FFCP 2020 – Way Back Home de Park Sun-joo : l’introspection face au drame

Posté le 30 juin 2021 par

Intégré dans la sélection du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) (repris en juin 2021), Way Back Home, de la réalisatrice Park Sun-joo, est un drame délicat autour du resurgissement d’un drame personnel, dix années après qu’une femme ait refait sa vie.

Jeong-won est mariée à Sang-u. Ensemble, ils sont heureux et pétris d’attention l’un pour l’autre. Jeong-won reçoit un jour un appel de la police : celui qui l’a violée dix ans auparavant, alors qu’elle était lycéenne, a été retrouvé. Elle doit alors à nouveau faire face à son traumatisme en se replongeant dans son propre dossier, à la demande de la police et de la justice. Sang-u n’était pas au courant et Jeong-won se ferme à lui.

Le trauma du viol a été exploré à d’innombrables reprises au cinéma, de manière plus ou moins directe ou cryptée, stylisée ou réaliste, à propos ou maladroite. Way Back Home est le premier film de Park Jun-soo, et la cinéaste a opté pour le chemin dramatique classique tel qu’on peut le voir en Asie – on pense à Kore-eda Hirokazu ; non sans une profondeur introspective salutaire. Elle a choisi pour héroïne l’actrice Han Woo-yeon, qui offre une composition élégante et grave, et même une certaine douceur, celle d’un être humain innocent qui fait face à un événement ressurgissant très douloureux. Le jeu de Han Woo-yeon, loin d’être froidement minimaliste, se moule dans l’écrin pudique du film. Son introspection est complexe, et si l’on se doute des idées noires qui l’assaillent, un long moment du métrage laisse en suspend une partie de sa pensée, pour mieux offrir en reflet du spectateur l’introspection de son compagnon.

Car malgré le soin apporté à l’écriture de son protagoniste principal, Way Back Home s’attache plus à réaliser le portrait d’un couple dans la tourmente que d’explorer la psyché d’une victime seule. Il y a une part d’identification du spectateur aux personnages dans Way Back Home. Comment réagirions-nous si nous étions, comme Jeong-won, victime d’une agression et que nous devions y faire face à nouveau des années après ? Et si comme Sang-u, nous aimons profondément notre partenaire et nous sentons dépassé et à l’écart ? La mécanique qui régit leurs liens est déployée de manière subtile, par le choix de la réalisatrice d’un long moment de silence et de non-dit comme seules images du quotidien. Jeong-won est dans l’impasse, elle qui était parvenue à oublier cet épisode dramatique de sa vie, qui a réussi à construire autre chose ; Sang-u est désemparé, car il sent qu’il arrive bien trop tard dans la confidence pour panser les blessures correctement. Le film élargit son champ de vision en traitant le rôle du reste de la famille. Troisième personnage pivot, la jeune sœur de Jeong-won, de par son rôle dans la nuit du drame, achève de faire entrer le film dans un propos autour de la culpabilité. La tante et l’oncle, en quelque sorte parents adoptifs de Jeong-won, font office de pilier sur lequel se reposer, leur intervention fait respirer le film. La mère de l’héroïne est plus insondable, car Jeong-won semble critique vis-à-vis d’elle, et de fait, le personnage apparaît moins à l’écran. La conclusion du film, cependant, dénoue tous les nœuds et apporte de l’épaisseur à chacun des protagonistes. Le propos sur le couple se prolonge en exploration des liens de la cellule familiale face au drame. L’intrigue s’épargne de longs dialogues explicatifs à propos du criminel, qui n’est ni montré, ni profilé ; le temps est à la reconstruction.

Park Sun-joo adopte une photographie légèrement pastel et lumineuse, ainsi qu’un score musical joliment mélancolique. Par cette douceur et cette sobriété, Way Back Home s’éloigne d’œuvres telles que Hope ou Secret Sunshine. Ces deux films coréens s’illustrent par la profonde tristesse et la dureté de l’évocation du crime qu’ils décrivent. Way Back Home s’éloigne encore plus de films qui s’adonnent au Han, la catharsis coréenne, peinte avec de longues séquences de pleurs, comme Birthday. Les personnages de Way Back Home sont, à l’inverse, frappés de mélancolie et ne semblent éprouver de ressentiments envers personne. Il s’accusent eux-même d’un passé ou d’actions dont ils ne sont pas responsables. L’aspect taiseux du film empêche tout excès de pathos, et distingue le film de la production coréenne.

Le titre coréen signifie littéralement « Jardin secret ». Il se complète avec le titre international, qui lui évoque le départ forcé de Jeong-won de chez elle pour aller habiter chez sa tante et son oncle, après le drame. Le retour chez sa mère et sa sœur sera l’occasion de surmonter les démons de la culpabilité de tous. Avec ce premier long-métrage emprunt d’une profondeur magnifique, on espère que Park Sun-joo offrira aux spectateurs d’autres films chargés d’aussi belles émotions et de personnages aussi justes.

Maxime Bauer.

Way Back Home de Park Sun-joo. Corée du Sud. 2019. Projeté dans le cadre du Festival du Film Coréen à Paris 2020 (reprise de juin 2021).

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