Djamboul - Efim Dzigan

FESTIVAL DU FILM KAZAKHSTANAIS 2021 – Djamboul d’Efim Dzigan

Posté le 14 décembre 2021 par

Djamboul d’Efim Dzigan est un film biographique sur Djamboul Jabayev, musicien et poète improvisateur kazakh, élevé au rang de figure nationale pour son soutien au bolchévisme à partir de la Révolution d’Octobre. Ce film est diffusé en ligne jusqu’au 16 décembre dans le cadre du Festival du Film Kazakhstanais.

Mort presque centenaire, le poète Djamboul Jabayev (1846-1945) a connu, à partir des années 1870, la domination de l’Empire russe, soutenu par des chefs de tribu locaux désireux de s’enrichir et de profiter du labeur des éleveurs kazakhs. Djamboul (interprété par l’acteur et réalisateur Shaken Ajmanov), sorte de Charles Branson kazakhstanais ayant troqué son harmonica ou son gros calibre pour une dombra, un instrument à cordes, s’oppose ostensiblement aux chefs de tribu spoliateurs. Peint comme un « homme honnête qui aime son peuple » et « collecte la sagesse du peuple », il défit une première fois Qadirbay, chef cruel et oisif, en refusant de payer une dot pour la femme qu’il convoite ou de le flatter par sa poésie. Eminem des steppes, il clashe violemment et sans vergogne le puissant chef en chantant sa mort. Djamboul récidivera en clashant en place publique un émissaire du tsar, quelques minutes après avoir sympathisé avec des militants proto-communistes locaux soutenus par des « criminels politiques venus de Russie ».

Après un séjour en prison, l’heure de la libération arrive : en 1917, la Révolution d’Octobre met fin au tsarisme et à la propriété privée. Les chefs de tribu sont chassés, les steppes appartiennent au peuple. « Vive la liberté et le bonheur des peuples ! Vive le pouvoir soviétique ! Vive la révolution d’Octobre ! Vive Lénine ! ». Dès lors, Djamboul chantera les louanges du bolchévisme dans une Union soviétique idyllique. Il en sera récompensé et officiellement invité dans la capitale en 1936, à l’occasion de la Décennie de l’art kazakh à Moscou. Il s’y prosternera devant le tombeau de Lénine. Jusqu’à sa mort en 1945, il composera des poésies à la gloire du communisme et en soutien aux habitants de Leningrad (Saint-Pétersbourg), alors assiégée par la Wehrmacht.

Djamboul - Efim Dzigan

Figure nationale, ce poète a donné son nom à une province du Kazakhstan et Taraz, son centre administratif, a porté le nom de Djamboul de 1936 à 1997.

Au nom de Lénine

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Le film d’Efim Dzigan s’inscrit dans son époque : la fin de l’ère jdanovienne (1945-1953), soit le délire paroxystique du culte stalinien et des campagnes anti-cosmopolites (comprendre : antisémites) à l’encontre des anciens hérauts du cinéma soviétique, Dziga Vertov en tête. Une époque où le tyran Staline fait interdire la seconde partie d’Ivan le Terrible d’Eisenstein. Parmi les films autorisés et prisés à l’époque : les biographies de figures nationales aux idéaux proto-révolutionnaires répondant à un cahier des charges idéologique, éliminant toute ironie ou complexité dans le comportement des personnages. On peut citer Rainis de Youli Raizman (1949), Joukovski de Vsevolod Poudovkine (1950) ou Le compositeur Glinka de Grigori Alexandrov (1952).

Dans le fond et la forme, Djamboul ressemble à Amangueldy de Moisei Levin, le premier film de fiction kazakhstanais, sorti en 1938, et projeté en 2020 au Festival du film kazakhstanais en France. Un film à la gloire d’une figure nationale et qui répond aux impératifs politiques de l’époque : lutte contre le tsarisme et adhésion aux idéaux bolchéviques de la Révolution d’Octobre. Dans ces deux films, le bolchévisme est montré comme une évidence : le système politique du bon sens et de l’intérêt général attendu par le peuple entier. Il fallait juste attendre l’action de l’homme providentiel : Lénine.

Djamboul - Efim Dzigan

Djamboul répond à une vision internationaliste de la révolution : l’unification de tous les prolétaires et serfs du monde, à tout le moins, en Asie centrale (la Sixième Partie du monde, comme l’appelait Dziga Vertov dans son film de 1926). Le cinéma est donc un des moyens pour réunir les populations d’Asie centrale, éloignées du pouvoir central, avec leurs propres préoccupations et coutumes, autour du bolchévisme. Ce n’est donc pas anodin si, à la fin du film, Djamboul est invité à Moscou, accompagné d’une troupe de danse folklorique, pour s’exhiber dans la capitale soviétique – où tout le monde semble le connaître et le louer ! Un véritable artiste du peuple.

Comme les films de cette époque, Djamboul ne brille pas par sa subtilité. Si le héros est présenté comme un homme calme, réfléchi, altruiste et amical, ses opposants sont cruels, égoïstes, oisifs, impulsifs, calculateurs et pleutres. Et alcoolique pour un sous fifre de l’armée tsariste.

Le film se conclut par une séquence tribune dans laquelle Djamboul, 99 ans, récite un dernier poème devant une foule extatique, à la fin de la Seconde Guerre mondiale : « Célèbre, mon peuple ! Réjouis-toi ! Bâtis le paradis des fleurs et des jardins. Que le bonheur et la richesse du peuple soient abondants ; que la beauté du pays natal grandisse. Le pays a fleuri avec le nom de Lénine. Le peuple est devenu heureux avec le nom de Lénine. Tout le monde a été illuminé par le grand Lénine« .

Note : les livres de cinéma précisent que Djamboul est le premier film en couleur du Kazakhstan mais la version proposée ici est en noir et blanc.

Marc L’Helgoualc’h.

Djamboul d’Efim Dzigan. 1953. Kazakhstan. Disponible sur le site du Festival du Film Kazakhstanais jusqu’au 16/12/2021.

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