Etrange Festival 2021 – Prisoners of the Ghostland de Sono Sion

Posté le 23 septembre 2021 par

L’Etrange Festival 2021 nous a offert la possibilité de voir la première production nippo-américaine du réalisateur culte Sono Sion, Prisoners of the Ghostland, en exclusivité. Après de nombreux événements qui ont retardé la production (dont un très malheureux malaise cardiaque du réalisateur en plein tournage), nous pouvons enfin assister au résultat de la collaboration de Sono avec les Etats-Unis.

Prisoe

L’histoire du désir de Sono Sion de s’échapper de l’industrie cinématographique japonaise et de travailler ailleurs remonte de façon bien antérieure à Prisoners of the Ghostland. Le cinéaste a, en effet, tenté à plusieurs reprises de produire un film aux États-Unis, toujours sans succès. Le Lords of Chaos de Jonas Akerlund, pour ne citer que lui, était supposé être dirigé par Sono jusqu’à ce que le contrat tombe à l’eau. La sortie de Prisoners of the Ghostland conjure alors ce mauvais sort et permet enfin de juger de la pertinence de ce revirement de carrière. Le film, dont le scénario a été d’ailleurs écrit par deux Américains, raconte l’histoire de Hero (Nicolas Cage), un criminel détenu après avoir braqué une banque, il y a quelques années de cela. Hero se fait libérer brièvement et se voit confier une mission quasi-suicide par le Gouverneur (Bill Moseley), maître de la ville aux influences mi-japonaise mi-western où se situe l’action. La petite-fille du Gouverneur, Bernice (Sofia Boutella) est portée disparue et soupçonnée d’être désormais dans le Ghostland, un lieu désertique rempli de fantômes et de zombies en tous genres. Hero a donc 5 jours devant lui pour secourir Bernice et la ramener à bon port, sous peine de se faire démembrer vivant par des explosifs situés à des endroits stratégiques d’une tenue de mission piégée. Le postulat ainsi que l’esthétique sont donc influencés par des références plus occidentales pour aboutir sur une sorte de mélange entre Mad Max de George Miller et New York 1997 de John Carpenter.

L’une des bonnes nouvelles au sujet de ce revirement de genres et d’influence est que Sono ne se laisse pas dévorer par la machine hollywoodienne et assume des partis pris qui sont fidèles à son univers. Nous assistons d’ailleurs à des clins d’œil à d’anciennes productions du réalisateur, à l’instar des humains transformés en sculptures vivantes à partir de bouts de mannequins en plastique qui rappellent les mises en scènes des cadavres de Guilty of Romance. De même, Sono s’entoure de comédiens que nous avons déjà pu retrouver dans le reste de sa filmographie comme Watanabe Tetsu qui était déjà présent dans Cold Fish, Himizu, Why Don’t you Play in Hell? ainsi que très récemment dans Red Post on Escher Street ou bien Nakaya Yuzuka fraîchement rencontrée dans The Forest of Love. Le réalisateur ne perd pas non plus son côté expérimental caractéristique en assumant des choix osés comme celui de faire parler à ses interprètes leur langue natale, aboutissant à des discussions ou se mêlent l’anglais, le japonais et même le chinois ou le français (grâce au personnage joué par Constant Voisin, l’auteur de l’excellent Sono Sion et l’exercice du chaos). Cette prise de risque pourrait aboutir sur une impression foutraque mais colle parfaitement à l’univers d’anticipation dépeint par Sono. Les dialogues transnationaux convainquent d’ailleurs davantage que lorsque certains personnages japonais parlent en anglais et pâtissent de leur manque de maîtrise de la langue. C’est malheureusement le cas de Nakaya Yuzuka qui brillait dans Forest of Love et qui souffre dans Prisoners of the Ghostland d’une expression trop peu naturelle qui nuit aux émotions qu’elle tente de transmettre.

Ce décalage entre les intentions de Sono et le résultat est assez symptomatique du problème principal de Prisoners of the Ghostland. Le film ne manque pas d’idées et de créativité, loin de là. La direction artistique, notamment au niveau des décors et des costumes, est sublime et très inventive. Les insertions de détails détonants à l’instar des explosifs reliés aux parties génitales de Cage (qui ont fait beaucoup parler d’eux au point de devenir l’élément le plus marquant du film auprès du public) fonctionnent. En revanche, le film souffre d’une incapacité à faire fonctionner tous les éléments qu’il met en place aussi bien qu’on l’aurait souhaité, surtout de la part d’un réalisateur habituellement si talentueux. La surprise teintée de déception est d’autant plus grande que Prisoners of the Ghostland comporte de nombreux bémols qui n’ont encore jamais été recensés dans le cinéma du réalisateur japonais. Le rythme, notamment, y est très curieusement inégal et le film est alourdi par de trop nombreux plans passés au ralenti assez inexplicables et hasardeux. Le scénario, lui aussi, balance entre des phases trop peu développées au vu du matériel que propose le film et d’autres beaucoup trop explicatives sans réussir à maintenir un réel équilibre. Cette explicitation intrusive des enjeux nuit malheureusement à une poésie visuelle pourtant présente. Le Ghostland qui prête son nom au titre aurait pu rester plus énigmatique ou à contrario bénéficier d’une vraie mise en place de son histoire mais nous avons trop d’informations sur ses règles et son principe et alors, trop peu de précision sur ces dites règles. Dès lors, nous nous retrouvons face à un récit dont l’intérêt s’évapore peu à peu tant les moments de grâce se font rares. Sono se canalise par ailleurs beaucoup trop dans ce film, qui appellerait à être davantage foisonnant au vu des éléments dont il dispose. L’« enfant terrible du cinéma japonais » troque sa subversion caractéristique pour un constat assez convenu sur les sociétés japonaises et américaines ainsi que sur le sujet de l’écologie et du nucléaire sans chercher à approfondir davantage ses propos. Lorsque l’on sait ce dont le réalisateur est capable sur ce plan, en particulier puisqu’il s’agit de thématiques déjà explorées par Sono (notamment sur l’écologie, avec The Land of Hope et Himizu qui soulevaient de façon bien plus intéressante et importante la question des dégâts causés par le nucléaire), la comparaison avec Prisoners of the Ghostland est assez rude.

En somme, il fallait bien qu’il y aient des baisses de régime dans la filmographie d’un réalisateur aussi prolifique et ambitieux et Prisoners of the Ghostland peut malheureusement être qualifié de telle. On regrette alors qu’il s’agisse probablement de la plus grosse mise en lumière jusqu’à présent du travail du réalisateur à la filmo qui mérite davantage le coup d’œil que ce long-métrage précis. Les déçus pourront aller se consoler en (re)regardant ses sorties précédentes, en attendant la suite.

Elie Gardel.

Prisoners of the Ghostland de Sono Sion. Japon et Etats-Unis. 2021. Projeté à l’Etrange Festival 2021.

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