BLACK MOVIE 2022 – Faceless de Jennifer Ngo

Posté le 28 janvier 2022 par

Tandis qu’en 2021, le festival Cinéma du Réel programmait Inside the Red Brick Wall sur le siège tenu en 2019 à Poly U, l’Université polytechnique de Hong Kong, le festival Black Movie offre avec Faceless un regard complémentaire, plus ample, sur les révoltes d’opposition à l’Extradition Bill. En s’associant à quatre jeunes figures de la révolte, la réalisatrice Jennifer Ngo offre un témoignage profondément émouvant.

Issue du journalisme, ayant travaillé 5 ans au quotidien hongkongais South China Morning Post avant de s’orienter vers la BBC de Londres puis de participer à l’organisation du London Migration Film Festival, Jennifer Ngo a témoigné, jusque dans son parcours, d’une évolution constante vers un engagement politique fort. Ce premier documentaire en porte lui aussi la trace. Dans son geste de saisir les soubresauts citoyens devant la marche forcée de la Chine continentale, Ngo fait sienne les effets de montage documentaires pour traduire le fracas qui gronde sur la Perle d’Orient.

Premier plan : le reflet renversé d’une grand tour miroite dans une flaque d’eau, avant que tout ne se trouble sous l’impact des gouttes de pluie, signes de l’orage qui vient. Les plans suivants adviennent et laissent voir des visages masqués ; pas encore pour lutter contre la pandémie mais pour se préserver de la répression. Le titre programmatique, faceless / sans visage, aux échos cataclysmiques, c’est la crainte du peuple hongkongais de non seulement perdre la face contre la Chine de Xi Jinping mais aussi de perdre son individualité face à la marche pantagruélique du continent.

« Pour les Chinois, le patriotisme n’est pas un choix » dit l’une des figures tutélaires du documentaire. Laisser entendre ce couperet d’emblée, c’est mettre le film sous le saut d’un enjeu fort : les révoltes des citoyens hongkongais sont loin d’être des caprices protectionnistes ; ce sont surtout des luttes pour défendre la démocratie. Pour porter les voix de ces revendications (et tâcher de donner de l’humanité à ses masses de manifestants), Ngo donne la parole à quatre figures qu’elle conserve anonymes mais qu’elle présente sous quatre noms génériques : L’Étudiant, L’Artiste, Le Croyant, La Fille. Chacune et chacun incarne non seulement une modalité de résistance politique mais aussi des raisons de résister. La plus touchante (parce que la plus intime et systémique) reste l’histoire de la Fille.

L’Artiste, elle, s’exclame, au sujet de son geste d’agit prop : « On veut démocratiser l’acte de résistance« . Le principe démocratique comme veau d’or à sauvegarder reste le moteur de ces révoltes. Ce qui rend les apparitions de Carrie Lam, cheffe de l’exécutif hongkongais élue en 2017, paradant aux côté de Xi Jinping, d’autant plus dramatique.

L’écriture du documentaire se distingue par son soucis presque exhaustif de saisir plusieurs voix, plusieurs gestes et de les relier sous une même volonté. À l’occasion d’une scène de repas entre camarades de lutte, ce que rappelle le film, c’est que ces révoltes contre l’Extradition Bill ont plus à voir avec une certaine idée de la camaraderie trotskiste que le néo-libéralisme de la Chine actuelle, traînant l’étiquette de communisme. Ce sentiment de lutte commune trouve son souffle dans la construction émotionnelle (pour ne pas dire sentimentale, parfois) aux sources éminemment anglo-saxonnes. Montage cut avec plan édifiant et musique orchestrale émouvante, Ngo ne cache pas et ne lésine pas sur sa volonté de soulever les consciences par le souffle épique (façon doc BBC).

Faceless s’articule autour d’un montage qui mêle le b.a.-ba du documentaire (témoignages, archives…) et des tonalités variées (édification, ironie…). Mais ce qui saisit le plus et en fait un véritable témoignage à portée historique, ce sont les compilations au fil des jours d’images de violences policières d’une extraordinaire violence. On se demande ce qu’en dirait David Dufresne, auteur, entre autres, d’Un pays qui se tient sage.

Si l’ensemble passe par des détours spectaculaires (et pas toujours d’une grande finesse réaliste) pour toucher de front le spectateur, il n’en offre pas moins un récit capital sur ce geste de résistance. Le tout se clôt sur une séquence à l’ironie mordante : les Hongkongais – que l’on vient de côtoyer masqués – célèbrent l’année 2020, avec dans les yeux un semblant d’espoir. C’était sans se douter que deux ans plus tard, le monde entier serait à son tour contraint de se masquer non plus pour lutter pour la démocratie mais pour préserver la santé internationale.

Flavien Poncet

Facless de Jennifer Ngo. Hong Kong. 2021. Sélectionné au festival Black Movie 2022.

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