Entretien avec Li Dongmei pour Mama

Posté le 20 décembre 2021 par

Le très beau Mama a été projeté à Paris en septembre dans le cadre du Festival Allers-Retours 2021. Nous nous sommes entretenus avec Li Dongmei, sa réalisatrice, dont c’est le premier long-métrage et qui a une portée largement autobiographique.

Mama est votre premier long-métrage. Quel est votre parcours dans le cinéma ?

L’histoire est assez longue et a commencé en 2018. J’avais déjà écrit plusieurs scénarios, aucun de tournés. Un ami m’a proposé de financer un prochain film. Je me suis demandé alors, quitte à ne tourner qu’un seul film, quel genre de sujet me serait le plus cher. J’ai alors pensé à ce sujet que j’évite tout le temps et que je n’avais jamais écrit, les souvenirs de ma mère et sa mort. Comme c’est une histoire assez lourde, je voulais être face à elle.

Pouvez-vous nous en dire plus sur cette histoire ?

Elle traverse tout le film. J’ai particulièrement insisté sur le moment de sa mort, d’autant que lorsque je suis rentrée de l’école à ce moment-là, je savais qu’elle était partie. C’est très fort pour moi. J’étais au collège, je n’avais qu’un seul jour sur sept pour me reposer et c’est le dernier jour de travail qu’elle est morte. J’ai essayé de raconter les derniers instants que j’avais en mémoire avec elle. J’ai eu à cœur d’insérer cette histoire dans un style qui m’est propre.

Vous avez étudié la littérature anglo-saxonne mais ce qui a déclenché votre attrait pour le cinéma est un film iranien avec une petite fille dont le vécu ressemble au votre. De quel film s’agit-il ?

Lorsque j’étais en Australie à Melbourne, j’ai vu ce film par hasard, sans connaître le nom de la réalisatrice ou même le titre. Je vois cette petite fille qui raconte son histoire, une histoire de parents qui préfèrent les garçons aux filles… Cela résonnait avec la mienne. La façon de filmer ressemblait à une biographie. C’était un miroir à mon propre vécu. En plus, je me sentais isolée à l’étranger toute seule… Ca m’a beaucoup touché, mais malheureusement, je me rappelle plus de quel film il s’agit ! Malgré tout, je peux dire qu’il m’a inspiré pour réaliser Mama.

La mise en scène de Mama est très pure. Il n’y a pas de bande-originale et les personnages sont souvent filmés de loin, le décor et eux formant un tout. Pourquoi avoir choisi ce type de mise en scène ?

Avant de faire mes études de cinéma, je n’avais pas vu énormément de films. J’ai tout de même été influencée par le réalisateur français Robert Bresson, et le réalisateur japonais Ozu, par leur façon de filmer le calme. Pour moi, l’existence de l’être humain et l’existence du temps et de l’espace n’ont pas de grande différence. Dans beaucoup de films, on essaie de montrer que les émotions des personnages principaux sont plus importantes que le reste. J’essaie de montrer que les êtres humains font partie du monde, qu’il y a un calme et un équilibre à l’intérieur. La tristesse de mon histoire n’est pas plus importante que le reste des choses qui existent dans le monde.

Concernant l’absence de bande-originale, je pense que les sons qui habitent l’environnement que je filme et le rythme de l’intrigue sont suffisants pour l’accompagner.

Quand on voit Mama, on peut penser à trois autres influences : Hou Hsiao-hsien pour le fait de filmer les protagonistes de loin, Tsai Ming-liang pour l’absence de musique (dès son 2ème film) et Abbas Kiarostami pour le fait de voir des personnages tels des petits points se déplacer dans un décor (Au travers des oliviers). Pouvez-vous dire qu’ils vous ont inspirée également ?

Quand j’étais petite, il était difficile de regarder la télévision, je n’avais presque jamais vu de films. J’ai commencé à en regarder vraiment à l’âge de 31 ans, lorsque j’ai effectué mes études de cinéma en Australie. J’ai étudié le travail de ces trois réalisateurs. Malgré tout, j’ai essayé, avant de réaliser Mama, de regarder très peu de films. Je sais qu’au contraire, beaucoup de réalisateurs préfèrent en regarder un maximum avant de tourner. Il est très important pour moi d’écrire, de créer, directement d’après mon sentiment, au lieu de faire référence à d’autres cinéastes. Mais bien entendu, étudier Hou Hsiao-hsien et Tsai Ming-liang m’a permis de savoir comment faire du cinéma. Quand j’ai commencé à travailler, j’ai fait en sorte d’oublier ces noms connus mais cela me fait plaisir qu’il y ait une connexion qui soit faite avec des réalisateurs qui existaient avant, même si on ne peut pas les imiter comme ça. Je pense que je préfère puiser dans la littérature. Le rythme de mon film était déjà d’ailleurs fixé dans très tôt dans le processus, d’après mon ressenti.

Toujours à propos de la mise en scène, la séquence du décès de la mère a lieu presque totalement hors champ, loin de toute emphase dramatique. Pourquoi avoir choisi de montrer cette scène capitale ainsi ?

Lorsque j’ai écrit le scénario, la scène était très détaillée. Nous avons d’ailleurs filmé les moments où la mère se sent mal, va à l’hôpital, accouche, rentre à la maison et meurt. Mais lorsque je me suis attelée au montage, j’ai simplifié cela, car j’estime que perdre un être si cher est une souffrance que tout le monde peut imaginer. J’ai voulu donc résumer cette partie, pour mieux souligner les détails auxquels on ne pense pas. C’est pour cela que j’ai filmé le retour du père, les trois filles qui restent devant la porte à regarder à l’intérieur… En deuxième lieu, je trouve l’idée de filmer la mort trop dramatique, ce n’est pas l’objet de mon intention initiale. Je voulais parler d’un tout égal dans la nature, et donc dire que naître, vivre, être malade, mourir, sont des parties de notre vie et aucune n’est plus importante. J’ai été influencée par la philosophie existentielle. C’est pour cela que présenter la scène de la mort n’est pas si important.

Votre œuvre est traversée par une philosophie de lien avec la nature – cela se voit notamment par le découpage narratif en un cycle de jours. On sent cette volonté de montrer la paix intérieure, mais subsiste-t-il malgré tout une sorte de colère vis-à-vis de société qui demande de mettre au monde des fils au prix de la santé des mamans ?

Le fait que les pères préfèrent les garçons, et que la politique de l’enfant unique était en vigueur, sont des faits qui existent ou existaient, et j’en parle comme des faits. L’existence des êtres humains est supérieure à une politique ou à un fait sociétal tel qu’un père qui préfère les garçons aux filles, et c’est pourquoi je n’ai pas insisté sur cet angle, même si je ne peux pas ne pas en parler. Je ne peux pas éviter de montrer cet aspect de notre société. On peut dire que c’est le contexte politique qui a tué la mère dans le film, pourtant j’ai fait en sorte que ce ne soit pas le moteur de l’intrigue, car je veux que les spectateurs sentent l’appel de la vie, le courage qu’ont les êtres vivants à vivre dans ce monde-là. En plongeant dans mes souvenirs pour faire ce film, j’ai vraiment voulu montrer la connexion entre les êtres humains et la nature, c’est le plus important.

Quelles sont vos influences philosophiques et littéraires ?

La littérature m’influence depuis longtemps et petit à petit. Pas un livre ou un auteur en particulier, mais j’ai lu beaucoup de littérature japonaise, d’auteurs tels que Kawabata et Oe, ainsi que des romans russes. Concernant la philosophie, j’ai bien sûr été influencée par de grands philosophes, mais c’est surtout l’influence de ma famille qui est déterminante. Elle m’a appris la philosophie existentielle. Par exemple, ma grand-mère, à l’âge de 60 ans, avait déjà préparé un cercueil pour elle, en prévision de son propre décès. Elle est finalement morte à 89 ans. Pendant presque 30 ans, elle a vécu avec son propre cercueil dans la même chambre. Quand j’étais petite, cela me rendait inquiète et me faisait peur. J’avais l’impression qu’elle pouvait mourir dès le lendemain. Mais cela voulait dire, en fait, dans la culture de mon village, qu’il ne fallait pas trop s’attacher au concept de mort, que c’était juste une partie de la vie. Ce n’est pas plus important, ni plus triste que le reste.

La petite héroïne, et vous-même à cette époque, avait des sœurs. Pouvez-vous nous en dire plus sur le contexte du film vis-à-vis de la politique de l’enfant unique, en vigueur à l’époque dans laquelle se déroule le film ?

Il est vrai que dans mon village, la politique de l’enfant unique était durement contrôlée. Mais mon père a toujours eu un bon contact avec les gens. Il a sympathisé avec le fonctionnaire en charge de la politique de l’enfant unique. Quand les 2e et 3e enfants de la famille sont nés, l’administration n’en a pas vraiment tenu compte ; il fallait juste payer quelques amendes. Avec les 4e et 5e enfants, la bon contact avec l’administration ne fonctionnait plus. Comme on le voit dans le film, ma mère se cachait lorsqu’elle était enceinte – parfois chez ma grand-mère, parfois chez quelqu’un d’autre, pour qu’on ne la trouve pas dans la montagne.

Avez-vous un projet de film en cours ?

J’ai un projet en cours, dont le scénario est en phase de réécriture, pour sa 3e ou 4e version. Il s’agit toujours d’un film d’un point de vue féminin, sur le sujet de perdre quelque chose. Dans Mama, l’héroïne perd sa mère. Dans ce nouveau film, l’héroïne perd aussi quelque chose de cher, avec comme intention de savoir comment on se rétablit. On peut imaginer que Xiaoren a grandi, devient mère et perd son enfant. Je continuerai à raconter cette histoire de la même façon, avec un style très pur et très simple, pour chercher un équilibre dans l’existence des êtres humains en ce monde.

Quel est votre moment de cinéma ? Une scène ou un film qui vous aurait marqué particulièrement.

Je pense au Miroir de Tarkovski, quand la femme s’assoit dans son jardin, puis un homme vient et parle avec elle, avec le vent qui passe. Tout se passe ainsi très naturellement. Quand j’ai vu ce film, je ne savais pas qui était le réalisateur, puis j’ai compris que ça avait une portée biographique, et ça m’a beaucoup touché. Il y aussi le film iranien dont on a parlé toute à l’heure. Je me demande si l’un des dialogues que j’en retiens est bien présent à l’intérieur, ou si c’est moi qui fais une confusion et y ai plaqué mes souvenirs.

Propos recueillis par Maxime Bauer par réunion Zoom, le 01/11/2021.

Remerciements particuliers à Jing Peng de l’association Allers-Retours pour la traduction.

Mama de Li Dongmei. Chine. 2020.

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