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